Le sol martien apparaît désormais encore plus hostile à la vie bactérienne. | AGENCE SPATIALE INTERNATIONALE

1971. Dans un de ses célèbres refrains, David Bowie interroge l’humanité sur une énigme qui la fascine : y a-t-il de la vie sur Mars ? Objet des plus vives spéculations, la question occupait déjà l’esprit d’astronomes du XIXe siècle. Les récents travaux d’une équipe de chercheurs de l’Université d’Edimbourg, au Royaume-Uni, pourraient mettre un terme aux doutes que certains pouvaient encore nourrir.

Publiée jeudi 6 juillet par Jennifer Wadsworth et Charles S. Cockell dans Scientific Reports, l’étude s’inscrit dans la droite ligne d’une théorie qui circulait depuis plusieurs décennies déjà : la surface martienne serait toxique, capable d’éliminer la moindre bactérie. « On sait depuis les analyses menées par les atterrisseurs Viking, dans les années 1970, que le sol martien a une réactivité très particulière qui est restée longtemps inexpliquée », explique Olivier Poch, chercheur au Center for Space and Habitability de l’Université suisse de Berne.

Mais les scientifiques écossais viennent d’identifier un mécanisme chimique inédit qui confirmerait cette hypothèse. Principaux responsables : les ions perchlorates, des molécules formées d’atomes de chlore et d’oxygène.

Leur détection sur le sol de Mars ne date pas d’hier. « Les perchlorates ont été identifiés sur Mars en 2008, avec la mission de la NASA Phoenix, puis par Curiosity en 2015, et confirmé encore plus récemment par des observations en orbite », éclaire Hervé Cottin, professeur d’astrochimie à l’Université Paris-Est Créteil et membre du Laboratoire interuniversitaire des systèmes atmosphériques (LISA). Mais la découverte va plus loin.

Irradiation permanente par les ultraviolets

En compagnie de substances oxydantes, les perchlorates forment en effet un cocktail chimique auquel l’action des rayons UV confère de puissantes capacités bactéricides. Elles apportent ainsi aux terrains leur pouvoir antimicrobien. Les expériences se sont concentrées sur une souche bactérienne particulière, Bacillus subtilis, qui prolifère bien souvent sur les engins spatiaux envoyés depuis la Terre.

Les scientifiques ont reproduit en laboratoire une des caractéristiques principales de l’environnement martien : l’irradiation permanente par les ultraviolets. Sous l’action de ces rayons, les ions perchlorates ont révélé leur potentiel stérilisateur inattendu. Trente secondes ont en effet suffit aux UV pour réduire à néant une colonie de bactéries Bacillus subtilis mise en solution en présence de perchlorate de magnésium. Obtenir le même effet sous l’action seule du rayonnement lumineux, en l’absence de ces ions, nécessite deux fois plus de temps.

Les chercheurs ont ensuite confirmé ce potentiel dans des conditions plus représentatives encore du contexte martien : surface rocailleuse, absence d’oxygène, ou encore faible température. Bien que ralentie ou atténuée, l’action bactéricide demeure, quel que soit le paramètre considéré. Il en va de même sous l’action d’un rayonnement polychromatique, comparable à la lumière naturelle, alors que l’action des UV seuls avait dans un premier temps été testée.

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Afin d’explorer l’intégralité du champ des conditions expérimentales, les auteurs des travaux ont aussi considéré d’autres types de perchlorates : les perchlorates de calcium et de sodium. Ils ont également étudié les interactions possibles entre ces composés et divers constituants du sol martien : sulfates, oxydes de fer ou encore peroxyde d’hydrogène (plus connu sous le nom d’eau oxygénée).

Ils ont testé plusieurs combinaisons et ont de nouveau observé une diminution de la viabilité de la culture bactérienne. « Nous avons d’ailleurs été surpris : l’effet bactéricide des perchlorates est encore plus puissant lorsqu’ils sont irradiés en combinaison avec les autres composants de la surface de Mars », commente Jennifer Wadsworth, coauteure des travaux.

Les chercheurs concluent ainsi que c’est l’interaction entre le rayonnement ultraviolet, les substances oxydantes du sol de Mars, et surtout les perchlorates qui confère à la surface de la Planète rouge tout son potentiel toxique. « Je pense qu’il s’agit de la première étude poussée sur le pouvoir antibactérien de la combinaison entre UV et perchlorates », affirme Hervé Cottin.

Une découverte rassurante

Ces résultats permettent avant tout de réduire les craintes d’une contamination biologique de la quatrième planète de notre système solaire par des microbes terrestres. Alors que la course à la conquête de Mars bat aujourd’hui son plein, d’infinies précautions sont prises pour assurer la stérilité des engins envoyés vers la Planète rouge.

Comme l’exige l’ONU, dans son Traité relatif à l’espace extra-atmosphérique, chaque mission spatiale se doit en effet d’éviter toute contamination de l’astre visé. Le CNES a par exemple défini des normes strictes : pas plus de trois cents spores bactériennes par mètre carré à la surface d’un module martien. Dix fois moins même pour les équipements destinés à la recherche biologique, sur lesquelles moins de trente spores sont tolérées. Ces exigences impliquent des procédures de désinfection lourdes et coûteuses : traitements chimiques, thermiques ou même irradiations.

La découverte inédite des astrobiologistes de l’Université d’Edimbourg pourrait ainsi changer la donne dans le domaine de la protection planétaire, et plus particulièrement d’une potentielle contamination microbienne de Mars. Mais la prudence reste de mise. « Il faut aussi noter que les UV sont absorbés à la surface. Si les bactéries sont rapidement “enterrées”, elles pourraient donc être protégées », met en garde Hervé Cottin.

Les conclusions des chercheurs pourraient aussi tirer un trait définitif sur tout espoir de vie indigène sur Mars. Peut-être la réponse ultime à la question soulevée dans les seventies par le tube de David Bowie : non, définitivement non, pas de vie sur Mars.