Il y a quelques semaines, ayant constaté que je devais me rendre à l’ambassade de France pour obtenir un visa pour le Burkina Faso au départ du Rwanda, j’écrivais une lettre ouverte à Alpha Barry, ministre des affaires étrangères du Burkina Faso, pour lui demander les raisons pour lesquelles, alors que des alternatives plus efficaces existent, son pays sous-traitait la procédure de délivrance de visa à un pays non africain. En l’occurrence la France, ancienne puissance coloniale.

Quelques jours plus tard, interrogé sur le sujet lors du journal télévisé de la RTB (télévision publique du Burkina Faso), Alpha Barry a reconnu que « politiquement ça peut paraître ennuyeux », mais a justifié la persistance de ces « vieux accords que nous avons trouvés » par une myriade de problèmes techniques (taux de change, transferts de fonds, malhonnêteté de consuls honoraires, etc.) qui seraient liés au fait qu’une procédure de visa « s’accompagne d’un droit de perception ». « On peut faire mieux, on essaiera de le faire », a-t-il conclu.

Tout le problème est là, dans ce sentiment que le Burkina Faso, et plus largement l’Afrique via l’Union africaine, peut « faire mieux », mais refuse de se hisser à la hauteur des enjeux. L’un d’eux est la liberté de circulation des Africains à l’intérieur du continent. Des progrès timides ont été réalisés dans ce domaine. Pour autant, rien n’explique qu’en 2017 il est plus facile pour un Américain que pour un Africain de se déplacer sur son continent.

Une communauté de destin

Trop souvent cette question de la mobilité des Africains est examinée sous un prisme économique. Les personnes sont naturellement associées aux marchandises dans une vision libérale classique dont la priorité est en fait l’argent, au détriment des gens. Ceci dit, il n’est pas nécessairement erroné de penser que marchandises et individus circulant sans entraves à l’intérieur du continent, le commerce se développera et, qu’à terme, avec la main à la fois visible et souple de l’Etat, les Africains en bénéficieront.

Mais l’intérêt de la chose est avant tout politique : plus les Africains circuleront à l’intérieur de leur continent, plus ils se connaîtront, se mélangeront, se comprendront. Les liens familiaux transnationaux se multiplieront, les mémoires et expériences historiques se confronteront et fusionneront dans une mémoire africaine unique. Les préjugés, petit à petit, disparaîtront, et la conscience d’une communauté de destin, au-delà des discours politiques, se renforcera dans le cœur des peuples.

Avec le temps, et des politiques publiques appropriées, cette conscience d’un destin commun permettra l’affirmation d’une identité africaine. Celle-ci servira de socle à la réalisation de cet ambitieux mais nécessaire projet d’une fédération des Etats africains, but ultime de l’idéal panafricain.

C’est cela le véritable enjeu derrière la question de la libre circulation des Africains à l’intérieur du continent. Et la réponse de M. Barry, si technicienne, était décevante parce qu’elle illustrait le défaut de cette vision et de cette ambition si nécessaires à l’approfondissement du projet panafricain.

Bataille pour la libre circulation

Mais ce défaut n’est pas, loin de là, l’exclusivité de l’actuel ministre des affaires étrangères du Burkina Faso. Il n’est que de voir le coût – exorbitant – des passeports dans de nombreux pays africains pour mesurer l’hypocrisie de nombreux dirigeants qui affectent un panafricanisme exalté mais agissent en fossoyeurs de l’intégration du continent. Peut-être, lorsqu’il verra le jour, le passeport africain coûtera-t-il moins cher que les passeports nationaux ?

En 1945, lors du 5e congrès panafricain à Manchester, la décision fut prise de former des organisations de masse à travers l’Afrique pour combattre le colonialisme. Quelques années plus tard, de nombreux partis révolutionnaires furent créés sur le continent. A peine vingt ans plus tard, une trentaine de pays africains avaient conquis leur indépendance. C’est l’un des héritages méconnus du panafricanisme. Un panafricanisme qui, avec le temps, s’est institutionnalisé et s’est coupé des masses africaines, perdant ainsi son caractère révolutionnaire.

Et si le temps était venu pour la jeunesse du continent de rénover ce panafricanisme ? Cela requiert de lui donner un contenu intellectuel en phase avec l’époque, qui s’incarnerait dans des organisations citoyennes mobilisées pour obtenir l’intégration et l’unification du continent. Dans cette perspective, la bataille pour la libre circulation des Africains à l’intérieur de leur continent devrait être une priorité.

Yann Gwet est essayiste camerounais.