La réunion des ministres européens des affaires sociales, jeudi 15 juin à Luxembourg, devait enfin être l’occasion d’un accord sur une révision de la directive travailleurs détachés de 1996, après plus d’un an de vives discussions bruxelloises.

Une large majorité de pays membres se dessinait pour approuver un texte issu d’une proposition de la commission européenne, datant de mars 2016 et visant à moderniser une loi élaborée avant l’élargissement à l’Est, dépassée par les phénomènes du dumping social.

Mais le président français, Emmanuel Macron a envoyé un grand coup de pied dans la fourmilière, fin mai, réclamant un durcissement très substantiel du texte, et rendant un accord le 15 juin irréaliste.

Soucieux, dès que possible, de tenir sa promesse d’une « Europe qui protège », peut-être aussi pour s’en prévaloir dans le cadre des discussions sur les réformes du code du travail, M. Macron a fait circuler une proposition de modification de la directive, qui a surpris et beaucoup braqué. Surtout à l’est de l’échiquier européen, où toute velléité de toucher au détachement est interprétée comme une tentative protectionniste.

  • Que réclame la France ?

Les Français demandent que le détachement (travailler dans un autre pays de l’Union en conservant sa couverture sociale) soit limité à 12 mois alors que les Européens étaient prêts à s’entendre sur 24 mois.

Paris souhaite aussi des mécanismes pour renforcer la coopération entre administrations afin de mieux faire la chasse aux sociétés « boîtes aux lettres » (se domiciliant dans un pays à système social moins coûteux).

Le texte bruxellois, en l’état, pose certes le principe d’une même rémunération pour un même travail sur un même lieu, mais ne permettrait pas de lutter assez efficacement contre la fraude, estime t-on également à l’Elysée.

  • Que peut-il se passer lors de la réunion de jeudi ?

Après cette brutale entrée en matière, l’heure était cependant ces derniers jours à l’apaisement côté Français. Pas question que le conseil de jeudi tourne à la confrontation, entre Paris et Varsovie, Budapest ou Bucarest, les capitales les plus sensibles sur ce sujet. Les Français comptent bien défendre leurs positions, mais en insistant aussi sur la qualité du travail commun déjà engagé.

Le but est d’obtenir un accord sur une directive révisée, mais plutôt lors du prochain conseil des affaires sociales le 23 octobre. Les Français veulent faire baisser la température pour recréer une atmosphère propice au travail et à la construction d’une nouvelle majorité.

  • Qui soutient la proposition de Paris, qui s’y oppose ?

Paris peut pour l’instant compter sur l’appui politique de Berlin. Le détachement n’était pas vraiment une préoccupation du gouvernement allemand mais il a soutenu la proposition française fin mai, ayant manifestement le souci d’aider le président Macron, qui a fait de ce thème une de ses priorités européennes.

D’autres pays sont d’accord sur le fond : la Belgique, le Luxembourg et l’Autriche. Ils étaient d’ailleurs plus exigeants que Paris lors des premières discussions sur le texte en 2016, proposant une limitation du détachement à 6 mois. Mais, prudents, et sachant à quel point la révision de la directive revenait de loin (14 parlements nationaux de l’Est ont tenté de la torpiller en 2016), ils étaient quand même prêts à valider le compromis de fin mai.

« Mieux vaut une loi imparfaite que d’en rester à celle de 1996, toujours valide en l’absence de révision » souligne un diplomate européen.

Les Français devraient davantage se concentrer, dans les prochaines semaines, sur un troisième groupe d’Etats, plus indécis : l’Italie, la Croatie, la Bulgarie, l’Estonie, mais aussi le Portugal et surtout l’Espagne.

Madrid, d’abord à l’écoute, a fait volte-face ces derniers jours sur le travail détaché, mais plutôt en raison de l’attitude jugée excessive de Paris sur un autre dossier, tout aussi sensible : les conditions de travail dans le secteur du transport.

Très offensifs à Bruxelles depuis la présidence Macron, les Français ont mis tout leur poids dans la balance pour que, fin mai, la Commission recommande l’application des règles du détachement dès le premier jour de cabotage des camions (livraisons au sein d’un même pays).

La mesure, si elle est adoptée, rendrait les transporteurs espagnols ou de l’Est beaucoup moins compétitifs qu’actuellement.

Paris ne parviendra sans doute pas à convaincre la Pologne, la Hongrie ou la Slovaquie de toucher à la directive de 1996. Pas sûr d’ailleurs qu’il soit nécessaire de les avoir à bord, la révision de la directive ne nécessitant pas l’unanimité.

  • Ce dossier peut-il compliquer la gestion d’autres dossiers européens ?

Pour autant, les Français devront tenir compte du souci d’une partie de leurs partenaires, à commencer par les Allemands, qui redoutent que le dossier « travail détaché » n’empoisonne encore les relations déjà très compliquées avec ces pays.

La plupart continue encore à refuser tout net d’accueillir des réfugiés, ils ont été très difficiles à convaincre dans le cadre des accords de Paris sur le climat. Sans compter les atteintes répétées à l’État de droit en Pologne et en Hongrie.

Les négociations du Brexit étant censées commencer fin juin, beaucoup de capitales, et la Commission, ne voudraient pas creuser les divisions alors que l’unité des « continentaux » est indispensable pour réussir le divorce avec Londres.

Difficile dans ces conditions pour la France de parvenir à ses fins, c’est-à-dire à un accord à l’automne sur une révision ambitieuse de la directive travailleurs détachés, si elle ne met pas un peu d’eau dans son vin. Le compromis le plus évident ? Probablement transiger sur la durée du détachement.