SEVERIN MILLET

C’est une révolution. Dans son avis sur les « demandes sociétales » de recours à l’aide médicale à la procréation, rendu public mardi 27 juin, le Comité consultatif national d’éthique (CCNE) se prononce en faveur d’une ouverture de la procréation médicalement assistée (PMA) aux couples de femmes et aux femmes seules qui souhaitent procréer sans partenaire masculin grâce à un don de sperme. La PMA est aujourd’hui réservée aux couples hétérosexuels dont l’infertilité est médicalement constatée.

Le CCNE est en revanche hostile à l’autoconservation des ovocytes, qui permet à une femme, grâce à la congélation, de tenter de décaler une grossesse dans le temps. Il rejette également la légalisation de la gestation pour autrui. « Notre avis ne va pas plaire à tout le monde et va provoquer un grand débat », reconnaît Jean-François Delfraissy, le président de cette institution chargée d’éclairer le gouvernement sur les enjeux bioéthiques.

Les avis du CCNE sont seulement consultatifs, mais cette position ouvre la voie à une évolution de la législation. Pendant la campagne présidentielle, Emmanuel Macron s’était déclaré « favorable à une loi qui ouvrira la PMA aux couples de lesbiennes et aux femmes célibataires ». « J’attendrai que le Comité national d’éthique ait rendu son avis pour pouvoir construire un consensus le plus large possible », ajoutait-il dans sa lettre ouverte aux personnes LGBT (lesbiennes, gays, bi et trans) du 16 avril. Les pays voisins de la France (Espagne, Belgique, Grande-Bretagne) proposent ces techniques aux Françaises, moyennant plusieurs milliers d’euros.

« Points de butée »

Le texte du CCNE était attendu de longue date. Le Comité s’est saisi du sujet en février 2013, en plein débat sur l’ouverture du mariage aux personnes de même sexe, alors que les cortèges de La Manif pour tous signifiaient leur hostilité dans la rue. Soucieux d’éteindre l’incendie, le gouvernement socialiste avait conditionné une évolution législative à un éventuel feu vert de l’instance consultative. Le sujet, qui figure en tête des revendications des associations LGBT est toujours extrêmement inflammable. Ses opposants, dont La Manif pour tous, restent mobilisés contre ce qu’ils appellent la « PMA sans père ».

C’est logiquement ce sujet qui a provoqué le plus de débats au sein du CCNE. « Les deux tiers du Comité se sont prononcés pour, alors qu’un tiers ne va pas du tout dans le même sens », précise Jean-François Delfraissy. « Cette demande d’aide médicale à la procréation, en l’occurrence une insémination artificielle avec donneur (IAD), pour procréer sans partenaire masculin, en dehors de toute infécondité pathologique, s’inscrit dans une revendication de liberté et d’égalité dans l’accès aux techniques [médicales] pour répondre à un désir d’enfant », estime l’institution. « L’analyse du CCNE, s’appuyant sur la reconnaissance de l’autonomie des femmes (…) le conduit à proposer d’autoriser l’ouverture de l’IAD à toutes les femmes. Cette ouverture peut se concevoir pour pallier une souffrance induite par une infécondité résultant d’orientations personnelles », poursuit-elle.

Le comité souligne cependant des « points de butée », qui expliquent l’opposition d’une partie des membres : « les conséquences pour l’enfant, le risque de marchandisation accrue, les conditions de faisabilité ». Il relève « un risque de provoquer un allongement des délais d’attente lié à la rareté actuelle des gamètes ou une rupture du principe de gratuité des dons ». Il suggère donc que soient « étudiées et définies des conditions d’accès et de faisabilité en distinguant la situation différente des couples de femmes et des femmes seules, en maintenant le principe actuel de gratuité des dons et en étudiant les modalités (remboursement refusé ou différencié) pour que l’Assurance-maladie ne supporte pas les charges financières correspondantes ».

« Protocole lourd »

Sur l’autoconservation des ovocytes, l’avis du CCNE est réservé. Alors que l’Académie de médecine s’est dite favorable, dans un avis publié lundi 19 juin, à la possibilité pour les femmes de faire vitrifier leurs ovules en vue d’une grossesse ultérieure, le Comité d’éthique met en avant le « caractère très contraignant de la procédure ». Elle est aujourd’hui réservée en France aux femmes gravement malades qui subissent un traitement risquant de compromettre leur fertilité, ou à celles qui donnent leurs ovocytes.

« Le protocole est lourd, précise M. Delfraissy. Il entraîne des stimulations ovariennes répétées chez des femmes jeunes, des anesthésies, des risques infectieux et hémorragiques, pour une absence de garantie de résultat puisque le taux de succès ne dépasse pas 60 %. » Le CCNE met en garde contre les risques de « pressions sociales et professionnelles émanant de l’entourage ou des employeurs ». Il estime en revanche « essentiel de délivrer une information sérieuse sur l’évolution de la fertilité féminine », qui chute après 35 ans.

Concernant la gestation pour autrui, le Comité se situe dans la continuité de ses avis antérieurs. Il est hostile à sa légalisation, en raison des « violences juridiques, économiques, sanitaires, et psychiques qui s’exercent sur les femmes recrutées comme gestatrices et sur les enfants qui naissent et sont objets de contrats passés entre des parties très inégales ». Il souhaite au contraire le renforcement des moyens de prohibition au niveau national et international.