Le deuxième gouvernement conduit par Edouard Philippe a été présenté mercredi 21 juin, trois jours après le second tour des législatives qui ont donné une majorité absolue à Emmanuel Macron. Quelles leçons peut-on en tirer ?

Gérard Courtois, éditorialiste au Monde, a répondu à vos questions. En voici les principaux extraits.

-Londoner : Le nombre de ministres et de secrétaires d’Etat (trente en tout) est-il dans la moyenne traditionnelle des gouvernements successifs ? Il me semble qu’Emmanuel Macron souhaitait, comme le veut la formule, « un gouvernement resserré ». Qu’en est-il aussi de l’équilibre ministres/secrétaires d’Etat ?

Gérard Courtois : Avec trente membres, premier ministre compris, ce gouvernement est plutôt dans le bas de la fourchette si on le compare à tous ses prédécesseurs depuis une quarantaine d’années. Les gouvernements les plus pléthoriques ont été ceux de Jacques Chirac en 1974 (16 ministres et 21 secrétaires d’Etat), de Pierre Mauroy en 1981 (31 ministres et 12 secrétaires d’Etat) ou de Michel Rocard en 1988 (27 ministres et 15 secrétaires d’Etat). Le gouvernement de Jean-Marc Ayrault, en 2012, comptait 20 ministres et 18 ministres délégués.

A l’inverse, l’un des plus resserrés a été celui de Lionel Jospin en 1997 (16 ministres et 10 secrétaires d’Etat). Ce deuxième gouvernement Philippe est comparable à celui de François Fillon en 2007 (15 ministres et 15 secrétaires d’Etat).

-Thomas : Parmi les ministres ou secrétaires d’Etat, combien ont-ils également un mandat de député en cours ?

Gérard Courtois : Si je ne me trompe pas, huit ministres sont députés (Darrieussecq, Le Maire, Travert, Darmanin, Girardin, Castaner, Mahjoubi, Poirson et Griveaux). Quatre sont sénateurs (Collomb, Mézard, Gourault et Lemoyne). Sébastien Lecornu est président du conseil départemental de l’Eure. Geneviève Darrieussecq est maire de Mont-de-Marsan et Gérald Darmanin de Tourcoing. Soit, au total, 15 élus parmi les 29 ministres.

-Kamel : Que change la nomination de la nouvelle ministre de la justice au sujet de la nouvelle loi antiterroriste ?

Gérard Courtois : C’est très difficile à dire à ce stade. Elle a pris ses fonctions ce matin même, et commence tout juste à s’emparer du dossier. Toutefois, il est significatif que dans les propos qu’elle a tenus lors de la passation de pouvoirs avec François Bayrou, elle ait mis l’accent sur la défense des libertés publiques. Dès lors que ce texte a été préparé avant son entrée en fonction, elle ne pourrait vraisemblablement l’infléchir qu’à la marge si elle le juge nécessaire. Elle dispose toutefois d’un atout certain : juriste émérite, elle est parfaitement armée pour tenir compte des observations formulées par le Conseil d’Etat sur l’avant-projet de loi et des réactions critiques dans les milieux judiciaires.

-Pierre : Ce nouveau gouvernement est-il, selon vous, un rééquilibrage à gauche (au vu des parcours des ministres surtout), même léger ?

Gérard Courtois : Non, ce serait trop réducteur. La composition politique de ce gouvernement a manifestement été pesée au trébuchet. Le départ des trois ministres du MoDem est compensé par la nomination de Jacqueline Gourault (fidèle de François Bayrou) et de Geneviève Darrieussecq. C’est, pour le président de la République, une manière claire de signifier qu’il entend ménager les susceptibilités des centristes et les conserver sans ambiguïtés dans sa majorité.

Dans le même temps, il y a effectivement une louche de socialistes avec l’entrée au gouvernement de Florence Parly aux armées, de Nicole Belloubet à la justice, donc sur deux ministères régaliens. Ces deux femmes ne sont pas des figures du PS, mais c’est de ce côté-là qu’elles ont connu leur engagement politique.

Troisième composante de ce remaniement : le prolongement de l’ouverture vers la droite constructive, à laquelle appartiennent aussi bien Sébastien Lecornu (très proche de Bruno Le Maire) que Jean-Baptiste Lemoyne, sénateur LR rallié à Macron dès le mois de mars.

