Les manifestants de Al-Hoceima (ici le 11 juin) se sont organisés autour d’un mouvement, nommé Hirak. | AFP

Combien de blessés et d’arrestations ? Si aucun décompte officiel n’a été donné, la soirée du lundi 26 juin a été, selon plusieurs témoignages, la plus violente depuis le début de la mobilisation sociale à Al-Hoceima, dans le nord du Maroc, il y a huit mois. « Ce fut une journée très longue, dans un climat particulièrement lourd », souligne une militante locale jointe par téléphone, qui évoque « de nombreuses arrestations, des confrontations dans plusieurs quartiers ainsi que des blessés ».

Pendant toute la journée, des militants ont posté sur les réseaux sociaux des vidéos montrant des barrages de police installés sur les routes afin d’empêcher les habitants des environs de rejoindre Al-Hoceima. Un appel à y manifester avait été lancé pour lundi, jour de l’Aïd el-Fitr, qui marque la fin du ramadan. Un nombre important de personnes ont toutefois réussi à se regrouper dans les rues de la ville en fin de journée, où ils ont été violemment dispersés par la police, selon plusieurs témoignages et vidéos.

De son côté, la MAP, l’agence de presse marocaine, citant des autorités locales, a indiqué qu’« un groupe d’individus, dont certains étaient encagoulés, ont procédé (…) à des actes de provocation et à des jets de pierres à l’encontre des forces de l’ordre, causant des blessures à 39 éléments de ces forces ayant nécessité leur transfert à l’hôpital ». Ces individus se seraient aussi attaqués au service des urgences de l’hôpital provincial, « causant des dégâts matériels à ses dépendances et à l’une des ambulances qui transportait deux éléments blessés des forces de l’ordre ».

Option sécuritaire

Depuis le 28 octobre et le décès d’un jeune marchand de poisson du pays, Mouhcine Fikri, broyé dans une benne à ordures alors qu’il tentait d’empêcher la destruction de sa marchandise saisie par la police, la mobilisation n’a jamais cessé à Al-Hoceima et dans plusieurs localités alentour. Elle s’est même durcie. Si les premiers cortèges exigeaient que justice soit rendue pour la mort du jeune Rifain, les rassemblements se sont rapidement mués en un mouvement plus large de revendications économiques et sociales en faveur de cette zone enclavée.

Animé par des jeunes de la région, le Hirak (« mouvance »), nom donné à ce mouvement de contestation, est longtemps resté pacifique. Jusqu’au vendredi 26 mai. Ce jour-là, Nasser Zefzafi, le leader du Hirak, a pris la parole dans une mosquée de la ville pour protester contre le prêche de l’imam qui avait accusé les manifestations de provoquer la « fitna » (le « désordre », la division). Les autorités ont alors ordonné son arrestation, marquant un durcissement de la crise. En un mois, plus d’une centaine de personnes, surtout des jeunes, ont été arrêtées, dont certaines pour des charges graves d’atteinte à la sécurité de l’Etat. Plusieurs milliers de policiers ont été envoyés à Al-Hoceima, sans parvenir à empêcher les manifestations quotidiennes réclamant la libération des jeunes arrêtés ces dernières semaines et des réponses aux revendications du mouvement.

Les accusations de répression se sont multipliées. Les ONG Human Rights Watch et Amnesty International ont affirmé dans un communiqué publié le 22 juin que Nasser Zefzafi avait été « battu et insulté » par les policiers lors de son arrestation et ont appelé à ouvrir une enquête. Une coalition marocaine regroupant vingt-deux associations de défense des droits de l’homme a, elle, dénoncé des arrestations « abusives » et l’usage « excessif » de la force lors des interventions des forces antiémeute dans le Rif.

Au-delà des cercles militants, on s’inquiète aussi de l’option sécuritaire choisie par le pouvoir. « Ce qu’il s’est passé à Al-Hoceima aujourd’hui, jour de l’Aïd, est une honte. Cette approche sécuritaire conduit tout le pays à une catastrophe », a jugé le journaliste et animateur télé Abdellah Tourabi dans un Tweet.

Les événements de lundi ont d’autant plus surpris que la veille, des déclarations du roi du Maroc, Mohammed VI, avaient laissé penser à un début d’apaisement. Dimanche soir, au cours d’un conseil des ministres à Casablanca, le souverain avait fait part de « sa déception, son mécontentement et sa préoccupation » pour le retard pris par le programme de développement consacré à la ville d’Al-Hoceima, et doté d’une enveloppe de 600 millions d’euros. Mohammed VI a expliqué « ne pas autoriser les ministres concernés à bénéficier du congé annuel afin qu’ils assurent le suivi des projets mentionnés ».