Alors que l’animation japonaise fête ses 100 ans, la convention Japan Expo, la plus importante en France consacrée à la culture japonaise, a décidé de mettre à l’honneur son histoire pour sa 18édition. Mais quels sont aujourd’hui les animés qui font vibrer le cœur des 250 000 « otakus » attendus de jeudi 6 à dimanche 9 juillet au parc des expositions de Villepinte, en Seine-Saint-Denis ?

Pixels en a rencontré quelques dizaines jeudi, qu’ils soient visiteurs, vendeurs, artistes, organisateurs ou cosplayeurs. Quelques titres sont revenus en boucle : les voici donc compilés ces animés au large public, aux ventes souvent astronomiques, la plupart du temps adaptés de mangas. Chacun y déplorera des béances (l’équipe de Pixels s’indigne de l’inexplicable et tragique absence d’Evangelion), mais force est de constater que toutes les générations que réunit aujourd’hui la Japan Expo y ont mis leur touche : des pionniers biberonnés au « Club Dorothée » à la relève des années Naruto.

« Death Note », un grand thriller

Le scénario de « Death Note » fait preuve d’une intelligence rare. | Shueisha

Un lycéen découvre par hasard un carnet possédant un étrange pouvoir : il suffit d’y inscrire le nom d’une personne pour qu’elle meure. De cette simple intrigue découle une des séries les plus trépidantes de ces quinze dernières années. A la Japan Expo, ce titre revient quasi systématiquement quand on demande aux visiteurs de citer des animés incontournables.

Jérémy Belair place « Death Note » dans son top 3 des animés. | Morgane Tual / Le Monde

« C’est très original pour un animé, ce n’est pas l’histoire d’un héros qui veut sauver le monde », explique Jérémy Belair, 29 ans. Bien au contraire. Light, le jeune homme qui découvre le cahier, va méthodiquement s’en servir pour façonner le monde tel qu’il l’entend, en supprimant les criminels… puis ceux qui se mettent en travers de sa route.

« Il a sa propre vision du monde, qu’on suit ou non », poursuit Jérémy Belair, un comptable qui rêve de devenir scénariste. « On se demande ce qu’on ferait à sa place. C’est un antihéros, mais beaucoup de gens réagiraient comme lui, sans se l’avouer. C’est intéressant de voir jusqu’où ça va. » Un thriller psychologique d’une grande intelligence, parmi les meilleurs du marché – et pas seulement celui de la « japanimation ». Pas étonnant que Netflix ait décidé de l’adapter en film « live », dont la sortie est prévue en août.

« Sword Art Online », le jeu vidéo s’incruste

La majeure partie de l’intrigue de « Sword Art Online » se déroule dans un jeu vidéo. | A-1 Pictures

Sur l’énorme stand Anime-Store, où s’entassent des milliers de coffrets de DVD, les vendeurs confirment, entre deux transactions, que Sword Art Online, sorti en 2012, « est un des animés qui se vendent le plus », avec les indétrônables One Piece et Naruto. Sa particularité : il se déroule dans un jeu vidéo massivement multijoueurs, en réalité virtuelle, dans lequel se retrouvent soudain coincés des milliers de joueurs.

Julia, 16 ans, a un faible pour le « shojo ». | Morgane Tual / Le Monde

L’œuvre, adaptée d’un roman de Reki Kawahara, est particulièrement prisée des adolescents, qui sont venus en nombre vêtus de costumes inspirés de Sword Art Online, qu’ils surnomment SAO. « Si on meurt dans le jeu, on meurt dans la réalité », explique Julia, lycéenne de 16 ans. Pour être libérés et survivre, les joueurs devront atteindre le 100e niveau et vaincre le boss de fin. « C’est génial ! », s’enthousiasme Julia, qui rêverait qu’un tel jeu existe. « C’est un shônen [manga pour garçons], mais avec une histoire d’amour. »

Son grand frère, Guillaume, étudiant en informatique de 22 ans, y trouve un discours intelligent sur les jeux vidéo :

« Est-ce que la vie que tu mènes dans les jeux vidéo est quelque chose d’abstrait, de déconnecté de la réalité ? Ou est-ce que ça en fait partie ? On entend souvent des non-connaisseurs parler du jeu vidéo comme quelque chose de futile, alors que quand tu te retrouves à jouer avec des gens, c’est comme n’importe quelle interaction sociale. »

« One Piece », le pirate qui fait chavirer le monde

« One Piece », une looooongue histoire de pirates. | Toei Animation Company

One Piece est tellement populaire qu’il dispose de sa propre boutique à la Japan Expo. C’est que ce mastodonte n’est rien de moins que le manga le plus vendu au monde – ses ventes mondiales sont comparables à celle de la saga Harry Potter. Logique que sa version animée connaisse elle aussi un succès immense. Depuis 1997, le manga accumule plus de 80 volumes, tandis que sa version animée flirte avec les 800 épisodes, et n’a pas prévu de s’arrêter. Peut-être un peu décourageant pour se lancer, certes, mais l’enthousiasme des visiteurs de la Japan Expo peut donner du cœur à l’ouvrage.