Enfin, Emmanuel Macron a saisi l’occasion pour s’entourer de plusieurs de ses fidèles les plus proches : Benjamin Griveaux, qui était son porte-parole pendant la campagne, Julien Denormandie, qui était son collaborateur à Bercy, et Stéphane Travert, ex-PS très tôt rallié à Macron. Ces trois entrées au gouvernement aux côtés de Christophe Castaner et Mounir Mahjoubi compensent largement le départ de Richard Ferrand vers l’Assemblée nationale. Au total, l’équilibre politique a donc été soigneusement respecté.

-Robby : Le titre de Madame Jacqueline Gourault, « ministre auprès du ministre de l’intérieur » est très singulier dans l’histoire de la cinquième république. Il me semble que d’habitude, on voyait davantage des ministres délégués souvent rattachés à un ministère et chargé d’un domaine de compétence spécifique mais jamais « un ministre rattaché à un autre ministre ». Avez-vous des informations sur sa fonction concrète et les raisons de ce choix ?

Gérard Courtois : Il est très vraisemblable, compte tenu des travaux qu’elle a assumés au Sénat que Madame Gourault sera chargée des collectivités locales. On le saura rapidement lors de la publication des décrets fixant le périmètre de ses responsabilités.

-TVBT : Que pensez-vous de l’absence dans le gouvernement d’écologistes, comme Barbara Pompili ou François de Rugy, qui avaient rejoint En Marche ! avant le 1er tour ? L’un des deux a-t-il plutôt vocation à occuper le perchoir ?

Gérard Courtois : La désignation du président ou de la présidente de l’Assemblée nationale aura lieu mardi 27 juin. Le nom de François de Rugy est effectivement cité avec insistance pour occuper cette fonction. Celui de Barbara Pompili a été évoqué plus discrètement. Il reste que le futur titulaire du perchoir sera en réalité prédésigné par le chef de l’Etat. Celui-ci, dit-on, souhaite confier la fonction à un membre de La République en marche et de préférence à une femme. Nul doute que les tractations se prolongeront jusqu’à la veille du scrutin. Il en sera de même pour les présidences de commission et les postes de questeur. Le puzzle du pouvoir est loin d’être terminé.

-PR : Est-ce que, finalement, les affaires secouant le MoDem n’ont pas permis à Emmanuel Macron de constituer le gouvernement dont il rêvait ? Parité quasi parfaite, pas d’égos démesurés à gérer et, derrière chaque « poids lourd », un homme de confiance (Griveaux derrière Le Maire, par exemple).

Gérard Courtois : C’est bien possible, même si le président de la République a été obligé d’agir sous contrainte. Il est évident qu’il n’y a presque plus de poids lourds politiques dans l’équipe d’Edouard Philippe. On ne peut guère ranger dans cette catégorie que Bruno Le Maire, Jean-Yves Le Drian et, à sa manière, Nicolas Hulot. Pour le reste, cette équipe renforce le gouvernement des experts, des novices en politique, et des fidèles du chef de l’Etat. Emmanuel Macron a constitué un gouvernement à son image.

-Remi : Le MoDem est représenté au gouvernement, mais ne perd-il pas en visibilité ? Auparavant, il avait trois ministères clés. Il n’a maintenant que des « sous-ministères ». Edouard Philippe a-t-il sanctionné le MoDem ?

Gérard Courtois : Non, le MoDem n’est pas sanctionné. Même si ses deux ministres sont moins connus que Bayrou et de Sarnez, ils n’en sont pas moins les représentants de ce parti. Il reste que, depuis des années, le MoDem s’est fait déplumer de bon nombre de ses responsables et que le vivier de talents n’était pas si large que ça.

-PC : Une précision par rapport à l’une de vos réponses précédentes. Le Drian a quitté la présidence de la région Bretagne. Mme Darrieussecq devrait donc quitter sa mairie, non ?

Gérard Courtois : La précision est utile. Jean-Yves Le Drian a effectivement quitté la présidence de la région Bretagne depuis sa nomination dans le premier gouvernement Philippe. La règle fixée par le président de la République devrait également s’appliquer à Madame Darrieussecq.

