Discours d’Emmanuel Macron devant le Congrès à Versailles, le 3 juillet. | JEAN-CLAUDE COUTAUSSE / FRENCH-POLITICS POUR "LE MONDE"

Nicolas Chapuis, chef du service politique du Monde, a répondu aux questions des internautes sur le discours d’Emmanuel Macron devant le Congrès à Versailles, qui fut principalement axé sur la réformes des institutions et tout particulièrement de l’Assemblée nationale.

Alexandre et Peterp : Quels seraient les gains financiers pour l’Etat de diminuer les parlementaires d’un tiers ? Moins de députés est-ce forcément mieux travailler ?

L’idée dans cette réforme (proposée par la plupart des candidats à la présidentielle) n’est pas nécessairement de faire des économies mais plutôt d’utiliser l’argent pour donner plus de moyens aux parlementaires restant pour travailler. Le raisonnement est le suivant : si on donne aux élus les moyens de se constituer un véritable petit cabinet (avec un juriste compétent, etc.) ils seront plus efficaces, ils travailleront mieux les textes et ils seront capables de mieux résister aux lobbies qui, eux, payent des armées de juristes pour bâtir des argumentaires que les députés n’ont pas les moyens d’expertiser. A charge pour eux de se spécialiser sur un domaine et d’apporter ainsi une vraie expertise sur les textes de loi et sur l’évaluation des textes mis en place.

EG 45 : La question du nombre de députés ne pourrait-elle être un écran de fumée démagogique, alors que l’information principale résiderait dans le mode de fonctionnement (lois en urgence, vote confidentiel dans les commissions…) qui conduirait à une perte substantielle du pouvoir des députés ?

Je ne crois pas qu’il s’agisse d’un « enfumage ». La réflexion sur la longueur du processus parlementaire est ancienne. En revanche, vous avez raison, il peut y avoir un juste milieu entre le temps parlementaire objectivement trop long aujourd’hui et une accélération trop forte, qui priverait les députés de leur droit d’amendement. Aujourd’hui, certaines navettes entre l’Assemblée nationale et le Sénat, de bords politiques opposés, sont stériles, chacun campant sur ses positions. Une seule navette pourrait souvent suffire. Le vote en commission en revanche va forcément soulever des grosses interrogations. Que vaut une loi qui n’a pas été votée par l’ensemble de la représentation nationale ?

Phil 49 : Pourriez-vous nous préciser comment mettre en œuvre une dose de proportionnelle ?

Pour commencer, il n’est pas forcément nécessaire de passer par une réforme constitutionnelle pour introduire de la proportionnelle. En ce qui concerne la « dose » de proportionnelle, les choses se compliquent.

Plusieurs élus mettent déjà en garde contre le côté anticonstitutionnel de la chose : en effet, les élus au Parlement ne représenteraient pas tous la même part de la population comme c’est le cas actuellement. S’il y a réduction du nombre de parlementaires et introduction d’une dose de proportionnelle, cela signifie qu’on se dirige vers un redécoupage massif des circonscriptions.

En imaginant qu’il y aura 400 députés dont 100 à la proportionnelle, il faut redécouper le territoire français en 300 circonscriptions de taille égale. On peut ensuite imaginer que les partis au-dessus d’un certain seuil se verraient attribuer une part des 100 députés restant, sur la base de leur score au premier tour. Mais tout cela reste encore assez flou.

La dose de proportionnelle est censée par ailleurs permettre de mieux représenter des partis comme le FN et La France insoumise, qui ont fait quasiment jeu égal dans les urnes à la présidentielle avec la droite et En marche ! et n’ont pourtant que quelques députés.

Dimi : Est-ce qu’il y aura également diminution des membres du Sénat ?

Oui, d’un tiers également. Le Sénat compte actuellement 348 membres. Il pourrait passer à 216.

Rock 60 : Pouvez-vous nous rappeler ce que fait aujourd’hui le CESE et que souhaite en faire Emmanuel Macron ?

Le Conseil économique, social et environnemental est la « troisième » assemblée de la République derrière le Sénat et l’Assemblée nationale. C’est une vieille institution, qui date de 1925, et qui a été réformée à plusieurs reprises. Elle se réunit au palais d’Iéna et elle comporte 233 membres, qui sont désignés par les syndicats, par le gouvernement et par des associations (notamment environnementales).

Son rôle est d’établir un lien entre la représentation nationale, le gouvernement et la société civile. C’est une assemblée consultative qui peut donner des avis d’expert sur des textes de loi. Mais le CESE est souvent accusé d’être surtout une instance de recasage pour des personnalités et de ne produire que des rapports sans intérêt ou sans effet.

