L’étape franchie est importante, mais la route est encore longue… Une manière un peu lapidaire de résumer le vote en plénière du Parlement européen, mardi 4 juillet, du « reporting public pays par pays ». Les députés européens ont adopté, en la musclant, cette importante proposition de directive de la Commission européenne, obligeant les multinationales à publier tous les ans les informations liées à leurs activités. Mais, pour que cette loi puisse être promulguée, il faut encore que les Etats membres tombent d’accord au sein du Conseil européen, ce qui n’a rien de gagné.

Le « reporting » pays par pays est une manière jugée efficace de lutter contre la fraude fiscale, puisque les informations publiées permettent théoriquement de vérifier si les entreprises sont effectivement taxées en rapport avec leur activité réelle dans les Etats où elles sont implantées. La Commission Juncker a rendu public son projet de texte juste après les révélations des « Panama papers », en avril 2016, et dans la foulée du scandale « LuxLeaks », fin 2014.

Intenses tractations

Le sujet est très sensible, et a tout de suite suscité un accueil très négatif des lobbys du « business ». Au Parlement européen, il a donné lieu à d’intenses tractations entre groupes politiques, qui sont finalement tombés d’accord sur un texte assez fidèle à la proposition initiale. Qu’en retenir ? Les sociétés enregistrant un chiffre d’affaires supérieur à 750 millions d’euros par an ou plus au niveau mondial devraient rendre publiques leurs informations dans toutes les juridictions fiscales où elles sont implantées.

Ces informations (nombre d’employés, montant des profits et des impôts payés, liste des exemptions fiscales si elles existent…) doivent être accessibles gratuitement en ligne et transmises aux administrations fiscales nationales. Les eurodéputés sont allés plus loin que la Commission, en exigeant ces informations de manière « désagrégées » dans tous les pays où opèrent les multinationales, y compris hors de l’Union européenne (UE). Donc : aux Etats-Unis, en Chine, mais aussi, par exemple, dans de notoires paradis fiscaux comme le Panama ou les îles Caïmans.

Le groupe des élus Verts, très actif dans la lutte contre la fraude et l’évasion fiscale à Strasbourg, a aussi réussi à faire voter une obligation d’informer sur les éventuelles « patent box », ces systèmes de déduction fiscale pour financer la recherche et développement souvent détournés pour faire de l’optimisation fiscale.

Clause d’exemption

En revanche, les conservateurs (groupe politique majoritaire) ont su imposer une « exemption » de publication pour les multinationales concernant des informations jugées « commercialement sensibles ». Exemption à réclamer chaque année aux administrations fiscales, qui peuvent la renouveler indéfiniment.

Il y a un « risque évident » que cette clause d’exemption « soit utilisée abusivement par les multinationales pour éviter de rendre publiques certaines opérations dans certains pays. Cela désavantage les entreprises qui n’ont rien à cacher », a réagi Katja Lehto-Komulainen, secrétaire générale adjointe de la Confédération européenne des syndicats, après le vote, mardi.

Pour que le texte soit définitivement adopté à Bruxelles, il doit encore être validé par le Conseil, puis cette institution aura à transiger avec le Parlement. « On craint qu’il n’y ait pas d’accord en vue au Conseil avant novembre, avant les élections fédérales allemandes en tout cas, regrette une source parlementaire. L’Allemagne et les Pays-Bas font partie des membres les plus réticents. »

Un texte pour protéger les lanceurs d’alerte

Volontariste, la Commission Juncker, qui a déjà su imposer, en 2015, une directive sur la transparence des « rulings » (les accords fiscaux entre Etats et multinationales), ne compte pas en rester là. Elle continue à travailler à sa propre liste des paradis fiscaux qui pourrait être prête pour décembre. Sera t-elle consistante et vraiment efficace ? A condition que les sanctions associées soient vraiment dissuasives.

Bruxelles réfléchit également à un texte pour protéger les lanceurs d’alerte, sans qui bien des scandales fiscaux, à commencer par « LuxLeaks« , n’auraient pas pu voir le jour. Peut-être sera t-il prêt avant fin 2017. Elle espère enfin que sa proposition d’une « assiette commune consolidée » de l’impôt sur les sociétés dans l’Union ne tombe pas aux oubliettes. Le risque est important : Malte ou le Luxembourg ont déjà dit tout le mal qu’ils en pensaient. Or, ce texte requiert l’unanimité, comme toutes les dispositions fiscales au niveau de l’Union.