La tour Grenfell en feu, à Londres, le 14 juin. | Victoria Jones / AP

Une épaisse fumée continue de s’échapper de la tour Grenfell, et des flammes sont encore bien visibles au 23e étage, à son sommet. Voilà plus de treize heures que le feu s’est déclaré. Seul le squelette noir de la tour d’habitation de ce quartier de l’ouest de Londres est apparent, et il ne reste un morceau de façade que sur un côté. Un groupe de pompiers hagards sort, après dix heures passées dans ce brasier infernal. Ils sont perdus et cherchent leur camion. Ils avaient été envoyés en renfort et ne connaissent pas le quartier. Par terre, des morceaux de plastique carbonisés jonchent le sol.

Londres a connu l’un des plus grands incendies de son histoire récente dans la nuit du 13 au 14 juin. Grenfell, une tour HLM qui compte environ 120 appartements, a été ravagée. Le dernier bilan fait état d’au moins 12 morts et de 74 blessés. Mais la police de Londres a prévenu que d’autres morts seraient à déplorer.

Sajad Jamalvatan, 22 ans, a le regard perdu. Il habite au 3e étage de la tour. Quand le feu s’est déclaré, il était au cinéma avec sa sœur. Sa mère, handicapée, était à la maison et l’a appelé, paniquée. « J’ai couru comme un fou pour rentrer, raconte-t-il. Heureusement, les pompiers ont pu la sortir. » Les heures qui ont suivi, il a vu le feu se propager à toute vitesse : « Il y avait des cris horribles dans tout l’immeuble. J’étais au téléphone avec une famille à l’intérieur, mais on a perdu le contact après trente minutes. » Il n’a toujours pas de nouvelles. Et puis, l’horreur absolue : « J’ai vu une personne sauter du 15e ou du 16e étage, pour échapper aux flammes. »

Jonathan, qui préfère ne pas donner son nom de famille, habite en face de la tour Grenfell. Vers 1 heure du matin, les sirènes des pompiers l’ont réveillé. Lui a compté deux personnes qui ont sauté de l’édifice : « L’une d’entre elles avait quelque chose qui ressemblait à un matelas avec elle, peut-être dans l’espoir d’amortir la chute. » Ses voisins témoignent avoir vu un homme tenter de s’échapper en s’agrippant au revêtement extérieur.

Sainir Lleshi tente d’éloigner son fils, pour que celui-ci ne voie pas les vidéos qu’il a prises sur son téléphone. Il habite dans l’un des petits immeubles en face de la tour incendiée, et il a instinctivement filmé le brasier dans la nuit. On y entend distinctement des gens appeler à l’aide. Ce n’est pas sur les vidéos, mais M. Lleshi en a aussi entendu implorer : « S’il vous plaît, j’ai des enfants. » Son propre immeuble a été évacué vers 4 heures du matin. « La police, qui a fait un formidable travail, nous a dit craindre que la tour s’effondre », explique-t-il. Aux dernières nouvelles, la structure semble finalement avoir tenu. Mais pour l’instant, M. Lleshi et sa famille ne peuvent pas rentrer chez eux.

« On voyait des gens qui s’agitaient »

Les hurlements au cœur de la nuit hantent aussi Sardr Selim. « Je n’oublierai jamais les cris d’enfants que j’ai entendus », assure ce voisin. Quand le feu s’est déclaré, il s’est approché de la tour pour constater la tragédie : « Par les fenêtres, on voyait des gens qui s’agitaient, qui allumaient leur lampe torche pour attirer l’attention. » Comme tous les autres témoins, il est stupéfait de la vitesse à laquelle l’incendie s’est propagé : « En cinq minutes, il était passé à deux ou trois étages. Vingt minutes plus tard, il atteignait le sommet. »

Rapidement, les secours ont semblé dépassés. La tante d’Ali vit dans la tour, et il est furieux contre la police : « Ils lui ont dit de rester à l’intérieur, que tout était sous contrôle. Ce n’était clairement pas le cas. Heureusement qu’elle ne les a pas écoutés et qu’elle a fui. » Avec ses cinq enfants, elle est à l’hôpital pour avoir inhalé des fumées toxiques, mais elle va bien.

Bien des habitants du quartier sont au contraire dans l’angoisse de l’inconnu. De nombreuses familles n’ont pas de nouvelles de leurs proches depuis que le feu s’est déclenché. Des avis de recherche sont collés sur les murs. Eglises, centre de sport ou encore centres culturels se sont transformés dans l’urgence pour recevoir les familles. Le numéro d’urgence pour rechercher les disparus est affiché en énormes chiffres à l’entrée de l’un d’entre eux.

Colère des habitants

Dans un grand mouvement de solidarité spontanée, des dizaines de personnes ont apporté de l’eau, de la nourriture, des vêtements… « Il n’y a besoin de rien de plus de ce côté-là, témoigne une volontaire. En revanche, les familles ont besoin de soutien psychologique. »

Pour l’instant, les raisons du drame demeurent inconnues. Certains parlent d’une explosion, peut-être d’un réfrigérateur, mais celle-ci pourrait être une conséquence de l’incendie et non sa cause. En revanche, la colère gronde chez les habitants et les riverains sur l’état du bâtiment. Beaucoup accusent la mairie de quartier d’avoir délaissé l’endroit. Les témoins estiment que le nouveau revêtement, une sorte de plastique brillant, installé il y a un peu plus d’un an, a contribué à la propagation du feu. Mais alors que l’incendie n’est pas encore complètement éteint et qu’il reste des disparus, il est trop tôt pour tirer des conclusions.