Shigeru Miyamoto (à gauche), senior manager de Nintendo, et Yves Guillemot (à droite), PDG d’Ubisoft, affichent leur entente. | Ubisoft

La conférence s’est achevée et ils se sont tous enlacés. Le géant français du jeu vidéo a réussi, dans la soirée du lundi 12 juin, l’une de ses conférences les plus réussies à l’Electronic Entertainment Expo (E3), le Salon annuel du jeu vidéo de Los Angeles.

Le spectacle d’Ubisoft, long d’une heure et dix minutes, a débuté sur la présentation émue de l’étonnant jeu de stratégie Mario + The Lapins crétins : Kingdom Battle, devant une légende vivante du jeu vidéo, Shigeru Miyamoto, le directeur créatif de Nintendo. Pour s’achever sur le visage rougi à son tour de Michel Ancel. Le concepteur français de Rayman a présenté la bande-annonce de Beyond Good & Evil 2, jeu d’aventure dont le développement chaotique était devenu un feuilleton sur Internet, autant qu’une épreuve de dix ans pour son équipe. Quelques minutes plus tard, dans un moment d’étreinte collective rare, devant une salle enthousiaste, une partie de la famille Ubisoft prenait la pose sur cette scène qu’elle semblait ne plus vouloir quitter.

« L’E3, c’est le Cannes du jeu vidéo, le moment où l’on projette tout », explique Xavier Poix, directeur de production d’Ubisoft, tout en reconnaissant la charge particulière de cette édition 2017. « C’est une année un peu spéciale, c’est vrai. Pour les studios français, c’est celle de la consécration. »

Une relation unique avec Nintendo

Bien qu’éventée depuis plusieurs semaines, l’annonce enfin officielle de ce Mario + The Lapins crétins prouve la relation unique qui existe entre Ubisoft et Nintendo. Jamais le numéro un historique du jeu vidéo n’avait accepté de confier ses personnages à un éditeur occidental.

« Je connais évidemment les Lapins crétins depuis longtemps. J’ai des figurines à leur effigie qui décorent mon bureau, et j’ai toujours aimé leur humour », a lancé la légende du jeu vidéo Shigeru Miyamoto, directeur créatif de Nintendo.

« Je suis si fier de la longue collaboration entre Ubisoft et Nintendo. Depuis [l’époque de] la Wii et la DS jusqu’au lancement impressionnant de la Switch, nous avons toujours été très impressionnés par tous les grands jeux que vous avez conçus », a respectueusement lancé Yves Guillemot à Shigeru Miyamoto. Ubisoft est l’unique éditeur occidental à avoir toujours soutenu les machines Nintendo, contrairement aux géants Activision, Bethesda et Electronic Arts, qui avaient raté le coche sur la Wii.

« J’ai toujours senti votre passion pour les jeux Nintendo. En tant que concepteurs de jeux, on se voit comme des concurrents, mais je connais évidemment les Lapins crétins depuis longtemps. J’ai des figurines à leur effigie qui décorent mon bureau, et j’ai toujours aimé leur humour. Je voulais voir ce qu’ils pouvaient apporter à Mario », a répondu celui qui est surnommé « le Walt Disney du jeu vidéo ». Le jeu, qui était développé dans le plus grand secret ou presque depuis trois ans, sortira cet été.

Mario + The Lapins Crétins Kingdom Battle - Trailer d'Annonce E3 2017

« Vraiment affectif, et assez déraisonnable »

Beyond Good & Evil 2, lui, n’a pas encore de date de sortie. Annoncée pour la première fois en 2008, cette suite d’un jeu d’aventure très apprécié de 2003 est l’une des plus célèbres arlésiennes du jeu vidéo. Sa simple présence sous forme de bande-annonce était en soi un événement inespéré, au vu des retards accumulés qui illustrent les motivations créatives d’Ubisoft.

Beyond Good and Evil 2 – E3 2017 World Premiere Cinematic Trailer

S’il est fréquemment reproché à l’industrie de privilégier les suites de jeux à succès en minimisant les prises de risque, c’est tout le contraire pour ce « projet fou », comme le présente Michel Ancel.

En 2016, ce dernier expliquait au Monde que son développement au long cours était personnellement soutenu par le président d’Ubisoft, en dépit de l’échec commercial de son premier épisode. Signe de son attachement au projet, Michel Ancel a monté un second studio pour collaborer avec Sony, mais continue de travailler à mi-temps pour Ubisoft afin de boucler « BGE 2 ». « C’est vraiment affectif, et assez déraisonnable quelque part », reconnaissait-il déjà. « Je veux remercier les équipes qui travaillent si dur ; Yves [Guillemot], de tout mon cœur ; et les fans de leur soutien sans faille depuis si longtemps », a-t-il souligné sur scène.

Un catalogue 2017-2018 plébiscité

Ces deux moments forts auraient presque fait oublier le reste du catalogue d’Ubisoft, pourtant extrêmement varié et fourni. Tour à tour, l’éditeur a présenté Assassin’s Creed Origins (flamboyant retour aux sources de sa série phare, cette fois dans une Egypte antique fascinante d’immersion), détaillé son sulfureux Far Cry 5 (jeu de tir aux antagonistes évoquant l’extrême droite américaine), montré une adaptation hilarante de la série South Park, baptisé un ambitieux jeu de course mêlant automobiles, motos, bateaux et avions, et fait connaître Starlink, un étrange jeu spatial utilisant une manette-vaisseau.

La conférence d’Ubisoft a rencontré un succès quasi unanime sur les réseaux sociaux, de nombreux passionnés voyant déjà dans l’éditeur français le grand vainqueur médiatique de cette édition 2017 de l’E3. « On savait que l’on avait cette année un portefeuille de jeux très complet, différenciant, le tout avec énormément de nouveautés et de surprises », s’est félicité M. Poix.

Pas un mot sur Vivendi

Dans ce théâtre des rêves, le numéro trois occidental de l’édition sur consoles a soigneusement évité toute allusion à Vivendi, qui possède 27 % de son capital et menace toujours de racheter l’entreprise créée et gérée par les frères Guillemot.

Il y a un an, au même endroit, Yves Guillemot envoyait pourtant un message fort au groupe de Vincent Bolloré, affichant la solidarité de ses équipes et leur attachement à l’indépendance de la marque. Cette fois, pas un mot, à peine un sous-entendu.

« Nous, ce qui nous intéresse, c’est le marché du jeu vidéo, qui est en ébullition, avec de nouvelles consoles annoncées, une créativité qui avance, une technologie qui progresse, écarte M. Poix. Nous nous concentrons surtout sur la construction de nos marques sur le long terme, et l’arrivée de nouvelles sur le marché. » Certains observateurs se demandaient si cette conférence n’allait pas rester comme la dernière d’Ubisoft période Guillemot. Assurément, elle restera comme l’une des plus fortes.