Claudio Ranieri, en août 2016, sur le banc de Leicester. | GLYN KIRK / AFP

Décidément, le championnat de France attire des entraîneurs étrangers de renom. Après le Portugais Leonardo Jardim (Monaco), l’Espagnol Unai Emery (Paris-Saint-Germain), le Suisse Lucien Favre (Nice) et l’Argentin Marcelo Bielsa (Marseille puis Lille), c’est l’entraîneur Claudio Ranieri, 65 ans, qui (re)pose ses valises en Ligue 1 et plus précisément au FC Nantes. Il faut dire que le Romain connaît bien le foot français pour avoir dirigé le club de la principauté durant deux ans (2012-2014) avec un titre en Ligue 2 et une deuxième place parmi l’élite à la clé.

Le truculent président des Canaris, l’homme d’affaires franco-polonais Waldemar Kita, et Ranieri ont trouvé un accord pour un contrat de deux ans. Mais le dossier a tardé à se finaliser dans la mesure où la commission juridique de la Ligue de football professionnel (LFP) devait, au préalable, accorder une dérogation au Transalpin, atteint par la limite d’âge (65 ans). Si la LFP a autorisé la signature du contrat de Ranieri, le syndicat des entraîneurs (Unecatef) n’a pas donné son aval.

« On ne peut pas intervenir sur ce dossier. C’est la commission juridique qui a validé la décision malgré la réglementation existante, a déclaré l’ex-sélectionneur des Bleus Raymond Domenech, qui dirige le syndicat. Nous, l’Unecatef, n’aurions pas accordé la dérogation à Claudio Ranieri. Nous ne l’aurions pas accordée non plus à un entraîneur français. »

Le précédent Guy Roux

Le cas Ranieri renvoie au précédent Guy Roux de 2007. Il y a dix ans, le coach légendaire de l’AJ Auxerre (1961-2005) avait souhaité s’engager avec le RC Lens. Le technicien, alors âgé de 68 ans, avait vu son contrat retoqué par la commission juridique de la LFP en vertu du règlement sur la limite d’âge contenu dans la Charte du football, mise en place en 1973. S’ensuivit alors un bras de fer juridique et l’affaire remonta jusqu’à la Commission européenne.

Finalement, Guy Roux eut gain de cause après que les dirigeants des Sang et Or eurent fait appel auprès du Comité national olympique et sportif français (CNOSF). Tout juste élu à la présidence de la République, Nicolas Sarkozy avait publiquement soutenu le sexagénaire, reçu alors par la ministre des sports, Roselyne Bachelot. « C’est plus la règle qui est vieille que Guy Roux », commentait alors l’Elysée. M. Sarkozy s’était d’ailleurs emparé de ce cas et de celui de l’éminent professeur Luc Montagnier, contraint de poursuivre ses recherches aux Etats-Unis, afin de promouvoir sa réforme autorisant le travail jusqu’à 70 ans.

« Cette règle de la limite d’âge a été édictée pour éviter que les entraîneurs d’un certain âge, qui n’entraînaient plus, ne servent de prête-noms à des jeunes, sans diplômes d’entraîneur, qui faisaient réellement le boulot dans les clubs », explique au Monde l’ex-entraîneur de l’AJA, qui n’est resté au RC Lens que deux mois.

Un profil expérimenté

A bientôt 66 ans (il les fêtera en octobre), Ranieri arrive dans un club traumatisé par le départ fracassant pour le FC Porto de son entraîneur Portugais Sergio Conceiçao. Ce dernier, arrivé en Loire-Atlantique en décembre 2016, avait permis aux Canaris de boucler leur saison à une flatteuse septième place avant de… prolonger son bail.

Le FC Nantes est le 17e point de chute de Ranieri, technicien à la carrière aussi longue que fournie. Limogé avant le terme de ses contrats à Naples (1991-1993), au Valence CF (1997-1999), à Chelsea, à la Juventus Turin (2007-2009) et à l’Inter Milan (2011-2012), le Romain a longtemps affiché un palmarès (une Coupe d’Italie et une Coupe d’Espagne décrochées en 1996 et 1999) en totale inadéquation avec la renommée de ses clubs successifs.

De son passage à Chelsea (2000-2004), le Romain avait hérité des peu aimables sobriquets de « Tinkerman » (« bricoleur ») ou de « Clownio ». Il faut dire que l’ancien défenseur de l’US Catanzaro et de Palerme n’avait pas laissé une trace inoubliable avec les Blues. Vainqueur de la Charity Shield en 2000 et finaliste malheureux de la Cup deux ans plus tard, le Transalpin avait finalement été remercié par le milliardaire russe Roman Abramovitch, l’ambitieux propriétaire de Chelsea.