Emmanuel Macron veut en réformer le fonctionnement en diminuant le nombre de membres et en en faisant la principale instance de consultation pour jauger de la qualité des textes de loi. Mais beaucoup d’autres instances tiennent aujourd’hui ce rôle et le chef de l’Etat n’a pas indiqué comment il comptait centraliser tout au niveau du CESE.

Seb : Est-ce que Sarkozy et Hollande avaient fait un discours à leur arrivée ? Est-ce qu’ils avaient été aussi applaudis que Macron hier ?

C’est Nicolas Sarkozy qui a institué la possibilité pour les présidents de réunir le Congrès pour discourir devant les parlementaires en 2008. François Hollande a convoqué le Congrès après les attentats du 13 novembre 2015. L’ambiance était au recueillement. Son discours avait été applaudi debout par les députés, en signe d’union nationale face au terrorisme.

Vous trouverez également un petit historique des adresses des présidents au Parlement dans cet article de Patrick Roger.

Pag : Sait-on qui est la « plume » de ce discours ? Macron l’a-t-il écrit seul ?

La plume « officielle » d’Emmanuel Macron est Sylvain Fort. Mais d’autres auteurs ont pu apporter des contributions. Et Emmanuel Macron a pour habitude de modifier grandement ses textes. Il y avait d’ailleurs des écarts significatifs entre la version écrite transmise à la presse et le « prononcé » du discours. C’est souvent le cas avec les responsables politiques qui « sortent » de leur discours écrit.

Renouveau et PC : Ne pensez-vous pas que la critique de la presse et de l’opposition, qui semblent en décalage avec l’opinion plutôt satisfaite d’un tel discours général, montre bien que le renouvellement attendu par les Français doit aussi s’appliquer à la presse ?

Je ne sais pas de quelle presse et de quels éditorialistes vous parlez. Ni de quelle « opinion ». Les avis me semblent assez divergents. Sur les chaînes d’info en continu qui ont pris le relais après le discours, le ton me semblait au contraire assez positif. La presse écrite porte ce matin des regards divergents sur le discours. Libération a trouvé le discours long et flou, Le Figaro titre sur le côté généraliste de l’intervention, Le Monde, dans son édition du jour, a intitulé son article principal « A Macron le cap, à Philippe la mise en pratique », en pointant le fait que l’essentiel des annonces a porté sur les institutions et que, sur le reste, le chef de l’Etat s’en est tenu aux grandes orientations. Il ne me semble pas qu’il y ait unanimité dans un sens ou dans l’autre…

PC : Pourquoi la presse et la plupart des politiques jugent le discours de Macron trop creux ou vide alors qu’il y a encore quelques jours, tout le monde critiquait ce discours parce qu’il allait empiéter sur celui du premier ministre ?

Nous n’avons pas dit que le discours de Macron allait empiéter sur celui de Philippe. Il n’a jamais été question que Macron entre dans les détails. Mais l’enchaînement des deux discours donne nécessairement au second une importance plus relative. M. Macron ne l’ignore pas. A travers ce geste, il fixe aussi ce que sera sa relation avec son premier ministre. Il fixe le cap et Edouard Philippe exécute. On peut regretter ou au contraire applaudir cette conception du partage des tâches au sein de l’exécutif, selon ses convictions.

Eric M : Comment sentez-vous la relation entre notre président et notre premier ministre ?

Le fait de placer le discours juste avant le discours de politique générale a été vu évidemment comme une manière de diminuer l’importance de l’intervention d’Edouard Philippe, qui est moins attendue. Il faut bien avoir en tête que le discours de politique générale est un moment clé pour un premier ministre, c’est vraiment son ADN, le marqueur de ses débuts à Matignon. C’est aussi le moment où le premier ministre impose son style. Jean-Marc Ayrault avait livré un discours ennuyeux et sans souffle, à l’image de son travail à la tête du gouvernement. Manuel Valls avait fait un discours très volontariste, donnant parfois le sentiment d’être le vrai patron de l’exécutif, trouble qui a perduré pendant tout son passage à Matignon.

En parlant avant son premier ministre et en lui laissant annoncer les détails de la mise en œuvre, Emmanuel Macron imprime l’idée que c’est lui qui fixe le cap et que la marge de manœuvre d’Edouard Philippe est restreinte. Mais c’est en quelque sorte en accord avec l’esprit de la VRépublique. Tous les locataires de l’Elysée ont beau répéter que « le président préside et le premier ministre gouverne », les institutions de la VRépublique, quand elles sont utilisées à fond comme c’est le cas ici, donnent une très forte prééminence au chef de l’Etat par rapport à son chef de gouvernement.