Pour lutter contre la montée des températures en ville, les municipalités adaptent progressivement leur plan local d’urbanisme. | Alvaro Barrientos / AP

La France est touchée, depuis dimanche 18 juin, par une vague de canicule. Des records nocturnes de chaleur pour un mois de juin ont été battus dans la nuit de lundi à mardi dans l’ouest du pays, particulièrement dans les villes, qui payent cher aujourd’hui le choix du « tout minéral » fait par les urbanistes après-guerre.

Dans les années 1950, le besoin urgent de logements a en effet conduit à la densification des habitats et à l’augmentation des voies asphaltées pour favoriser la circulation des véhicules. Autant de surfaces qui, aujourd’hui, interceptent les rayons du soleil et emmagasinent la chaleur en journée, pour mieux la restituer la nuit. Plus les rues ont la forme d’un canyon urbain, c’est-à-dire étroites et bordées de hauts murs, plus la chaleur a du mal à se dissiper. En outre, plus le bâti est élevé, plus la chaleur de la canopée urbaine est piégée par une couche d’air frais qui se forme sur les toits des édifices.

En conséquence, les villes ne se refroidissent plus la nuit, créant des « îlots de chaleur urbains ». Ces ICU peuvent avoir un intérêt énergétique l’hiver, réduisant les besoins de chauffage, mais ils représentent un défi majeur au moment des vagues de chaleur estivales. En ville, les températures la nuit peuvent être jusqu’à 10 °C plus élevées qu’en campagne, là où, à l’inverse, la végétation agit comme un climatiseur naturel.

Pour lutter contre ce phénomène, les villes adaptent progressivement leur plan local d’urbanisme (PLU) à ces nouvelles contraintes météorologiques. S’il est difficile de raser les bâtiments existants pour reconstruire des villes plus aérées, chaque municipalité et chaque climat optent pour des réponses différentes, et donnent une idée de l’éventail de solutions mises au point pour réduire cet effet « d’îlots de chaleur ubains ».

Aux Etats-Unis, des « cool street » et « cool roofs »

Dans plusieurs villes américaines, les autorités ont notamment décidé de jouer sur le pouvoir réfléchissant des revêtements, c’est-à-dire l’albédo. Les matériaux utilisés dans le revêtement des sols ont en effet des propriétés optiques et thermiques favorisant la rétention de la chaleur par le tissu urbain.

L’albédo correspond au pouvoir de réflexion d’une surface exposée à la lumière. C’est une grandeur sans dimension, comprise entre 0 (pour une surface absorbant la totalité de la lumière incidente, c’est-à-dire un corps noir) et 1 (pour une surface réfléchissant la totalité de la lumière incidente). Par exemple, la neige possède un albédo de 1, alors que celui des goudrons noirs est de 0,1 ou 0,2.

L’albédo typique des villes européennes et américaines est de 0,15 à 0,30. Aux latitudes de ces villes, une augmentation de l’albédo moyen des villes de 0,20 à 0,45 permettrait de réduire la température jusqu’à 4 °C les après-midi d’été.

A Los Angeles, la Jordan Avenue était l’une des zones les plus chaudes des îlots urbains repérés par les analyses météorologiques. La municipalité a décidé d’en changer le revêtement, optant pour un matériau blanc réfléchissant en lieu et place de l’asphalte classique de couleur noire. La température au sol y a baissé en moyenne de 10 °C lors d’un après-midi ensoleillé, selon l’agence de protection de l’environnement.

« Grâce à un albédo fort, l’énergie générée par le rayonnement solaire est directement renvoyée vers le ciel, c’est donc autant d’énergie qui ne va pas s’emmagasiner dans le matériau », explique Erwan Cordeau, chargé d’études sur le climat, l’air et l’énergie à l’Institut d’aménagement et d’urbanisme d’Ile-de-France.

