Editorial du « Monde ». Hongkong s’apprête à fêter, samedi 1er juillet, un anniversaire doux-amer. C’est une histoire qu’il faut surveiller de près. Il y a vingt ans, au soir du 1er juillet, le yacht royal Britannia quittait la baie de Hongkong, marquant pour la Grande-Bretagne la fin d’une présence de cent cinquante-cinq ans dans le sud de la Chine : à son bord, Chris Patten, le 28e et dernier gouverneur de la colonie britannique, le prince de Galles et le drapeau britannique, qui venait d’être remplacé par celui de la République populaire de Chine. C’était la dernière mission de ce vénérable navire, la fin du voyage aussi pour Hongkong la coloniale, un des derniers joyaux de ce qui fut un empire. La Chine, elle, célébrait le retour à la mère patrie de ce territoire qui avait été érigé en symbole de l’humiliation.

La rétrocession a été rendue possible par l’entente en 1984 entre l’ultralibérale Margaret Thatcher et le communiste pragmatique Deng Xiaoping. Le père des réformes économiques, et auteur de la célèbre phrase : « Peu importe qu’un chat soit blanc ou noir, s’il attrape des souris, c’est un bon chat », avait eu un « coup de génie », selon les mots de la Dame de fer. Il proposait que la colonie, une fois revenue dans le giron de la Chine, conserve pendant cinquante ans son autonomie, son Etat de droit hérité du Royaume-Uni et son way of life, comme disent les Britanniques. Deng avait expliqué à Thatcher que la Chine pourrait ainsi se développer économiquement et rejoindre le reste du monde développé, sans qu’il y ait besoin alors de changer le statut de Hongkong.

La date fatidique de 2047

L’accord fut conclu sous la forme d’une déclaration commune entre les deux pays. Il survécut à l’onde de choc provoquée par la répression sanglante du mouvement démocratique de Tiananmen en 1989. L’alliage étonnant entre le communisme et le capitalisme sur fond de gratte-ciel a tenu. Hongkong vit, depuis, sous le règne du principe « un pays, deux systèmes » et s’est intégré au nouvel empire chinois au fur et à mesure de la formidable croissance du pays, tout en conservant ses particularités – le respect de la loi et la liberté d’expression.

Mais, plus on approche de la date fatidique de 2047, plus les tensions s’aiguisent. Une nouvelle génération réclame plus de démocratie, en particulier un véritable suffrage universel, s’affrontant à l’obsessionnelle volonté de contrôle du Parti communiste chinois (PCC). Joshua Wong, l’une des figures emblématiques de cette jeunesse, n’avait que 8 mois le 1er juillet 1997. Vingt ans après, il dénonce les manquements de plus en plus fréquents à l’accord conclu en 1984 : la liberté de la presse se rétrécit, celle également des éditeurs critiques ; des hommes d’affaires sont enlevés dans les rues de la ville pour être jugés en Chine…

Chris Patten, qui avait tenté, durant son mandat (1992-1997), de poser les bases d’élections libres et justes, exprime aujourd’hui ses regrets : « Nous n’avons pas fait autant que ce que nous aurions dû faire. » Hongkong est un test pour voir quelle grande puissance sera la Chine au XXIe siècle, juge-t-il. La Grande-Bretagne a une responsabilité morale et légale, mais elle fait passer désormais au premier plan ses intérêts économiques. Le numéro un chinois, Xi Jinping, célébrera samedi, sur place, les 20 ans de la rétrocession. Il tentera de rassurer les habitants de Hongkong, mais nul doute que la génération rétrocession, celle née après 1997, ne se contentera pas de belles paroles.