La veuve d’Helmut Kohl, Maike Kohl-Richter, avec Salomon Korn, président de la communauté juive de Francfort-sur-le-Main, le 18 juin à Oggersheim (Rhénanie-Palatinat). | STEFAN PUCHNER / AFP

La mort permet parfois de régler certains comptes. Celle d’Helmut Kohl, disparu vendredi 16 juin à l’âge de 87 ans, en est l’illustration. Selon Der Spiegel, la veuve de l’ancien chancelier allemand, Maike Kohl-Richter, aurait ainsi demandé à Angela Merkel de se tenir à l’écart de l’hommage qui sera rendu à son époux défunt, samedi 1er juillet, à Strasbourg. D’après les informations de l’hebdomadaire, Mme Kohl-Richter aurait ainsi prié la chancelière de ne pas prendre la parole lors de la cérémonie, souhaitant que seules des personnalités étrangères puissent s’exprimer. Parmi elles, le premier ministre hongrois Viktor Orban, qu’Helmut Kohl avait reçu en avril 2016, en pleine crise des réfugiés, ce qui avait à l’époque été considéré comme un affront à Mme Merkel en raison de l’opposition viscérale de M. Orban à la politique d’accueil de cette dernière.

Interrogé sur la teneur des échanges téléphoniques entre les deux femmes, l’entourage de Mme Merkel a refusé, mercredi, de confirmer les informations du Spiegel. Finalement, celle-ci prononcera bien un discours, à Strasbourg, le 1er juillet, comme le feront également le président de la Commission européenne, Jean-Claude Juncker, le président du Parlement européen, Antonio Tajani, le président du conseil européen, Donald Tusk, le président français, Emmanuel Macron, et l’ancien président américain, Bill Clinton.

Rancœur non digérée

Reste que l’affaire en dit long sur la rancœur non digérée de la famille de l’ancien chancelier à l’égard de Mme Merkel. Ministre de Kohl pendant sept ans, celle que ce dernier appelait, non sans condescendance, « la gamine », s’était émancipée de son mentor, un an après la défaite de ce dernier aux élections législatives de 1998 après seize ans au pouvoir, dénonçant les pratiques financières frauduleuses de l’ancien président de l’Union chrétienne-démocrate (CDU) et profitant du scandale pour s’imposer à la tête du parti quelques mois plus tard.

Aux règlements de comptes politiques se mêlent les règlements de comptes familiaux. Après son passage par Strasbourg, lors duquel il aura été recouvert du drapeau européen, le cercueil d’Helmut Kohl ne rejoindra pas le caveau familial de Ludwigshafen (Rhénanie-Palatinat), où reposent les restes de ses parents et de sa première femme, Hannelore, qui s’est suicidée en 2001. C’est en effet à Spire, autre ville de ce Land du sud-ouest de l’Allemagne, dont il fut le ministre-président de 1969 à 1976, que l’ancien chancelier sera enterré. Une décision qu’il aurait prise avec sa seconde épouse, en 2015, à un moment où son état de santé empirait, selon l’un de ses proches, Kai Diekmann, ancien rédacteur en chef du tabloïd conservateur Bild.

Mercredi 21 juin, un nouvel épisode est venu s’ajouter à ce vaudeville politico-familial scrupuleusement chroniqué par la presse allemande. Comme l’a rapporté l’agence de presse DPA, Walter Kohl, le fils aîné de l’ancien chancelier, qui aurait appris à la radio la mort de son père, avec lequel il était fâché depuis des années, se serait ainsi vu refuser l’accès au domicile de celui-ci par la police, alors qu’il était accompagné de deux des petits-fils de celui-ci. Une version contestée par l’avocat de l’ancien chancelier, selon lequel Walter Kohl, en froid également avec la seconde épouse de son père, aurait délibérément refusé de le prendre au téléphone, la veille, alors qu’il souhaitait le joindre pour organiser au mieux sa venue au chevet de son père. Et ce dans le seul de but, selon l’avocat, de « mettre en scène un coup d’éclat ».

Chef du service politique du quotidien Süddeutsche Zeitung, Heribert Prantl est sans doute celui qui a résumé le mieux ce feuilleton sordide qui finirait presque par faire passer au second plan le legs d’Helmut Kohl, qui avait pourtant été célébré unanimement, au soir de sa mort, comme « le chancelier de l’unité », celui qui présida à la réunification allemande, en 1990, après la chute du mur de Berlin : « Désormais plane au-dessus de l’hommage qui lui est rendu quelque chose de tragique. Tout se passe comme si se jouait une pièce d’Eschyle, le premier des tragiques grecs. Tout cela ressemble à une Orestie allemande », a commenté, mercredi, le journaliste, en référence à cette trilogie relatant les cruelles et sanglantes vicissitudes de la mythique famille des Atrides.