L’Afrique du Sud « avait le devoir d’arrêter Omar Al-Bachir » lors de sa visite à Johannesburg en juin 2015, mais a failli à ses obligations vis-à-vis de la Cour pénale internationale (CPI), et l’a empêchée d’exercer son mandat. La décision rendue par les juges de la CPI, jeudi 6 juillet, très attendue sur le continent africain, n’est, sur ce point, pas une surprise.

Plus étonnant au premier abord est leur décision de dédouaner Pretoria d’éventuelles sanctions diplomatiques. Les juges auraient pu en référer au Conseil de sécurité des Nations unies ou à l’Assemblée des 124 Etats membres de la Cour qui ont ratifié le traité de Rome, mais se sont abstenus, estimant que cela « n’aurait pas d’effet ». Plutôt que sanctionner l’Afrique du Sud, ils ont critiqué la passivité du Conseil et de l’Assemblée.

Les Nations unies pointées du doigt

Depuis l’émission du premier mandat d’arrêt contre lui en 2009 pour « génocide, crimes contre l’humanité et crimes de guerre » commis durant le conflit du Darfour, le président soudanais Omar Al-Bachir a vu ses déplacements à l’étranger passablement compliqués, mais il a quand même pu voyager, y compris à l’invitation de pays membres de la Cour, normalement tenus d’exécuter sur-le-champ ses décisions, et donc de l’arrêter. A plusieurs reprises, la Cour s’est tournée vers le Conseil de sécurité de l’ONU, espérant qu’il prononcerait au minimum une condamnation diplomatique. Sans succès. C’est pourtant ce même Conseil qui, en mars 2005, avait demandé à la Cour d’enquêter sur les crimes du Darfour.

Les juges ont donc estimé qu’il serait « futile » de renvoyer de nouveau la question à New York, siège des Nations unies. Ils auraient pu aussi se tourner vers l’Assemblée des Etats parties à la Cour, mais, là encore, sans résultat à leurs yeux. Depuis plusieurs années, les 124 pays membres de la juridiction débattent de sanctions à mettre en place en cas de non-coopération d’un Etat, sans y parvenir.

Dans une opinion jointe à la décision, le juge français, Marc Perrin de Brichambault, pointe le problème. En convoquant l’Afrique du Sud en avril pour s’expliquer sur son refus de coopérer, « la chambre avait demandé aux Etats et aux Nations unies de répondre ». Seule la Belgique avait accepté de se prononcer, a-t-il rappelé. « Ce silence presque complet, a déclaré le juge, donne la mesure du caractère très sensible de l’immunité des chefs d’Etat en exercice », et « la prudence » avec laquelle les Etats traitent cette question.

Une question qui n’inquiète par seulement les chefs d’Etat africains. Depuis de nombreuses années, des diplomates européens s’interrogent, eux aussi, sur les conséquences diplomatiques qui découleraient de l’arrestation du chef d’Etat d’un autre pays. Un véritable casse-tête, et parfois un cauchemar, comme pour l’Afrique du Sud en juin 2015. Alors qu’Omar Al-Bachir se trouvait au sommet de l’Union africaine (UA) à Johannesburg, des juges sud-africains avaient demandé au gouvernement de l’empêcher de quitter le territoire, puis de l’arrêter. Au terme d’un feuilleton rocambolesque, où le Soudanais embarquait en catimini dans son jet pour Khartoum depuis une base militaire sud-africaine, le président Jacob Zuma essuyait la fronde de son opposition, de ses juges et d’organisations de défense des droits humains.

Aucune immunité devant la CPI

Depuis le premier mandat d’arrêt contre le président soudanais en 2009, l’immunité des chefs d’Etat est au cœur de la bataille entre l’UA et la CPI. Et elle s’est aggravée au fil du temps. Plusieurs Etats, dont le Kenya, l’Ouganda et l’Afrique du Sud, en tête, ont menacé de se retirer de la CPI si ses textes n’étaient pas modifiés. Ils espéraient convaincre tous les membres de l’Union africaine de se retirer, mais n’ont finalement suscité que des divisions.

En octobre 2016, le gouvernement sud-africain a annoncé son retrait du traité de la CPI sans consulter son Parlement et sous les protestations de l’opposition. Sur le continent, seul le Burundi, menacé d’une enquête de la Cour, lui a emboîté le pas. La semaine dernière, le président sud-africain Jacob Zuma a confirmé sa décision. Si Pretoria maintient sa position, son retrait devrait être effectif en octobre.

Ce jugement, pour lequel l’Afrique du Sud peut faire appel durant cinq jours, devrait conforter le gouvernement. Les juges ont bien réaffirmé que l’immunité des chefs d’Etat en fonction n’existait pas face à la CPI. Son mandat « serait réduit à un concept théorique, si les Etats pouvaient refuser » d’arrêter un chef d’Etat, ont ajouté ses juges. Le président soudanais n’en a semble-t-il pas cure. Omar Al-Bachir a prévu un nouveau voyage. Il devrait se rendre à Moscou en août, à l’invitation de Vladimir Poutine.