Des migrants, à Catane (Italie), le 1er juillet. | ORIETTA SCARDINO/AP

Les chiffres sont impitoyables : 12 295 migrants enregistrés en Italie en l’espace d’une semaine, du 26 juin au 2 juillet, 85 183 depuis le 1er janvier (+ 20 % en l’espace d’un an) et, surtout, 2 150 noyés depuis la même date, selon des données relayées par la Commission de Bruxelles.

La crise migratoire, qui affecte d’abord l’Italie, pourrait être le thème européen de l’été. Il y a une semaine, les autorités romaines menaçaient de bloquer l’entrée des ports de leur pays aux bateaux transportant des personnes secourues en Méditerranée centrale. La question devait être le sujet unique d’une réunion (informelle, sans décision) des ministres de l’intérieur des Vingt-Huit, à Tallinn, en Estonie, jeudi 6 juillet.

Cette crise couvait depuis des mois mais les dirigeants européens préféraient commenter le succès de l’accord conclu avec la Turquie, qui a fait fondre le nombre d’arrivées en Grèce (9 300 depuis le 1er janvier). C’est toutefois la fermeture de la route des Balkans qui a entraîné le déplacement des flux vers les côtes italiennes. Et le problème a éclaté quand l’Italie, se disant victime d’une « énorme pression », a dit espérer – sans trop y croire – que l’Espagne, la France et d’autres pays lui viendront en aide, en acceptant l’accostage de certains bateaux.

Cette demande, qui semble surtout destinée à la France, ne peut être satisfaite. Emmanuel Macron et la chancelière allemande, Angela Merkel, se sont dits prêts à aider l’Italie mais 80 % du phénomène actuel sont liés à « des migrations économiques » ne relevant pas de l’asile politique, a insisté, jeudi 30 juin, le président français. La presse transalpine a dès lors titré « Macron déçoit l’Italie » (La Stampa) ou « Nous sommes seuls » (Il Giornale). Du côté des ONG qui effectuent des sauvetages, on évoque la difficulté pratique d’une telle éventualité, des embarcations transportant parfois des centaines de personnes ne pouvant effectuer de longues traversées.

Augmentation des efforts pour la « relocalisation »

Soucieux de rassurer le gouvernement italien, Paris et Berlin ont toutefois convoqué, dimanche 2 juillet, une réunion et exhorté leurs partenaires de l’UE à agir. Les ministres de l’intérieur français, allemand et italien proposent une série de mesures : un renforcement de la stratégie européenne des retours, un développement des contrôles à la frontière sud de la Libye, un soutien au Haut-Commissariat aux réfugiés des Nations unies et l’Organisation internationale des migrations pour améliorer les infrastructures d’accueil en Libye, etc.

Les ministres français et allemand ont évoqué, par ailleurs, une augmentation des efforts de leurs pays pour la « relocalisation » des personnes nécessitant une protection, une mesure peu goûtée, notamment par les pays d’Europe centrale et orientale. La Commission mise sur la relocalisation de 1 500 personnes par mois. Berlin pourrait passer de 500 personnes chaque mois à 750, Paris de 50 à 200.

Les trois ministres ont suggéré enfin deux projets qui suscitent une vive discussion : un soutien accru aux gardes-côtes libyens et la définition d’un « code de conduite » pour les ONG opérant en Méditerranée centrale afin d’« améliorer la coordination » avec elles.

Mardi 4 juillet, la Commission y est allée à son tour d’une série de propositions, assez semblables à celles du trio ministériel et consistant en grande partie en un rappel de projets antérieurs, pas toujours menés à bien. Elle a annoncé, en outre, le déblocage de 46 millions d’euros pour les autorités libyennes, en vue de projets préparés en commun avec l’Italie. Cette dernière devrait recevoir 35 millions pour une aide d’urgence tandis que les Etats de l’UE sont invités à réalimenter pour 2018, à hauteur de 200 millions, un fonds fiduciaire pour l’Afrique, auquel la France n’a affecté que 3 millions d’euros jusqu’ici (et l’Allemagne 50).

Promettant une mobilisation de ses diverses agences européennes (pour l’asile, le contrôle des frontières, s etc.), Bruxelles en a appelé encore à une conférence de donateurs pour favoriser la réinstallation de migrants dans leur pays d’origine, parallèlement à la négociation – très difficile jusqu’ici – d’accords de réadmission avec les Etats d’origine et de transit.

« Code de conduite »

La Tunisie, l’Algérie et l’Égypte sont, quant à elles, invitées à rejoindre l’opération de contrôle maritime « Sea Horse ». La Commission espère enfin établir en Libye, en 2018, un centre de coordination des secours en mer, ce qui suppose que tous les pays de la région déclarent leur zone d’intervention, y opèrent des sauvetages et partagent leurs informations, afin d’alléger la tâche de la marine italienne. Ce centre, installé à Tripoli, superviserait une zone allant de la Libye à la Grèce, en passant par l’Espagne.

Le « code de conduite » pour les ONG, présenté par Bruxelles comme la possibilité d’une « collaboration plus rationnelle » avec celles-ci pose des questions. « Les ONG doivent répondre à leur vocation de sauvetage » mais ne pas « alimenter elles-mêmes un flux incessant », commente-t-on au ministère de l’intérieur, à Paris.

Le gouvernement italien reproche lui aussi aux organisations humanitaires de créer un « effet d’aspiration » en s’approchant au plus près des côtes libyennes, ce qui inciterait les passeurs à lancer en mer des embarcations de plus en plus fragiles. Les ONG répondent qu’elles n’ont pas le choix et que la priorité est de sauver des vies.

« Au lieu de s’en prendre aux ONG, les Etats devraient s’intéresser aux gardes-côtes libyens, accusés d’avoir tiré sur des migrants », objecte l’eurodéputé Marco Affronte

Le « code » élaboré par l’Italie viserait à interdire le transbordement de migrants sur d’autres navires que ceux qui les recueillent, à obliger les ONG à la transparence sur leur personnel et leur financement, et à les empêcher de croiser dans certaines zones. « Au lieu de s’en prendre aux ONG, les Etats devraient surtout s’intéresser aux gardes-côtes libyens, accusés d’actes de contrebande et d’avoir tiré sur des migrants », objecte l’eurodéputé Vert italien Marco Affronte.

Les interventions des gardes-côtes mettent effectivement en péril réfugiés et migrants, affirme également Amnesty International, dans un rapport diffusé jeudi. L’organisation évoque, comme d’autres, la connivence de ce corps, formé et finassé par l’UE, avec des passeurs et les mauvais traitements qu’ils infligeraient aux personnes récupérées et ramenées en Libye. Les conditions dans ces centres posent d’autres questions, viols et tortures y étant apparemment fréquents.

« L’UE doit repenser sa coopération, déployer des navires supplémentaires, ouvrir des voies sûres et légales pour rejoindre l’Europe, souligne John Dalhuisen, le directeur d’Amnesty pour l’Europe. Si le deuxième semestre est à l’image du premier, 2017 peut devenir l’année la plus meurtrière pour la route migratoire la plus meurtrière du monde. »