Une carrière relancée sur le Rocher

Ranieri avait relancé sa carrière d’entraîneur lors de son passage à l’AS Monaco. Embauché par le Russe Dmitri Rybolovlev, richissime propriétaire de l’ASM, il s’était d’emblée illustré en décrochant le titre de champion de France de Ligue 2. De retour parmi l’élite, l’Italien avait profité de la juteuse enveloppe (166 millions d’euros) mise à sa disposition par l’ex-magnat de la potasse. A la tête d’une détonante phalange emmenée par les stars colombiennes Falcao et James Rodriguez, il n’avait pas hésité à lancer dans l’arène une myriade de cracks issus du centre de formation monégasque.

Salué sur le Rocher pour son sens de l’équilibre, jouant aux alchimistes, Ranieri avait rapidement gagné le surnom de « Mister ». Eternel bluffeur, il avait donné du fil à retordre au Paris-Saint-Germain version Qatar Sports Investments. A l’issue d’un formidable mano a mano, le club de la capitale avait finalement dompté Monaco « la Russe », s’octroyant le titre au printemps 2014. Avec son sourire pincé, Ranieri, lui, s’était mis les médias français dans la poche, permettant à l’ASM de retrouver la Ligue des champions après une décennie d’abstinence. Contre toute attente, Dmitri Rybolovlev avait choisi de ne pas prolonger le contrat de son entraîneur, dont le bilan sur le Rocher était pourtant excellent.

Le conte de fées à Leicester

Après une courte parenthèse à la tête de la sélection grecque, en 2014, l’Italien débarque six mois plus tard à Leicester, club doté de l’un des plus petits budgets du foot anglais (environ 130 millions d’euros), et propriété du milliardaire thaïlandais Vichai Srivaddhanaprabha. Avec une cote à 5 000 contre 1 au début de la saison 2015-2016, l’équipe entraînée par Ranieri réalise l’un des plus grands exploits du foot européen en décrochant le titre de champion d’Angleterre, au nez et à la barbe de ses rivaux plus fortunés.

A la tête de la « Blue Army », quatorzième de Premier League au terme de l’exercice précédent, le sexagénaire – qualifié de « trop vieux » par le Portugais José Mourinho – avait su imprimer sa marque, galvanisant un effectif dépourvu de stars. Dotés d’une défense de fer, les Foxes s’en étaient alors remis aux fulgurances de leur buteur Jamie Vardy (22 buts à ce jour), à la finesse technique du milieu algérien Riyad Mahrez et à l’endurance de la sentinelle française N’Golo Kanté.

« On est en Ligue des champions, taratata !, s’était exclamé Ranieri, en avril 2016, horripilant ses homologues par son goût pour l’intox. C’est une performance énorme, fantastique, terrifiante. Bien joué à tous. Les propriétaires, les supporteurs, les joueurs et le staff. Et maintenant, on va immédiatement essayer de gagner le championnat. » Grâce à ce titre, le technicien italien avait ainsi remporté le trophée FIFA du meilleur entraîneur de l’année 2016.

Le portrait de Claudio Ranieri trône sur un mur, à Leicester, en mai 2016. | EDDIE KEOGH / REUTERS

En février 2017, le conte de fées a soudainement pris fin lorsque les dirigeants de Leicester décident de limoger Ranieri et son staff alors que les Foxes errent à la 17e place au classement du championnat anglais. « C’est la décision la plus difficile que nous ayons dû prendre depuis près de sept ans », déclare alors le vice-président du club, Aiyawatt Srivaddhanaprabha.

Habitué à rebondir, l’Italien débarque à Nantes avec son staff, notamment composé de son ex-beau-frère Paolo Benetti. « Ranieri a la faculté à cerner les caractéristiques individuelles des joueurs et savoir en tirer le meilleur. Le monde du football raisonne un peu comme ça, il ne retient que les victoires. Or, un club victorieux passe par différentes phases de construction avant d’atteindre les sommets. Et Ranieri excelle dans ce genre d’entreprise », expliquait Benetti au Monde, en mars 2014.

L’austère Italien, marié à une antiquaire londonienne, s’entendra-t-il avec le bouillant Waldermar Kita, qui a côtoyé douze entraîneurs depuis le rachat du FC Nantes en 2007 ? « Ranieri est un homme très bien et un professionnel de qualité. Il doit avoir ses diplômes italiens et donc une équivalence », estime Guy Roux. « Maintenant, je préférerais qu’un de nos entraîneurs français au chômage ait le job », conclut, un brin cocardier, l’ancien entraîneur bourguignon.