Helmut Kohl, à Londres, le 12 mars 1998. | PAUL VICENTE / AFP

Editorial du « Monde ». La mort vient parfois rendre justice aux grands hommes. Ces dernières années, Helmut Kohl n’était plus que l’ombre de lui-même. Les Allemands s’étaient habitués à voir en lui un vieil homme diminué, en chaise roulante, et dont la presse ne parlait que pour évoquer le long feuilleton judiciaire l’opposant au journaliste qui l’avait aidé à rédiger ses Mémoires. L’ancien chancelier accusait le journaliste d’avoir publié des conversations qu’il aurait préféré garder confidentielles, dans lesquelles il réglait peu élégamment ses comptes avec nombre de personnalités, dont Angela Merkel.

Sa disparition, vendredi 16 juin, à l’âge de 87 ans, vient remettre les choses à leur juste place. Certes, Helmut Kohl a quitté la scène politique allemande de façon peu glorieuse, battu aux élections législatives de 1998 après avoir livré le combat de trop, et avant d’être discrédité, quelques mois plus tard, par l’affaire des « caisses noires » de l’Union chrétienne-démocrate (CDU), le parti qu’il avait dirigé pendant vingt-cinq ans. Mais l’histoire, elle, retiendra un autre Helmut Kohl.

L’hommage de Merkel

Réagissant à la mort de son prédécesseur, Mme Merkel a salué « un grand Allemand et un grand Européen ». La formule peut sembler fade. Elle est pourtant lourde de sens, pour peu que l’on mesure à quel point ce « et » n’avait rien d’évident pendant les seize années (1982-1998) de son règne.

« Un grand Allemand », Helmut Kohl le fut assurément, lui, le catholique conservateur de Rhénanie que rien ne prédestinait à piloter la réunification d’une nation divisée par le partage de l’Europe issu de la deuxième guerre mondiale. Cette réunification, aujourd’hui, apparaît comme historiquement logique ; elle comportait cependant de tels risques politiques et entraînait un tel coût économique que seul un véritable homme d’Etat pouvait la conduire.

En s’engageant dans ce processus, Helmut Kohl aurait pu tourner le dos à l’Europe. On l’a oublié, mais la réunification réveilla à l’époque les craintes de voir ­l’Allemagne renouer avec le vieux démon du nationalisme. Or le chancelier Kohl, en reconnaissant, sur l’insistance de François Mitterrand, l’intangibilité des frontières sur l’Oder et la Neisse issues de la seconde guerre mondiale par le traité dit « 2 + 4 » (1990), puis en imposant à ses concitoyens l’abandon du deutschemark au profit de l’euro par le traité de Maastricht (1992), est entré dans l’histoire en réussissant ce coup de maître : faire l’Allemagne sans défaire l’Europe.

Estimer que l’on peut défendre la grandeur de l’Allemagne tout en promouvant l’intérêt de l’Europe ; considérer que ces deux objectifs ne peuvent être atteints que si une profonde relation de confiance avec la France a été établie au préalable : ces convictions, qui étaient celles d’Helmut Kohl, prennent une résonance particulière à l’heure de sa mort.

Au moment où s’engagent les négociations sur le Brexit, où la France vient d’élire un président qui promet de « refonder » l’Europe et où la chancelière Merkel encourage le Vieux Continent à « prendre en main son destin » faute de pouvoir compter sur un allié américain devenu imprévisible sous la présidence Trump, la mort d’Helmut Kohl nous replonge dans une époque dont nous devrions retenir la leçon. Une époque qui nous rappelle que les grands chamboulements géopolitiques peuvent représenter, pour l’avenir de l’Europe, des chances véritablement historiques.