« Face à ce régime en déshérence, les groupes armés occupent les espaces vides. Beaucoup croient voir les mains des deux derniers présidents centrafricains, en exil » (Photo: Le président Faustin-Archange Touadera aux Nations unies, le 23 septembre 2016). | © Mike Segar / Reuters / REUTERS

Bangui vit dans une bulle. D’autres capitales de pays en guerre – même si on hésite à qualifier ainsi les violences meurtrières qui, depuis septembre 2016, frappent de nouveau la République centrafricaine (RCA) – offrent cette image paisible, épargnée par les combats, alors que le reste du pays est à feu et à sang.

Mais cette déconnexion devient troublante lorsqu’elle provient des cercles de décision, nationaux et internationaux, censés ouvrir la voie à une sortie de crise. Pour reprendre les mots d’un diplomate occidental en poste à Bangui : « La Centrafrique va droit dans le mur et on ne sait pas comment l’éviter. »

Prenons les autorités centrafricaines. Rencontré mi-juin dans son vaste bureau de président du Parlement, Abdou Karim Meckassoua paraissait à mille lieues des tueries qui s’étaient déroulées quelques jours plus tôt à Bangassou. Certes, près de 800 kilomètres séparent Bangui de cette ville logée sur les rives du Mbomou, un affluent de l’Oubangui frontalier du Congo-Kinshasa. Traduit en heures de pistes ou de goudron défoncé, cela veut dire plusieurs jours de route. Idem pour Bria, plus au nord, tout autant martyrisée.

Bilan humanitaire désastreux

Là, pourtant, la résurgence d’affrontements entre milices chrétiennes anti-balaka et musulmanes de l’ex-Séléka – ceux-là mêmes qui ravagèrent la RCA entre 2012 et 2014 – se traduit en mai par plusieurs centaines de morts, civils pour la plupart, et des dizaines de milliers de réfugiés. Ils s’ajoutent à un bilan humanitaire déjà désastreux.

Plus d’un million de Centrafricains sont soit réfugiés hors des frontières (au Tchad et au Cameroun essentiellement), soit déplacés à l’intérieur du pays. Soit 20 % de la population. Selon le porte-parole du gouvernement, Théodore Jousso, « 14 des 16 provinces du pays sont aujourd’hui sous la coupe de groupes armés. »

Centrafrique : « La Minusca court d’un feu de brousse à l’autre »
Durée : 04:58

Pourtant, en ces jours sombres, ce qui préoccupait le président du parlement et M. Jousso était de savoir si l’opposition allait déposer une motion de censure contre le gouvernement. La raison de cette initiative ? La mauvaise volonté affichée du premier ministre, Simplice Sarandji, pour répondre aux élus au Parlement. « Futile ! lâche un diplomate africain en poste à Bangui. Le gouvernement ne travaille pas. Il n’existe même aucune task force gouvernementale pour traiter de l’urgence de la situation sécuritaire, mais l’opposition ne cherche qu’une chose : déboulonner le président et le gouvernement. »

Elu début 2016, le président Faustin-Archange Touadéra n’a connu que quelques mois d’état de grâce. Aujourd’hui, tout le monde critique son indécision et ses absences répétées du pays alors que la crise sécuritaire s’aggrave. A sa décharge, il a hérité d’un Etat fantôme dont la réalité ne dépasse guère les faubourgs de Bangui. Mais, comme ses prédécesseurs, son régime ne manque pas d’énergie pour dépecer ce qui reste du corps moribond de la Centrafrique et de ses richesses.

Régime en déshérence

Face à ce régime en déshérence, les groupes armés occupent les espaces vides. Beaucoup croient voir les mains des deux derniers présidents centrafricains, en exil. Celles de François Bozizé, qui garderait, depuis l’Ouganda, une influence sur les groupes anti-balaka et a quelques proches au gouvernement ; et celles, au Bénin, de Michel Djotodia, qui, porté par les armes de la Séléka et du voisin tchadien, a chassé le premier du pouvoir en 2013.

Les deux hommes ont des intérêts communs qui estompent leurs affrontements passés. Tous deux veulent être blanchis de leurs crimes et revenir dans le jeu politique. Cette question d’amnistie et d’immunité ne s’applique pas seulement à eux. Elle concerne également les petits chefs de guerre, qui exigent d’en bénéficier avant de déposer les armes. Quitte à commettre de nouveaux crimes pour montrer qu’il faut les prendre au sérieux.

Sauf que cette amnistie est aux yeux de l’ONU, notamment, une ligne rouge à ne pas franchir. Un récent rapport de l’ONU montre que l’impunité dont ont toujours bénéficié, depuis 2003, les responsables politiques et chefs de guerre centrafricains n’a fait qu’alimenter le cycle de violences suivant. Des cycles nourris, aussi, par la prédation des richesses nationales. Le contrôle des gisements de diamants, des mines d’or ou des voies de transhumance assure les revenus nécessaires au train de vie des chefs de guerre, à l’achat d’armes et permet de s’offrir les services de mercenaires tchadiens ou soudanais, entre autres.

Qui pour sauver les Centrafricains ?

Mais, dans le maquis comme à Bangui, aucun leader ne s’impose. Les groupes armés se font et se défont suivant des lignes politico-ethniques et religieuses tortueuses compliquant tout processus de négociation. Ce ne sont pourtant pas les initiatives qui manquent. L’Union africaine, les pays de la sous-région (l’Angola notamment), la communauté catholique Sant’Egidio… chacun y va de son plan, sans ligne commune. « Une véritable cacophonie qui fait le jeu des chefs de guerre », observe Thierry Vircoulon, chercheur à l’Institut français des relations internationales (IFRI).

Pendant ce temps, la Mission multidimensionnelle intégrée des Nations unies pour la stabilisation en République centrafricaine (Minusca), alliant lourdeur administrative et inefficacité militaire, court, au mieux et en retard, d’un feu de brousse à l’autre. Et la France fait semblant de regarder ailleurs, espérant éloigner, selon un militaire français, « le cauchemar d’une opération Sangaris II », réplique de celle de 2013 à 2016 dont le succès se mesure à l’aune de la catastrophe actuelle.

Qui alors pour sauver les Centrafricains ? A Bangui, on en vient à compter sur la météo plus que sur autre chose : l’arrivée de la saison des pluies qui embourbe les combattants et coupe des zones entières du reste du pays. Jusqu’en octobre, seulement.