Réédité en DVD, hélas sans le moindre bonus, voici un film mythique de la Nouvelle Vague. Six courts-métrages tournés à Paris en 1965 par de jeunes cinéastes, dans des conditions de liberté à peu près totale. Tel est le pari de l’époque, voulu par Barbet Schroeder, lui-même jeune producteur des Films du Losange, une société de production qu’il vient de créer avec Eric Rohmer. Cette initiative répond, pour les deux hommes, au moment difficile que traverse la Nouvelle Vague après des débuts éclatants et dont, comme mouvement tout du moins, elle ne se remettra pas. Paris vu par… est donc à la fois le premier long-métrage produit au Losange et la cristallisation d’un collectif paradoxalement saisi au moment de sa chute.

Au demeurant, le ver est dans le fruit. Ni Truffaut ni Rivette n’en sont, écartés pour avoir évincé Rohmer de la tête des Cahiers du cinéma. Du noyau historique demeurent donc Jean-Luc Godard, Claude Chabrol et Eric Rohmer, auxquels on adjoint des compagnons de route en les personnes de Jean Rouch, Jean-Daniel Pollet et Jean Douchet. Cahier des charges : quinze minutes et un quartier par cinéaste, seize millimètres, décor naturel, son direct, comédiens non professionnels. L’esprit est ici dans la technique.

Marivaudage à Saint-Germain

Douchet, proche de Rohmer, critique réputé appelé à devenir une éminence dans le domaine, s’essaie à la réalisation en mettant en scène un marivaudage à Saint-Germain-des-Prés. Une belle Américaine, un beau garçon, fils d’ambassadeur, qui la séduit et l’emmène au volant de sa Bentley dans sa garçonnière de luxe. En réalité, la jeune femme découvre qu’il gagne sa vie en faisant le modèle dans une académie de peinture, en même temps que le véritable propriétaire entreprend à son tour de la séduire. L’exercice, qui a de l’esprit, manque un peu d’incarnation.

Plus senti est Gare du Nord, de l’ethno-cinéaste Jean Rouch, exploit esthétique et sportif à la fois. Aux antipodes de la broderie germanopratine, nous voici dans un Paris populaire, où la dispute saignante entre un jeune couple dans les quatre murs de son logement exigu, sa rupture conséquente, la fuite en avant de la fille le long des voies ferrées et l’irruption d’un dandy désespéré qui veut la séduire sont filmées en un ébouriffant et vibrant plan-séquence. La morale de l’histoire est féroce pour la jeune femme, petite-bourgeoise qui vitupère la médiocrité de son mari mais s’avère incapable de saisir l’aventure quand elle se présente.

Jean-Daniel Pollet, quant à lui, se fait fort de trahir dans Rue Saint-Denis le cahier des charges de la série. Claquemuré dans un décor miteux et coloré qui fait office de chambre d’un commis de cuisine de la porte Saint-Denis, ce cinéaste si singulier organise la rencontre explosive d’une actrice de caractère qui compose (Micheline Dax en prostituée parigote) et d’un type qui reste lui-même, ce qui est merveilleux quand il s’agit du maladroit, emprunté et fulgurant Claude Melki, qu’on retrouvera chez le cinéaste dans les chefs-d’œuvre L’amour c’est gai, l’amour c’est triste, puis L’Acrobate. Grâce à ce film, qui ne dédaigne pas la devinette, vous saurez enfin quelle est la différence entre Florence et Bécon-les-Bruyères, ce qui n’est tout de même pas rien.

Folie furieuse sur la place de l’Etoile

Nulle devinette chez Rohmer, qui ouvre sa Place de l’Etoile par un commentaire un peu fastidieux sur son histoire, pour mieux introduire l’énigme de ce qu’il faut bien nommer sa folie furieuse. Considérations urbanistiques sur le primat de la circulation automobile, routine balzacienne d’un chemisier du quartier ancien champion du 400 mètres et fable criminelle se mêlent dans cette histoire métropolitaine, menée tout autour de la place avec la rigueur du géomètre et la fantaisie du poète.

A la circonvolution, Godard préfère l’aller-retour, plus direct et plus claquant. Celui d’une jeune femme qui mélange deux pneumatiques propulsés à deux amants, tente maladroitement de rattraper le coup en se jetant tour à tour dans leurs draps, et qui se fait éconduire avec fracas dans chaque cas, en s’apercevant que les missives étaient parvenues aux bons destinataires.

Jean-Luc Godard filme l’embrouille d’une intrigante prise à son propre piège

L’affaire, filmée façon cinéma direct par l’Américain Albert Maysles, se déroule entre l’atelier d’un artiste de Montparnasse et celui d’un carrossier de Levallois. Elle se révèle d’une féroce misogynie, réconciliant les classes dans un concert de ferraille qui brouille l’embrouille d’une intrigante prise à son propre piège. La femme (interprétée par Joanna Shimkus) est un sosie d’Anna Karina, dont Godard vient alors de divorcer. L’intrigue reprend quant à elle, sur un très beau thème musical de Michel Legrand (Blues chez le bougnat), un moment d’Une femme est une femme (1961), dans lequel Jean-Paul Belmondo raconte cette histoire, de fait tirée d’une nouvelle de Jean Giraudoux (La Méprise).

Il restera à Chabrol de clore le cycle sur ce même motif d’un langage si outrancier qu’il invite à la surdité, ici ironiquement appliqué à La Muette. Soit un couple du 16e arrondissement passé à la moulinette – lui-même en lutineur de soubrette et imbécile phallocrate face à Stéphane Audran en momie de la conjugalité bourgeoise – et leur garçon qui fuit l’obscénité querelleuse de cet arrangement dans la trouvaille providentielle d’une paire de boule Quies. La chute, sanglante, a logiquement lieu dans l’escalier.

Paris vu par... (bande-annonce)

Film collectif français (1 h 40). 1 DVD, Editions Montparnasse. www.filmsdulosange.fr/fr/film/138/paris-vu-par et www.editionsmontparnasse.fr/p1857/Paris-vu-par-DVD