Hommage aux victimes de l’attaque du Bataclan, un an jour pour jour après le 13 novembre 2015. | MARTIN BUREAU / AFP

Pour Georges Salines, le chaos post-attentat a duré dix-huit heures. Une éternité. Le lendemain du 13 novembre 2015, le père de famille inquiet de ne pas avoir de nouvelle de sa fille présente au Bataclan, avait publié sa photo sur Twitter. C’est sur ce même réseau social qu’il a appris, des heures plus tard, la mort de la jeune femme de 29 ans, tuée sur le coup lors de l’assaut. Durant cette attente interminable, Georges Salines a été l’un des premiers à témoigner : « Les choses ne fonctionnent pas bien. » Comprendre : des centaines de familles sont sans nouvelles de leurs proches – et apprendront sur le tard, par des canaux informels, la mort de leur enfant, neveu, frère…

C’est sur ce constat d’échec qu’un secrétariat d’Etat d’aide aux victimes de terrorisme a été créé, avec pour objectif d’améliorer la prise en charge des victimes et de leurs proches. Georges Salines, qui est désormais président de l’association 13 novembre : Fraternité et vérité, a participé à toutes les réunions de travail avec le gouvernement pour poser les bases de ce secrétariat d’Etat. Aujourd’hui, alors que le nouvel exécutif a décidé de réorganiser l’aide aux victimes, Georges Salines défend haut et fort « la nécessité d’une coordination interministérielle » pour gérer l’aide aux victimes.

« Nous sommes une nouvelle fois laissés à l’abandon », réagit Caroline Langlade, présidente de l’association Life for Paris, reçue lundi 19 juin par le directeur de cabinet et la conseillère justice d’Emmanuel Macron, en compagnie des représentants des associations 13 novembre : Fraternité et vérité, et de la Fédération nationale des victimes d’attentats et d’accidents collectifs (Fenvac).

Leur message ? Protester contre la suppression du secrétariat général de l’aide aux victimes. Cette administration, sous la tutelle de Matignon pour coordonner l’aide aux victimes entre plusieurs ministères, avait été mise sur pied en février à l’initiative de la secrétaire d’Etat à l’aide aux victimes Juliette Méadel.

« Un net recul », selon les associations

Le nouvel exécutif veut fusionner cette structure avec un service rattaché au ministère de la justice, le Service de l’accès au droit et à la justice et de l’aide aux victimes (Sadjav), qui était l’instance de référence avant les attentats de 2015. Les associations de victimes y voient un « net recul », « une erreur », voire « une catastrophe ».

« Cette structure rattachée au ministère de la justice ne marchait plus », notamment en raison du nombre inégalé de victimes du terrorisme en 2015, réagit Emmanuel Domenach, vice-président de l’association 13 novembre : Fraternité et vérité. Lui aussi se souvient qu’après le 13 novembre 2015, « toutes les victimes étaient perdues, abandonnées à leur propre sort », ne sachant pas vers quelle structure se tourner pour obtenir des informations et de l’aide. Détail marquant : le Sadjav n’avait pas de site Internet pour informer les victimes.

Une affiche de la mairie de Paris en hommage aux victimes du 13 novembre 2015, située devant le Bataclan, le 13 novembre 2016. | JOEL SAGET / AFP

C’est pour répondre à ces récriminations, tant sur la prise en charge immédiate que sur le traitement des dossiers, qu’a été mis sur pied le secrétariat d’Etat d’aide aux victimes de terrorisme, dont le rôle a évolué à mesure que l’exécutif prenait conscience de ce que pouvait impliquer le suivi des rescapés sur le long terme. « Nous sommes partis de rien et avons pris de nombreuses mesures », rappelle Mme Méadel, qui énumère pêle-mêle : les remboursements intégraux des frais de santé, la constitution de comités locaux d’aide aux victimes dans chaque département ou encore la signature par huit pays européens d’une feuille de route sur la prise en charge des victimes.

« Les douleurs physiques et psychiques restent là et nous devons encore faire de nombreuses démarches administratives »

A l’instar des associations de victimes, l’ancienne secrétaire d’Etat estime que « ce travail méritait d’être poursuivi ». « Les douleurs physiques et psychiques restent là et nous devons encore faire de nombreuses démarches administratives », fait savoir Emmanuel Domenach, qui précise qu’en ce moment les victimes du 13 novembre 2015 doivent constituer leur dossier d’indemnisation, « procédure lourde et sinueuse ».

Caroline Langlade réclame « une entité administrative qui survive à cette temporalité politique du quinquennat » et déplore que, depuis l’arrivée du nouveau gouvernement, « de nombreux dossiers sont en souffrance », faute d’un « contact direct » et « d’un interlocuteur unique ».

Le député Les Républicains (LR) Georges Fenech, qui présidait la commission d’enquête parlementaire sur les attentats et qui avait recommandé la création d’une « administration dédiée » à l’aide aux victimes, estime que les annonces du nouveau gouvernement marquent « un coup d’arrêt à la prise en compte globale des victimes », rappelant que la prise en charge dans ce type d’événement « peut durer toute une vie ».

Besoin de transversalité

De son côté, la chancellerie assure dans un communiqué : « c’est pour garantir aux victimes et à leurs proches une action efficace que le rapprochement des deux services est envisagé. » Mais, pour Caroline Langlade, cet argument ne tient pas :

« On envoie un message faux : vous obtiendrez réparation grâce à la justice. Mais la prise en charge des victimes va bien au-delà de l’aide juridictionnelle. »

Et d’énumérer des exemples soulignant l’importance d’être rattaché au premier ministre pour permettre une transversalité entre les différents ministères :

« Une victime blessée par balle a besoin de soins hospitaliers réguliers et doit se référer aux ministères de la santé et des affaires sociales. Une personne amputée, elle, se tourne également vers le ministère de la santé mais aussi celui de la défense. Il lui faudra un appartement adapté donc faire appel au ministère du logement. Certains envisagent également de se reconvertir ce qui est du ressort du ministère du travail. »

Alors que l’annonce du gouvernement doit intervenir mercredi ou jeudi 22 juin, les associations de victimes espèrent que leur message sera entendu. Mme Méadel, elle, se montre confiante :

« Il y a un espoir, je sais que le président est très sensible à la situation des victimes, je ne peux pas imaginer que l’Elysée ne trouve pas de solution. »