Les brumisateurs, les casquettes et ventilateurs ne suffiront peut-être pas. Météo France a placé, mardi 20 juin, soixante-six départements en vigilance canicule orange. Dans certaines villes, les températures ressenties frôlaient, mercredi, les 45 oC. De quoi alerter les personnels des maisons de retraite et fragiliser les personnes âgées.

La grande canicule d’août 2003 avait entraîné 15 000 morts supplémentaires, soit une augmentation de 55 % par rapport à la moyenne des décès à cette période, hors canicule. La vague de chaleur avait frappé dans le reste de l’Europe, tuant huit mille personnes en Italie et sept mille en Allemagne.

Quatorze ans plus tard, les pouvoirs publics en ont-ils tiré toutes les leçons ? Le risque d’une vague de mortalité existe-t-il encore ? Chaque année, le plan national canicule – qui compte quatre niveaux – est automatiquement activé du 1er juin au 31 août. Pour l’heure, la France est en « alerte » niveau 3. Lorsque l’alerte est déclenchée, les préfets mettent en place les mesures du plan de gestion de crise départemental (PGCD) qu’ils jugent nécessaires. Elles consistent à mener des actions locales d’information, mobiliser des associations (comme la Croix-Rouge) et organiser la réponse des établissements médicaux (plans blancs et bleus). Un plan vermeil prévoit même d’accueillir les personnes à risque (bébés et personnes âgées) dans des locaux rafraîchis (supermarchés, bâtiments publics, etc.). La ministre des solidarités et de la santé, Agnès Buzyn, a d’ailleurs annoncé, lundi 19 juin, avoir demandé aux maires de faire un « recensement » des lieux où les personnes vulnérables pourraient trouver refuge.

Vérifier le stock de bouteilles d’eau

En cas d’intensité excessive ou de durée exceptionnelle de l’épisode caniculaire, il reste le quatrième palier du plan, la « mobilisation maximale ». Ce dernier niveau peut être déclenché par l’apparition d’effets collatéraux dans différents secteurs : sécheresse, manque d’approvisionnement en eau potable, saturation des hôpitaux ou des opérateurs funéraires, panne d’électricité, feux de forêts, nécessité d’aménagement du temps de travail ou d’arrêt de certaines activités… Mais ce niveau d’alerte n’a encore jamais été déclenché.

Au niveau national, la direction générale de la santé a activé cette semaine la plate-forme téléphonique d’information canicule, qui permet d’obtenir des conseils pour se protéger. Face à un épisode caniculaire, les personnes âgées comptent parmi les plus fragiles. C’est pourquoi depuis 2003 les maisons de retraite multiplient les mesures de prévention.

Ainsi, au sein du groupe Korian (qui compte 290 maisons de retraite), avant chaque été, la direction des établissements vérifie « les stocks de bouteilles d’eau, de brumisateurs, de climatiseurs et de solutés en cas de déshydratation », explique le docteur Paul-Emile Haÿ, directeur médical seniors France. Une séance d’informations est également organisée afin d’expliquer les risques liés à un épisode de canicule et la manière de les prévenir. Les menus sont adaptés pour être « plus riches en eau, moins lourds et moins gras mais tout aussi caloriques », détaille le médecin. Une équipe est aussi entièrement réservée à l’hydratation des résidents, qui se fait « plusieurs fois par heure ».

Des « mesures presse-bouton »

Depuis 2003, la loi oblige également chaque établissement pour personnes âgées à s’équiper d’au moins une pièce climatisée accessible aux résidents ainsi qu’aux personnes venues de l’extérieur. Pascal Champvert, président de l’Association des directeurs au service des personnes âgées (AD-PA) voit dans ces initiatives des « mesures presse-bouton » qui ne règlent pas les problèmes. Il estime même qu’en cas de nouvel épisode caniculaire, « il risque d’y avoir encore des milliers de morts ».

D’autant que, les résidents, assure-t-il, rechignent souvent à rester dans ces pièces, qu’ils jugent trop froides. Résultat, « certains personnels les emmènent de force par faute de temps, et là, c’est de la maltraitance ». Même constat, selon M. Champvert, avec l’hydratation : « Les médecins urgentistes voient arriver des gens qui ont trop bu. » « Hydrater n’est pas surhydrater, concède le Dr Haÿ. Il faut s’adapter à la morphologie de chacun. Je ne dis pas que ça n’arrive jamais, mais pas dans nos établissements en tout cas. »

En 2015, l’Institut de veille sanitaire (InVS) avait enregistré quelque 3 300 morts supplémentaires lors des « trois épisodes caniculaires » observés durant l’été, soit une hausse de la mortalité de 6,5 % sur la période allant du 29 juin au 9 août. L’InVS avait, en effet, relevé une hausse de la mortalité pour les pathologies en lien avec la chaleur – hyperthermie ou coup de chaleur, déshydratation et hyponatrémie (concentration en sodium dans le plasma sanguin (natrémie) inférieure à 135 mmol/l) – dans toutes les régions touchées par les fortes chaleurs, en indiquant toutefois qu’il n’était pas possible d’évaluer la part imputable aux grandes chaleurs dans les morts supplémentaires.

Depuis 2003, « l’Etat a tiré les leçons du point de vue de la circulation de l’information : flashs infos, plan canicule, concède le président d’AD-PA. Mais cela règle 20 % à 30 % du problème. » Car, selon lui, le nombre de personnels reste insuffisant. Ainsi, pour limiter les risques de mortalité, il faudrait augmenter dans chaque établissement le ratio et « passer de 5,5 personnels pour dix personnes [actuellement] à 8 pour dix ».

Mais encore faut-il en avoir les moyens. « L’Etat explique que depuis 2003 les dépenses n’ont cessé d’augmenter, c’est vrai. Mais le nombre de personnes âgées a beaucoup plus augmenté que les dépenses », fait valoir Pascal Champvert.

« Détournement des crédits »

En 2004, Jean-Pierre Raffarin, alors premier ministre, décide d’instaurer une Journée de solidarité au cours de laquelle les salariés travailleraient sans rémunération afin de financer des « actions en faveur de l’autonomie des personnes âgées ou handicapées » à travers la Caisse nationale de solidarité pour l’autonomie (CNSA), créée pour l’occasion.

Comment fonctionne la journée de solidarité ?
Durée : 02:37

Cette caisse qui permet en théorie de mieux doter les établissements d’hébergement pour personnes âgées dépendantes (Ehpad) est parfois utilisée par les départements pour financer d’autres dépenses, comme le revenu de solidarité active (RSA). L’Association des directeurs au service des personnes âgées a d’ailleurs demandé au nouveau chef de l’Etat, Emmanuel Macron, de « mettre fin au détournement des crédits destinés aux personnes âgées », dans un communiqué daté du 1er juin.

D’autant que, rappelle le directeur de l’AD-PA, « tout le monde est concerné par le vieillissement ». « Une question sociétale majeure » qui doit, selon lui, être traitée par un ministère à part entière. « On espère que le gouvernement va rectifier le tir. »