Le Congolais Bosco Ntaganda, le 3 septembre 2015, à la Cour pénale internationale de La Haye, où il est poursuivi pour crimes contre l’humanité et crimes de guerre. | Michael Kooren/REUTERS

Bosco Ntaganda a quatre semaines pour changer de visage. L’ancien chef d’état-major en second de l’Union des patriotes congolais (UPC), l’une des nombreuses milices à l’œuvre dans l’est de la République démocratique du Congo (RDC) au début des années 2000, dépose à la barre de la Cour pénale internationale (CPI) depuis le 14 juin. En quatre semaines de témoignages, il espère faire oublier son surnom de « Terminator ». Depuis le début du procès, en septembre 2015, son avocat a dénoncé le portrait dressé par l’accusation, celui, dit-il, d’un « Schwarzenegger dans son costume de Terminator ». Bosco n’est pas un robot mais « un être humain », veut démontrer Stéphane Bourgon, qui conduit l’interrogatoire. Mais, pour l’accusation, cet « être humain » aurait provoqué la mort de 60 000 personnes en Ituri, région minière de l’Est congolais, où le Rwanda et l’Ouganda avaient activé des milices, sur fond de clivages ethniques, pour en piller les sous-sols d’or et de coltan.

Au pupitre des témoins, les yeux de l’accusé clignotent derrière ses lunettes rectangulaires, lorsqu’il jure de dire « toute la vérité » sur les treize accusations de crimes contre l’humanité et crimes de guerre qui pèsent sur lui. Les 71 témoins qui ont précédé M. Ntaganda à la barre pendant deux ans ont offert aux trois juges des récits accablants d’enrôlement d’enfants de moins de 15 ans dans ses troupes, de persécutions, d’esclavage sexuel, de pillages, de transferts forcés de population. On doute, dès lors, que son avocat – ex-officier dans l’armée royale canadienne – puisse faire de son client un anti-héros. Un coude sur son pupitre, un ton dégagé à l’adresse de « Papa Bosco », Me Bourgon tente néanmoins de briser la raideur de son interlocuteur. Coiffé d’un casque-micro, vêtu d’un costume bleu marine ponctué d’une cravate, Bosco Ntaganda raconte sobrement sa vie, ses deux épouses, ses sept enfants, son nom de baptême adventiste, Enias. Sa naissance au Rwanda, son éducation, par ses grands-parents, dans le Masisi, dans l’est de la RDC, à cause des lois du colonisateur belge séparant « les pères de leur fils », et des massacres de 1959 au Rwanda, qui poussent les Tutsi à la fuite.

A 17 ans, Enias devient Bosco en rejoignant ses premiers frères d’armes. L’adolescent répond à l’appel du Front patriotique rwandais (FPR), la rébellion de Fred Rwigema et Paul Kagamé, qui rêve de revanche, d’un retour au Rwanda. Il raconte l’entraînement de 6 000 à 7 000 recrues dans la brousse. « J’aimais beaucoup l’armée », dit sans sourire l’ex-milicien. Elle le lui rend bien. « On a libéré le Rwanda, explique-t-il. Je suis de ceux-là qui ont mis fin à ce génocide. » Quand, et quel génocide ?, s’enquiert Me Bourgon. « Je pense que le monde entier est au courant », rétorque sobrement l’accusé dans un swahili teinté d’un fort accent rwandais. Commandant de peloton à 21 ans, « j’ai vu des horreurs », lâche-t-il. Le sous-lieutenant Ntaganda raconte la prise de Kigali, en juillet 1994. « Il y avait des cadavres partout, sur tous les axes, qui s’entassaient. Il y avait une odeur très forte… Les chiens étaient là », flairant les dépouilles. « Quand nous avons chassé les génocidaires et pris le contrôle de Kigali, je me suis rendu chez ma sœur. » Il ne reste qu’une maison brûlée et le cadavre de sa sœur, dont « le fils était couché derrière elle, mort également ». A la barre, l’ancien sous-lieutenant s’empare d’un mouchoir, ôte ses lunettes, essuie des yeux secs. « Maître, c’était horrible et je ne vais pas continuer à en parler. »

Illustration par la terreur

Bosco Ntaganda est bien plus à l’aise pour évoquer la hiérarchie militaire. « Vous avez mentionné CSM, Charlie Sierra Mike, qu’est-ce que cela veut dire ? », lance l’ex-lieutenant Bourgon. « Compagnie sergent major, responsable de la discipline. » Dans le prétoire, M. Ntaganda dessine l’organigramme du FPR sur un tableau électronique. L’armée, il connaît. Après la fuite des génocidaires, il est reparti au Congo (alors Zaïre), comme d’autres officiers rwandais, pour participer à la guerre menée par Kabila père pour renverser Mobutu et asseoir au pouvoir un tout début de dynastie. Son père assassiné, Joseph Kabila reprend les rênes du pays en 2001.

D’une milice à l’autre, Bosco devient « Terminator ». Poursuit une carrière de vingt ans, où les récits de violences, de cruauté, de prédation forment le sillage de ses troupes. Les accusations de la Cour portent sur les seules années 2002-2003. Mais ses crimes allégués, rapportés par des ONG de défense des droits humains, ne s’arrêtent pas ici. Un temps enrôlé dans l’armée congolaise, M. Ntaganda prend la tête d’une mutinerie et crée le Mouvement du 23-Mars (M23) où il s’illustre encore par la terreur. La milice est dénoncée par les Nations unies, qui pointent clairement le soutien du ministère de la défense rwandais. Mais il n’aura pas à s’expliquer devant la CPI pour ces derniers faits d’armes sur lesquels le procureur a fait l’impasse.

A la cour, Bosco Ntaganda a choisi de parler, a juré de dire la vérité. Mais pourra-t-il évoquer les implications rwandaises et ougandaises dans le pillage de l’est du Congo ? Peu probable, estime-t-on. D’autant que sa famille réside toujours au Rwanda. Et que rien n’indique que le soldat Ntaganda soit prêt à régler ses comptes devant la CPI, même si son parrain rwandais l’a abandonné dans sa dernière bataille, après avoir permis son règne sur le Nord-Kivu, snobant la mission des Nations unies malgré le mandat d’arrêt délivré par la CPI en 2006. Lâché en 2013, il fuit le Kivu, traverse la frontière puis, vingt-quatre heures plus tard, se rend à l’ambassade des Etats-Unis à Kigali, avant de rejoindre la prison de La Haye.