L’avis du « Monde » – à voir

Aussi confidentielle que soit sa sortie, six ans après son tournage, aussi imparfaite que soit sa forme, Bayiri, la patrie mérite d’être vu. La réalité que S. Pierre Yameogo met en scène est sous notre nez, depuis des décennies. Des populations chassées par le nettoyage ethnique, l’exode qui laisse vulnérable face aux prédateurs, l’arrivée dans un pays qui voudrait bien ne pas être « d’accueil ».

« Bayiri », la patrie du titre, est celle du cinéaste, le Burkina Faso, qui a dû, à partir de 2002, faire une place aux milliers de familles de nationalité ou d’origine bur­kinabées qui avaient fui la Côte d’Ivoire, victimes de la xénophobie des régimes successifs, pris entre les feux de la guerre civile qui déchirait le pays.

Le récit suit la trajectoire de Biba (Tina Ouedraogo), une jeune femme qui porte l’enfant de son violeur

A grands et gros traits, sans beaucoup de moyens, S. Pierre Yameogo montre la montée des tensions dans un village de l’Ouest ivoirien, le déchaînement de la violence, la fuite des paysans burkinabés, qui espèrent trouver refuge en zone rebelle, puisque ce parti était censé leur être favorable, pour y être victimes d’extorsions, de viols, leur lente progression vers le nord, vers le pays de leurs ancêtres.

Le récit suit la trajectoire de Biba (Tina Ouedraogo), une jeune femme qui porte l’enfant de son violeur et ne peut compter que sur l’aide intéressée d’un chauffeur de bus qui vit de trafics à travers les frontières qui se multiplient. Lorsque la dernière – celle qui sépare la zone rebelle du Burkina – est passée, les réfugiés découvrent que personne ne les attend, que le retour au pays prend la forme d’une assignation à ré­sidence dans un camp géré par les organisations internationales. Quelques-unes des plus belles ­séquences de Bayiri, tournées dans un camp de villageois déplacés par des inondations, montrent la vie quotidienne d’une société suspendue dans le vide, où l’éphémère se transforme en éternité, rythmée par les nouvelles qui décident du destin des déplacés sans que ceux-ci aient aucune prise sur elles.

Leçon de civisme

Empruntant à la dramaturgie de la télévision africaine – dialogues surchargés d’informations, jeu hyperexpressif –, S. Pierre Yameogo cherche avant tout à faire toucher du doigt une situation que le régime en place chez lui tenait à minimiser, à banaliser. Le président Blaise Compaoré n’était pas étranger aux secousses qui avaient agité la Côte d’Ivoire, il était l’un des soutiens de ces rebelles que Bayiri dépeint sous un jour si peu glorieux.

Le film, terminé dès 2011, n’a pas été présenté au Fespaco, le grand festival africain organisé les années impaires au Burkina, ni avant, ni après la chute du beau Blaise. Il n’est pas non plus sorti en salle, n’étant montré qu’au gré de projections organisées au coup par coup. Quant à la filiale africaine de Canal+, qui avait pourtant participé à son financement, elle a préféré ne pas le diffuser.

Cette mise sous le boisseau n’est pas une garantie de qualité. Mais, en sentant la juste colère qui parcourt Bayiri, la patrie, on se dit que son réalisateur a dû toucher là où ça fait mal, et que sa leçon de civisme, adressée à ses concitoyens, peut être assimilée avec profit par d’autres pays d’accueil.

BAYIRI La Patrie BA courte

Film burkinabé et français de S. Pierre Yameogo. Avec Tina Ouedraogo, Bil Aka Kora, Blandine Yameogo (1 h 30). Sur le Web : www.facebook.com/bayirilapatrie