Salle de marchés de la Société générale, à la Défense (Hauts-de-Seine). | STEPHANE REMAEL POUR LE MONDE

La finance n’est pas l’ennemie du nouveau gouvernement d’Edouard Philippe. Pour tirer pleinement profit de la sortie du Royaume-Uni de l’Union européenne, le chef du gouvernement devait dévoiler, vendredi 7 juillet, un train de mesures incitatives de nature à attirer en France grandes banques internationales, gestionnaires d’actifs et fonds d’investissement. L’objectif ? Rien moins que faire de Paris la première place financière européenne de l’après-Brexit.

Francfort semble se détacher du peloton des villes européennes en concurrence pour accueillir la finance londonienne

Une ambition transpartisane, puisque la maire socialiste de Paris, Anne Hidalgo, la présidente (LR) de la région Ile-de-France, Valérie Pécresse, et le président (LR) de la métropole du Grand Paris, Patrick Ollier, devaient être présents aux côtés du premier ministre pour défendre les atouts de la place de Paris. Il y a urgence. Car un an après le vote du 23 juin 2016 en faveur du Brexit, Francfort semble se détacher du peloton des villes européennes en concurrence pour accueillir la finance londonienne.

La perte du passeport financier européen – la liberté d’établissement et de prestation de services pour une société agréée – qu’entraînera un « Brexit dur » va obliger les institutions financières internationales à bâtir de véritables implantations dans l’Union européenne. Pour les inciter à localiser leurs activités à Paris, le gouvernement Philippe va d’abord actionner le levier fiscal, avec en ligne de mire la taxe française sur les transactions financières (TTF), dont la mise en place remonte à 2012. La loi de finances pour 2017 avait prévu de la rendre plus contraignante à compter du 1er janvier 2018, en élargissant l’assiette de la taxe aux opérations infra-quotidiennes. Selon nos informations, cette extension sera abandonnée.

Réduire le taux de l’impôt sur les sociétés

De manière plus globale, l’exécutif va confirmer son intention de réduire par étapes le taux de l’impôt sur les sociétés de 33,3 % aujourd’hui à 25 % d’ici à 2022 et de réformer la fiscalité du capital – l’impôt de solidarité sur la fortune (ISF) et le prélèvement forfaitaire unique – pour inciter les investissements en fonds propres dans les entreprises françaises.

Le deuxième volet du plan visera à abaisser le coût du travail des métiers qualifiés et très bien rémunérés de la finance. Concrètement, le gouvernement veut réformer la taxe sur les salaires, qui s’applique notamment au secteur financier, en supprimant la quatrième tranche de cette taxe et son taux majoré de 20 % pour les rémunérations annuelles supérieures à 150 000 euros. Selon un récent rapport du sénateur Albéric de Montgolfier sur le Brexit et les places financières, le coût de cette mesure s’élèverait à 137 millions d’euros pour les finances publiques.

Autre initiative, qui devrait cette fois fâcher les stars de la finance : les primes et bonus des tradeurs et des dirigeants de banque ne seront plus pris en compte pour calculer leurs indemnités de rupture de contrat. Ce variable constitue pourtant une part très importante de leurs revenus, mais le gouvernement français veut envoyer aux institutions financières internationales un signal clair : licencier un banquier expérimenté et bien payé leur reviendra beaucoup moins cher à l’avenir.

Pour attirer les entreprises et les capitaux internationaux, le ministère de la justice entend parallèlement développer le dispositif juridique de traitement du contentieux international des affaires, avec la création d’une chambre spécialisée à la Cour d’appel de Paris. Il devrait être possible d’y « plaider en anglais et de juger en application du droit britannique », avait indiqué dans son rapport M. de Montgolfier. Ce projet sera intégré à la loi quinquennale pour les moyens de la justice.

La simplification étant une marotte du gouvernement, celui-ci prévoit enfin de s’attaquer aux « surtranspositions » de directives européennes dans le droit français. Il s’agit peu ou prou de lutter, de l’intérieur, contre l’excellence administrative à la française. « Si nous faisons l’Europe, c’est bien pour appliquer tous les mêmes règles », résume un connaisseur du dossier. De premières mesures en ce sens figureront dans le projet de loi sur le droit à l’erreur, présenté en conseil des ministres fin juillet. S’ensuivra, l’an prochain, un projet de loi de simplification du droit financier et du droit des sociétés.

Séduire les familles d’expatriés

Mais au-delà de ces mesures fiscales et réglementaires très techniques, à destination des employeurs, Paris veut aussi conquérir des familles d’expatriés, à l’aide de mesures très concrètes. Relativement mal lotie en lycées publics internationaux, l’Ile-de-France va développer son offre en ouvrant trois nouveaux établissements internationaux. Le lycée Lucie-Aubrac de Courbevoie, à proximité du quartier des affaires de La Défense, deviendra ainsi dès la rentrée 2017 « lycée international ». Un autre ouvrira en 2021 à Saclay (Essonne) pour favoriser l’implantation d’entreprises et de chercheurs sur ce « cluster » d’innovation et Vincennes accueillera le troisième établissement en 2022.

Ces annonces, très attendues par la place de Paris, interviennent alors que Francfort semblait, ces derniers jours, particulièrement bien placée pour séduire la finance londonienne. Le dernier établissement à lui déclarer sa flamme est Woori, une des plus grosses banques coréennes. Plus tôt, la banque d’investissement japonaise Nomura et sa concurrente Daiwa en ont fait autant. Signal notoire, une star de Wall Street, l’américaine Goldman Sachs, compte « très probablement » doubler ses effectifs à Francfort, à ce jour de 200 personnes, a déclaré mi-juin son patron européen, Richard Gnodde, dans la Frankfurter Allgemeine Zeitung. Déjà 80 % des 202 banques actives dans la ville au bord du Main sont des établissements étrangers, comptant environ 10 000 salariés sur place. « Le Brexit va amener dans les deux prochaines années 3 000 à 5 000 emplois nouveaux à Francfort », a estimé récemment Stefan Winter, directeur de la fédération des banques étrangères VAB et membre du directoire d’UBS Europe, dans la Welt am Sonntag.

Outre Francfort, la capitale française est également en compétition avec Dublin et Luxembourg. « Les Allemands ont bien communiqué mais le retard peut être comblé », avance un observateur avisé, assurant que « la plupart des banques américaines n’ont pas encore fait d’annonce officielle, les décisions devant être prises d’ici à l’automne ».