Film sur Arte à 23 h 40

GERONTOPHILIA Bande Annonce VOST (2014)

Le titre aura tout lieu de rebuter. Le nom du réalisateur également, pour qui fréquenta ses œuvres antérieures (Hustler White, 1996 ; The Raspberry Reich, 2004 ; L.A. Zombie, 2010…). Frappées du cercle froid de la censure, en raison de leur nature pornographique, elles ne rencontrèrent qu’un public d’initiés. Pourtant, ce serait se fourvoyer que de vouer aux gémonies le nouveau film de Bruce ­LaBruce sur son simple titre. Lars von Trier, après tout, n’occulta rien du programme qu’il allait dérouler dans Nymphomaniac. A cette différence que LaBruce ne prétend pas explorer une pathologie mais évoquer, sur un mode tendre, un comportement sexuel atypique, la « gérontophilie » ou l’attrait sexuel pour un partenaire très âgé. C’est de fétichisme qu’il va être question, lequel engendre une belle histoire d’amour hors norme.

Pier-Gabriel Lajoie et Walter Borden | MK2 films

Lake a 18 ans et un goût pour les vieillards qui se manifeste d’autant plus honteusement que l’origine de son désir lui échappe. Il est amené à travailler dans une maison de retraite, où il fait la ­connaissance de M. Peabody, un octogénaire raffiné et pétillant. Une idylle naît entre les deux hommes qui défie la « normalité ».

Dans une première partie en forme d’errance intérieure, de trouble et de doutes pour son jeune protagoniste, Bruce LaBruce nous amène à reconsidérer nos certitudes quant aux déviances sexuelles. Ce désir pas banal pour les vieux messieurs surgit dans la vie de Lake, paré de l’innocence et de la pureté qui le caractérisent. Il a, par ailleurs, une petite amie de son âge, la délurée Désirée. Elle voit en lui un saint pour sa propension à aider autrui. C’est elle qui lui permettra de formuler son désir.

Walter Borden et Pier-Gabriel Lajoie | MK2 films

Faire bouger les lignes est au centre du travail de l’ex-punk et critique de rock canadien. Il y parvient grâce à cette romance, filmée avec tendresse et humour. Il fallait l’angélisme du jeune Pier-Gabriel Lajoie (Lake), qui fait là des débuts remarqués, pour nous attacher définitivement à cette histoire. Ni performeur ni homosexuel comme la plupart des acteurs employés jusqu’à présent par Bruce LaBruce, il a, depuis, croisé la route de Gus Van Sant.

En réalisant un film qui vise un large public, Bruce LaBruce aborde un tournant de sa carrière. Lui aussi souhaite sortir de l’ornière des genres et des catégories sclé­rosantes. A ce titre, M. Peabody est une incarnation de toutes les minorités : noir, homosexuel et vieux, il est voué à la relégation ­sociale. C’est aussi un des aspects de ce film : montrer ce qui dérange et faire surgir la beauté là où notre regard formaté est incapable de la voir. Rides, chairs distendues suscitent chez Lake une fascination esthétique qui s’accompagne d’une grande empathie. Il arrache M. Peabody à son environnement surmédicalisé pour lui offrir une dernière virée en voiture. Le road-movie métaphorise la trajectoire de deux vies qui n’auraient logiquement jamais dû se croiser. Lake fonce droit devant, quand M. Peabody, lui, tout à ses souvenirs, a les yeux rivés sur le rétroviseur. Ces deux mouvements-là sont bouleversants.

Gerontophilia, de Bruce LaBruce. Avec Pier-Gabriel Lajoie, Walter Borden, Katie Boland (Canada, 2013, 82 min).