Les fins de législature sont rarement propices aux réformes d’envergure. L’Allemagne est peut-être en train de démontrer le contraire. A moins de trois mois des élections législatives du 24 septembre, le Bundestag pourrait adopter, vendredi 30 juin, une loi instaurant le mariage homosexuel. Une hypothèse qui, il y a encore quelques jours, paraissait pourtant inimaginable.

Contre toute attente, c’est Angela Merkel qui est à l’origine de ce coup de théâtre politique. Interrogée sur le sujet par le magazine féminin Brigitte au Théâtre Maxime-Gorki de Berlin, la chancelière a déclaré, lundi 26 juin, qu’elle était favorable à une discussion qui « aille dans le sens d’une prise de décision en conscience ». Jusqu’à présent, son parti, l’Union chrétienne-démocrate (CDU), s’était toujours opposé au mariage homosexuel.

Pris de court par le revirement de Mme Merkel, plusieurs responsables politiques ont décidé de la prendre au mot. A commencer par Martin Schulz, le président du Parti social-démocrate (SPD), et Katrin Göring-Eckardt, la chef de file des députés écologistes. Mardi, l’un et l’autre ont réclamé que le Bundestag inscrive le mariage homosexuel à son ordre du jour avant la fin de la session parlementaire, prévue vendredi.

Braconnage sur les terres du SPD

Une telle accélération du calendrier n’était pas prévue. Ces derniers jours, la question du mariage homosexuel était certes revenue dans le débat politique. Tour à tour, les Verts, le Parti libéral-démocrate (FDP) et le SPD avaient déclaré qu’ils ne signeraient aucun « contrat de coalition » après les législatives, si celui-ci ne prévoyait pas son adoption. Une façon, pour chacune de ces formations, de ramener vers eux des électeurs qui pourraient être tentés de voter pour la CDU en septembre, non par sympathie pour le parti conservateur mais parce qu’ils pensent que Mme Merkel est la mieux qualifiée pour diriger le pays.

Cette crainte est particulièrement vive chez les sociaux-démocrates. Selon un récent sondage de l’institut Infratest Dimap pour la chaîne ARD, 24 % des sympathisants du SPD préféreraient voter pour Mme Merkel plutôt que pour M. Schulz si l’élection à la chancellerie se faisait au suffrage universel direct.

En braconnant sur les terres de ses adversaires à trois mois des élections, Mme Merkel fait incontestablement montre d’une redoutable habileté politique. « Cette femme est décidément incroyable. Dans sa maîtrise de l’art politique, il faut reconnaître qu’elle est tout simplement géniale », nous confiait une députée écologiste, mardi, sous couvert d’anonymat.

Ce faisant, la chancelière prend toutefois peu de risques. Selon le dernier baromètre politique de la chaîne ZDF, publié le 23 juin, 73 % des Allemands sont pour le mariage homosexuel. Parmi les sympathisants du SPD, des Verts et de Die Linke (gauche radicale), ils seraient plus de 80 %. Même chez les électeurs de la CDU, cette opinion serait majoritaire : selon ce sondage, 64 % d’entre eux seraient d’accord avec l’idée que les homosexuels puissent se marier et donc bénéficier des mêmes droits que les couples hétérosexuels, notamment en matière d’adoption. Un droit qui ne figure pas dans la loi sur le « partenariat de vie » – l’équivalent allemand du pacs français – adoptée en 2001.

Risque de rallier l’extrême droite

Auprès des parlementaires CDU, la prise de position de Mme Merkel n’a cependant pas fait l’unanimité. Afin de désamorcer une éventuelle fronde, la chancelière a souhaité, mardi, que la discipline de groupe ne s’applique pas et que chacun puisse voter, sur se sujet, selon sa conscience.

De son côté, Volker Kauder, le président du groupe CDU au Bundestag, a appelé les députés conservateurs à être le plus nombreux possible à prendre part au vote, quand celui-ci aura lieu. Anticipant des débats tendus parmi ses troupes, il a également demandé aux députés de son parti opposés au mariage homosexuel d’être « respectueux » envers ceux qui sont de l’avis contraire.

Mardi soir, les parlementaires de la CDU n’avaient pas encore tranché sur le fait de savoir s’ils accepteraient ou non d’inscrire à l’ordre du jour l’examen de la loi sur le mariage homosexuel avant la fin de la session parlementaire.

Certains poussaient en ce sens. D’autres, à l’inverse, suggéraient d’attendre la prochaine législature pour ouvrir le débat, notamment par crainte de voir leurs électeurs se tourner vers le parti d’extrême droite Alternative pour l’Allemagne (AfD). « Je pense que notre choix de nous montrer ouverts [sur la question du mariage homosexuel] est purement stratégique. Et j’ai peur que, ce faisant, nous jetions une partie de nos électeurs dans les bras de l’AfD », a ainsi déclaré le député CDU Martin Patzelt au Spiegel.

A la traîne dans les sondages, qui la créditent d’environ 8 % des voix aux législatives, soit presque deux fois moins qu’à la fin 2016, l’AfD n’a pas manqué de réagir, dans l’espoir de tirer profit du revirement de Mme Merkel. « Nous ne sommes pas ouverts au mariage pour tous, mais nous sommes en revanche ouverts à tous les électeurs conservateurs », a déclaré Frauke Petry, la coprésidente du parti, dans un communiqué publié mardi en fin de journée.