-Ln : La ministre de la justice peut-elle rester au Conseil constitutionnel ?

Gérard Courtois : Non, c’est parfaitement incompatible. Nicole Belloubet va être remplacée pour la durée restante de son mandat au Conseil constitutionnel. Elle avait été nommée en 2013 sur proposition du président du Sénat. C’est donc au président du Sénat, Gérard Larcher, qu’il revient aujourd’hui de choisir ce nouveau juge constitutionnel.

-Harvey : Quel regard portez-vous sur la compétence technique de cette nouvelle équipe ?

Gérard Courtois : C’était déjà une des particularités du gouvernement Philippe I : confier autant que possible les départements ministériels à bons connaisseurs ou praticiens du sujet. C’est évident pour l’éducation nationale, l’enseignement supérieur, les transports, la santé, etc.

Cette dimension est renforcée de manière très symbolique par la nomination de Madame Belloubet à la justice, en lieu et place d’un pur politique (François Bayrou). On jugera sur pièce très rapidement de leurs talents respectifs. La grande question sera celle de la capacité de ces experts à affronter les enjeux politiques de leur ministère, et en particulier, d’affronter la fosse aux lions de l’Assemblée nationale, soit lors des séances de questions d’actualité, soit lors de la discussion de projets de loi. C’est un sport très particulier auquel tout le monde n’est pas forcément préparé.

-Tom : Un ministre qui est député touche-t-il les deux émoluments, ou est-ce le suppléant qui les reçoit ?

Gérard Courtois : Dès lors qu’il est nommé, un ministre touche son salaire de ministre et c’est évidemment son suppléant, siégeant à l’Assemblée nationale, qui touche son indemnité de député.

-gc : Compétences techniques, dosage précis, comme vous le décrivez… Mais le pouvoir économique demeure entre les mains de ministres LR. Qu’en pensez-vous ?

Gérard Courtois : Effectivement, les deux ministres chargés de l’économie (Le Maire et Darmanin) viennent des rangs des Républicains. C’est également le cas du premier ministre, qui dispose en la matière du pouvoir d’arbitrage lors de la préparation du budget. Il reste que le chef de l’Etat fixe la ligne et les principaux arbitrages. En outre, il est probable que c’est le sens de la nomination à Bercy de Benjamin Griveaux, un très proche du président de la République, qui aura donc l’œil sur les principaux dossiers.


-Aislinn : L’arrivée de deux ministres femmes à des postes dits régaliens (ministère des armées et ministère de la justice) suffit-elle à dire que ce nouveau gouvernement respecte mieux une parité effective, étant donné que l’ancien gouvernement était critiqué pour avoir mis des femmes majoritairement à des ministères « mineurs » ?

Gérard Courtois : On peut difficilement être plus royaliste que le roi : ce gouvernement est strictement paritaire et un ministère régalien supplémentaire (la justice) a été confié à une femme.

-Hélène : La suppression du titre de ministre d’Etat pour la nouvelle garde des Seaux a-elle une signification politique ? Pourquoi l’enlever ? Cela donne un peu l’impression qu’une femme ne peut pas être ministre d’Etat.

Gérard Courtois : Le titre de ministre d’Etat avait été accordé à Bayrou du fait de son poids politique. Ce n’est pas le cas de Madame Belloubet. En revanche, celle-ci reste en troisième position dans l’ordre protocolaire. Ce qui n’est pas anodin pour une ministre novice.

-maïeuticien : Pensez-vous que ce soit une équipe gouvernementale robuste ? Sauriez-vous imaginer quelles tensions pourraient le voir se défaire ?

Gérard Courtois : Je pense que le principal défi pour bon nombre de ces ministres qui n’ont pas d’expérience politique ancienne ou solide va être d’affronter les oppositions à l’Assemblée nationale. Que ce soit Les Républicains, les élus de La France insoumise ou du Front national, ils ne vont pas tarder à tester ces novices et cela peut être assez déstabilisant, voire cruel. Bien avant que d’éventuelles tensions naissent au sein du gouvernement, c’est sur ce terrain-là que l’on jugera de la robustesse de l’équipe Philippe.