Le site de Hayange. | Emilio Morenatti / AP

Les plaintes s’amoncellent sur le bureau du procureur de la République de Thionville. Selon nos informations, deux plaintes contre X ont été déposées vendredi 7 juillet à quelques heures d’intervalle. La première émane de la communauté d’agglomération du Val de Fensch, qui regroupe dix communes de la Moselle, dont Florange et Hayange, la seconde provient du groupe sidérurgique ArcelorMittal. Elles concernent toutes les deux la même affaire, qui ne se cesse de gonfler depuis le témoignage, dans la presse locale, d’un ancien salarié d’un sous-traitant d’ArcelorMital.

Sous couvert de l’anonymat, cet ex-intérimaire de la société Suez Industrial Cleaning (filiale du groupe de Suez spécialisée dans le transport et le traitement de déchets industriels) assure, vidéo à l’appui, avoir été contraint de déverser quotidiennement, de décembre 2016 à février 2017, 24 m³ d’acide sur le crassier (zone de stockage de déchets à ciel ouvert) d’Hayange-Marspich, utilisé au sein du site d’ArcelorMittal de Florange.

L’ancien chauffeur, qui affirme avoir été licencié pour « rupture de discrétion commerciale », a expliqué au Républicain lorrain que pour avoir accès au crassier il avait remis de l’argent en liquide à tous les responsables qui passaient les bons de livraison et que lesdits bons de livraison avaient été falsifiés pour porter « boues de fer » au lieu d’« acides usagers classe 4 ou 5 ». Un stratagème pour économiser le coût de traitement des produits polluants.

Analyses des cours d’eau normales

L’affaire a été jugée suffisamment « grave » par la procureure Christelle Dumont pour qu’elle décide d’ouvrir une enquête préliminaire pour atteinte à l’environnement et de la confier au service régional de police judiciaire (SRPJ) de Metz. La direction régionale de l’environnement, de l’aménagement et du logement (Dreal) a aussi ouvert une enquête pour vérifier la traçabilité des déchets et identifier d’éventuelles traces de pollution, notamment dans les nappes phréatiques. Les résultats sont attendus dans quelques jours.

A l’usine de Jamailles, à Rosselange, où Suez RV Osis Industrial Cleaning est installé depuis 2015, « on ne fait pas de commentaire, appelez la direction à la Défense ». Au siège de Suez, on n’est guère plus bavard : « le groupe Suez a pris connaissance de ces graves allégations. De tels faits, s’ils étaient avérés, seraient totalement contraires aux valeurs éthiques du groupe. » Et le géant de la gestion de l’eau et des déchets de préciser : « Nous attendons les résultats de l’audit interne que nous avons de suite demandé. »

ArcelorMittal, qui assure qu’il n’est « en aucun cas à l’origine de prétendus déversements irréguliers », mène également son enquête interne, en plus de la plainte déposée vendredi. « Les premiers tests que nous avons réalisés montrent qu’il n’y a pas eu de conséquences en termes de pollution sur les eaux de surface et la nappe phréatique », dit au Monde une source proche du dossier. L’agglomération du Val de Fensch, qui a également procédé à des analyses des cours d’eau près du site, n’a rien révélé d’anormal pour l’instant.

« Une manipulation pour nuire à ArcelorMittal? »

Selon nos informations, l’enquête menée par ArcelorMittal révèle en revanche des incohérences dans le témoignage de l’ex sous-traitant. « Les quantités de produits déversées ne peuvent pas être aussi importantes car il n’a travaillé que deux fois cinq jours sur le site et pas pendant trois mois », indique la même source. Par ailleurs, il n’aurait pas été licencié mais « aurait mis lui même fin à son contrat un mois avant son terme pour des raisons personnelles ». Le groupe sidérurgique cherche par ailleurs à savoir quel type d’acide aurait été versé et à quelle dose.

Le président de l’agglomération du Val de Fensch, Michel Liebgott, qui a porté plainte contre X, a tenu une réunion de crise avec les dirigeants d’ArcelorMittal. « Ils n’ont pas contesté qu’il y avait eu des déversements d’acides, indique-t-il au Monde. Mais ils ne semblaient pas de mauvaise foi en découvrant les faits ». L’ancien député de la circonscription « veut savoir ce qui s’est passé » et estime que cette affaire est « extrêmement négative ». « Cela renvoie toujours au mythe de Florange, poursuit-il. ArcelorMittal reste un groupe important qui emploie 2000 personnes. Cette affaire arrive à un moment où des annonces importantes sont attendues. Et Michel Liebgott de s’interroger à voix haute : « Est-ce que tout ça ne serait pas une manipulation pour leur nuire ? »