Un supermarché de Doha (Qatar), le 7 juin 2017. | NASEEM ZEITOON / REUTERS

Depuis le 5 juin, le Qatar est ostracisé par ses voisins du Golfe, qui l’accusent de complaisance envers les mouvements djihadistes et l’Iran. Conséquence directe de la fermeture imposée des frontières : l’arrêt des importations de denrées alimentaires, dont le Qatar est dépendant à 90 %. Les pays qui ont monté le blocus sont parmi les plus gros pourvoyeurs, comme l’Arabie saoudite qui lui vend la plus grande part de son lait.

Pour éviter la pénurie de lait aux 2,5 millions d’habitants, des solutions créatives sont imaginées : le chef d’entreprise qatari Moutaz Al Khayyat va faire venir par avions 4 000 vaches de 590 kg chacune. Il faudra soixante avions, affrétés par la compagnie Qatar Airways, pour transporter les animaux achetés aux Etats-Unis et en Australie. « C’est le plus gros transport aérien bovin de toute l’histoire », résume Bloomberg.

Cette initiative insolite remplit plusieurs fonctions pour l’entrepreneur. A la tête de l’entreprise de bâtiment Power International Holding, à laquelle Doha doit son plus grand centre commercial, Moutaz Al Khayyat saisit aussi l’opportunité d’étendre son activité sur le marché du développement agricole.

Avant la pénurie, il avait créé une ferme à cinquante kilomètres de Doha, en plein désert. Sur un site « équivalent à 70 terrains de football », la ferme produit déjà du lait de brebis et avait prévu de diversifier l’activité en produisant du lait de vache. La crise diplomatique a accéléré le processus, et la production de lait de vache devrait commencer à la fin du mois, plutôt qu’en septembre. Selon l’entrepreneur interrogé à Doha par Business Insider, la ferme pourrait couvrir « un tiers » des besoins dès cet été.

Conquérir une « indépendance » alimentaire

Prouver qu’un petit pays aux riches ressources naturelles est capable de survivre seul semble également être un enjeu. L’acte d’importer 4 000 vaches malgré le blocus de l’Arabie saoudite, des Emirats arabes unis et de Bahreïn est donc aussi une forme de résistance face à la pression exercée par les voisins. « Il est temps de travailler pour le Qatar », comme le dit très patriotiquement M. Al Khayyat.

Dès le début de la crise régionale, des campagnes publicitaires ont été lancées pour pousser les consommateurs à acheter et « soutenir » les produits locaux. D’après Bloomberg, des écriteaux aux couleurs du drapeau qatari accompagnent les produits laitiers dans les supermarchés.

Etre isolé des pays qui l’entourent a mis en lumière l’importance pour le Qatar de devenir plus indépendant. Dans un premier temps, il a été forcé de mettre en place d’autres circuits d’importation, se reposant désormais sur les produits turcs et iraniens. Malgré cela, l’ONG Amnesty International met en garde contre le risque de pénurie alimentaire. En effet, dès le 5 juin et l’annonce des ruptures diplomatiques successives, des Qataris se sont rués pour constituer des stocks de nourriture.

Disposant d’un petit territoire et de peu de terres cultivables, le Qatar essaie depuis une dizaine d’années de faire de la sécurité alimentaire une priorité. Un plan pour atteindre 60 % d’autosuffisance alimentaire d’ici 2030 repose sur des innovations technologiques pour créer une agriculture raisonnée, basée notamment sur l’énergie solaire et le dessalement de l’eau de mer. Le Qatar achète des terres arables et investit dans des fermes en Australie, au Brésil et en Afrique de l’Est.

Mais certains investisseurs, comme Moutaz Al Khayyat, ne veulent pas entendre parler de crise. L’importateur des vaches assure que « personne ne ressent de crise dans la vie de tous les jours ». Un consommateur interrogé sur place confie à Bloomberg : « C’est un message de défiance, pour dire que nous n’avons pas besoin des autres. »

Le journaliste du Monde, Marc Semo, spécialiste de la diplomatie, revient sur cette mise au ban du Qatar :

Isolement du Qatar : peut-on craindre un embrasement ?
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