Dans la même perspective, le « White roof project » a vu le jour à New York. « Faites-le vous-même, économisez 30 % sur votre facture d’électricité », affirme le site du projet. Dans le quartier de Brooklyn, des dizaines de toit ont été repeints en blanc pour en augmenter le pouvoir réfléchissant, faisant passer la réflexion de 20 % à 85 %, selon le site, et la température moyenne à l’intérieur du bâti de 46 °C à 26 °C, quand la température extérieure est de 32 °C.

Le « White roof project » a vu le jour à New York, et promet de faire passer la réflexion de 20 % à 85 %, et la température moyenne à l’intérieur du bâti de 46 °C à 26 °C, quand la température extérieure est de 32 °C.

De même, il est possible d’utiliser des matériaux de construction qui emmagasinent moins la chaleur. La pierre de construction a l’avantage de capter très lentement la chaleur mais elle restitue cette énergie thermique avec la même lenteur, ce qui accroît les températures nocturnes.

Tokyo et Lyon, les villes humidifiées

Longtemps synonyme de miasme, l’eau a disparu de nos villes pour des raisons d’hygiène, et les rivières enfouies dans plusieurs métropoles. Depuis 2003, la ville de Tokyo a renoué avec une tradition ancestrale, celle de l’« arrosage de trottoirs », connue sous le terme de Uchimizu. Pour faire baisser la température des rues, l’idée développée par la mégalopole japonaise est d’inciter les habitants à conserver l’eau de pluie pour la répandre sur l’asphalte pendant les périodes de chaleur.

C’est avec la même idée que le Grand Lyon, qui rassemble cinquante-huit communes, a signé un partenariat avec Veolia environnement pour expérimenter des dispositifs d’arrosage de la chaussée dans le quartier de La Buire, ou encore à la Part-Dieu. « Sur le plan technique, le pilote intègre un système de buses d’arrosage, installées tous les deux mètres au niveau du trottoir, et une chambre de commande avec débitmètre et vanne à débit variable, le tout raccordé au circuit d’eau potable », précise la présentation du dispositif.

Le système a été automatisé, et se déclenche à partir des enregistrements des capteurs, situés à 1,50 m et à 4 m du sol. Les résultats démontrent un effet important sur le rafraîchissement de la surface « le bitume reste à la température de l’air au lieu d’être 5 à 8 °C plus chaud lorsqu’il n’est pas arrosé. »

Une initiative qui s’ajoute à une ambitieuse politique de gestion de l’eau dans le Grand Lyon, avec la remise à l’air libre du ruisseau de La Duchère, ou la création d’un espace vert infiltrant les eaux de pluie au parc Jacob-Kaplan. « Il faut retrouver des points d’eau en ville afin de permettre aux phénomènes d’évaporation de mieux réguler la température ambiante », rappelle Erwan Cordeau, chargé d’études sur le climat, l’air et l’énergie à l’Institut d’aménagement et d’urbanisme

Lausanne et Angers, la conquête verte

La ville d’Angers a été distinguée par l’Union nationale des entreprises du paysage pour la grande importance qu’elle accorde à la végétalisation de son territoire, devant Nantes et Limoges. Bien plus qu’un enjeu décoratif, le facteur végétal est pourtant devenu un vrai critère attractif pour les citadins : les arbres sont un instrument de lutte efficace contre les îlots de chaleur. Obstacle physique à la lumière, ils sont aussi de puissants régulateurs de température puisqu’ils peuvent puiser en profondeur l’eau du sous-sol et émettre dans l’air de la vapeur d’eau.

Angers consacre 5 % de son budget de politique urbaine à la création et à l’entretien des espaces verts, soit quatre fois plus que partout ailleurs dans l’Hexagone. Au total, 20 % de son territoire est occupé par des zones végétales, ce qui représente 51 m² pour chacun de ses 148 000 habitants, vingt fois plus que la moyenne nationale.

De son côté, la ville suisse de Lausanne mène, depuis 2012, une campagne de promotion des toitures végétalisées, avec la création d’une subvention pour inciter ses habitants à opter pour ce système. Du haut de ses quelque trois mille toitures plates, Lausanne dispose d’un potentiel énorme, qui avoisine le million de mètres carrés.

Agriculture sur toits : première récolte
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