Theresa May, la première ministre britannique, à Londres, le 15 juin 2017. | TOBY MELVILLE / REUTERS

Cruciales pour le Royaume-Uni, les négociations en vue du Brexit débuteront, finalement, comme prévu lundi 19 juin. L’annonce de ce maintien a été faite jeudi, soit une semaine après l’échec électoral de Theresa May, lors du scrutin du 8 juin. Mais la première ministre, qui voulait arriver triomphante à Bruxelles, porteuse d’un puissant mandat des électeurs, va aborder ces discussions dans la pire des situations : impopulaire, sans majorité absolue, à la tête d’un gouvernement à la durée de vie incertaine et en plein chaos dans l’administration chargée du Brexit.

Le terrible incendie de la Grenfell Tower à Londres – 17 morts selon un bilan provisoire – ne fait qu’alourdir l’atmosphère. Gavin Barwell, le nouveau directeur de cabinet tout juste désigné par Mme May, est mis en cause pour avoir mis au placard lorsqu’il était ministre du logement un rapport préconisant une révision des normes anti-incendies qui contredisait l’une des obsessions gouvernementales : la lutte contre les réglementations.

Theresa May comptait arriver triomphante à Bruxelles, elle se retrouve impopulaire et sans majorité absolue

Le début des négociations sur le Brexit, lundi, devait coïncider avec le Queen’s speech (« discours de la reine »), quand la chef de l’Etat lit le programme législatif du gouvernement. L’exercice, simple formalité d’ordinaire, tient cette fois de la haute voltige, au point qu’il a été reporté au mercredi 21 juin, selon une annonce faite jeudi. L’énoncé du programme est suivi de journées de débats parlementaires s’achevant par un vote, probablement au cours de la semaine du 26. Les discussions à Bruxelles débuteront donc avant que Mme May ne soit réellement fixée sur son sort.

Or l’accord avec le Parti unioniste démocrate (DUP) d’Irlande du Nord, dont la première ministre a besoin pour atteindre la majorité, se fait attendre. Selon Downing Street, les discussions « progressent bien ». Mais des sources gouvernementales chuchotent qu’elles pourraient ne pas aboutir à un accord formel. L’alliance entre les tories et les extrémistes irlandais protestants rend furieux les républicains. Jeudi, les dirigeants du Sinn Fein sont venus dire à Mme May qu’un accord avec le DUP « violerait » les accords de paix sur l’Irlande de 1998.

Depuis que les tories ont perdu la majorité en n’obtenant que 318 sièges sur 650 (contre 330 avant les élections), Mme May a besoin des dix sièges du DUP pour gouverner. Mais les négociations avec ce dernier menacent de rouvrir les plaies irlandaises à un très mauvais moment : l’Ulster est en crise politique depuis que son gouvernement, où unionistes et républicains partagent le pouvoir, a démissionné. Londres menace d’en reprendre la gestion directe s’ils ne parviennent pas à un accord d’ici au 29 juin.

Le DUP, depuis qu’il est en position de faiseur de roi, multiplie les exigences financières pour l’Irlande du Nord. Au point que les tories refusent de rendre public le coût d’un éventuel accord pour le contribuable. L’homophobie du parti unioniste, son hostilité à l’avortement et ses positions très arrêtées sur le Brexit ne font qu’ajouter à l’embarras de Theresa May. Plutôt que de signer un accord formel, cette dernière pourrait prendre la tête d’un « gouvernement minoritaire » soutenu, au cas par cas, par le DUP. Ce qui laisserait tout autant le gouvernement à sa merci. Arithmétiquement, le sort de la première ministre pourrait dépendre des humeurs des élus conservateurs sur le Brexit. Qu’elle assouplisse sa position, comme de nombreuses voix l’y incitent, et les europhobes pourraient lui faire mordre la poussière… en pleines discussions à Bruxelles.

« Une tâche ardue »

Jeudi, le ministre des finances, Philip Hammond, porte-parole de l’inquiétude des milieux d’affaires, devait prononcer un discours défiant Mme May sur ce point. M. Hammond, qui entretient des relations houleuses avec la première ministre, devait dénoncer les dangers du « hard Brexit » qui imposerait des droits de douane aux exportations. Prétexte ou pression de Downing Street ? La prise de parole a été annulée au dernier moment, sous couvert de respecter l’émotion suscitée par l’incendie de la Grenfell Tower.

Du côté de l’administration chargée de négocier le Brexit, le paysage n’est pas moins orageux. Deux des quatre ministres en fonctions ont démissionné cette semaine. L’un d’eux, George Bridges, un pro-européen, se disant convaincu, selon le Financial Times, que « le Brexit ne peut pas marcher ». « Ces départs rendent encore plus difficile ce qui était déjà une tâche ardue », a commenté Jill Rutter, de l’Institute for Government, un cercle de réflexion sur l’efficacité en politique. De fait, Londres va se lancer dans la négociation avec une équipe partiellement novice.

Mais Theresa May s’accroche, car elle sait que la menace de nouvelles élections potentiellement favorables au Labour tétanise ses amis. En un retournement spectaculaire, le leader travailliste Jeremy Corbyn est devenu le responsable politique le plus populaire : 46 % des Britanniques ont une opinion favorable de lui, contre 29 % de Mme May, qui était au zénith lorsqu’elle a convoqué des élections voici deux mois.