Emilien Guillot et Martin Tranoy plébiscitent l’aventure. | MORGANE TUAL / « Le Monde »

One Piece, c’est une histoire de pirates, plus précisément celle de Luffy, un garçon aux bras élastiques bien décidé à retrouver un légendaire trésor à l’aide de son équipage haut en couleur. « Ça parle d’aventure, de découverte, les pouvoirs des personnages sont géniaux… Et c’est une histoire de pirates ! », explique Martin Tranoy, étudiant de 20 ans en arts du spectacle, qui déguste son casse-croûte sous un soleil de plomb. Son camarade, Emilien Guillot, 19 ans, étudie, lui, l’animation professionnelle. Il vante « des idées originales » et promet que « plein de choses se passent ». « C’est une longue série, il y a matière ! »

La solidarité et la forte amitié qui lient les personnages sont souvent évoqués dans les allées de la Japan Expo, parsemées du chapeau de paille emblématique du jeune héros – qui habille d’un rien les cosplayeurs les plus paresseux. Une histoire de pirates comme on les a toujours aimées, un animé joyeux, ponctué de combats, mais aussi capable d’aborder des thèmes plus sérieux comme la pauvreté ou l’esclavage.

« Dragon Ball » (Z), la madeleine

Il existe plusieurs séries animées dans l’univers de « Dragon Ball ». | Toei Animation

Non, Dragon Ball ne se démode pas. Qu’on ait la trentaine bien tassée ou qu’on découvre la japanimation à 15 ans, il semble que Dragon Ball, et sa suite Dragon Ball Z, soit toujours solidement ancré dans les cœurs.

Pour Pauline Bellaud, « Dragon Ball » est « culte ». | MORGANE TUAL / « Le Monde »

Pour Pauline Bellaud, vêtue d’un costume inspiré de Sailor Moon, si Dragon Ball est incontournable, c’est avant tout parce qu’il s’agit d’un pilier de la culture japanim. « C’est tellement culte que les autres animés y font référence ! » Pour s’y retrouver, il est donc indispensable de connaître les aventures de San Goku, un petit garçon joyeux à queue de singe qui explore le monde à la recherche de sept boules de cristal. Dans Dragon Ball Z, San Goku et ses amis ont grandi, mais les boules de cristal font toujours l’objet de convoitises, dont découlent de nombreux (et parfois interminables) combats. A 29 ans, Rabah Haldjaoui préfère Dragon Ball Z : « C’est énergique, dynamique et spectaculaire. C’est l’énergie qu’on aimerait avoir quand on va au travail… Et qu’on n’a pas toujours. »

« Fairy Tail », magie et humour

« Fairy Tail » met en scène des mages. | A-1 Pictures

« Si je ne me sens pas bien, je regarde Fairy Tail. Ça me fait rire. » Aurélie Kinder, coiffée d’une longue perruque verte, est une inconditionnelle de Fairy Tail. Une histoire de mages, de guildes, dans laquelle évoluent de nombreux personnages très bien campés. « Ils ont chacun leur histoire propre, on s’attache vite », souligne la jeune femme, qui vante aussi l’humour de la série qui « contrebalance les thèmes plus sérieux ».

Rabah Haldjaoui aime « Dragon Ball Z » et « Fairy Tail ». | Morgane Tual / Le Monde

L’amitié est également au cœur du récit, c’est en tout cas ce qu’en retient principalement Rabah Haldjaoui : « Les personnages sont solidaires les uns des autres, et cette relation évolue. L’entraide, c’est important. Il faut avoir des gens comme ça près de soi dans la vie. » Sa petite sœur Mounia, d’un an sa cadette, acquiesce. « Il y a de bonnes leçons de vie dans cet animé. Ça m’a servi dans la vie. » Un animé de fantasy certes estampillé « shônen », mais qui, à la Japan Expo et au-delà, semble dépasser largement ce type de clivage.

« Cowboy Bebop », le western de l’espace

« Cowboy Bebop » allie avec une grande virtuosité western, science-fiction et jazz. | Bandai

« Une bande-son qui tue, sur une histoire qui tue. » Voilà comment Thomas Sirdey, rien de moins que le cofondateur et organisateur de la Japan Expo, décrit Cowboy Bebop. « C’est le premier à avoir mélangé anime et jazz », se souvient-il. En 1998, cet animé provoque une onde de choc : Cowboy Bebop mélange des genres qui n’ont absolument rien à voir : une histoire de chasseurs de primes comme un bon vieux western, mais qui se déroule dans un univers de science-fiction, le tout soutenu par une bande originale mémorable… principalement composée de jazz.

Mardochee Bijou aime « Cowboy Bebop » et les grimaces. | Mardochee Bijou

« Si tu ne l’as pas vu, tu as raté ta vie ! », assure, hilare, Mardochee Bijou, qui vend des mangas sur le stand Manga-Café. « Tout est exceptionnel. Il n’y a pas un défaut. Même le chien est bien, et pourtant, je n’aime pas les animaux ! », souligne le jeune homme, qui se dit par ailleurs « incapable de ne pas faire la grimace sur une photo ». Un ovni dans le monde de l’animé, qui a inspiré bien d’autres réalisateurs depuis – mais rares sont ceux à être arrivés à sa hauteur. A part peut-être Samurai Champloo, qui mélange habilement samouraïs et hip-hop. Une série signée Shinichiro Watanabe… le réalisateur de Cowboy Bebop.

« L’Attaque des titans », cruel et philosophique

« L’Attaque des titans », un animé impitoyable qui pousse à la réflexion. | Wit Studio

C’est l’un des grands cartons de ces dernières années, en manga et en animé. Un univers sombre et terrifiant, dans lequel les hommes vivent enfermés entre d’immenses murs pour se protéger des titans, de gigantesques monstres à forme humaine, qui se nourrissent d’humains. Impitoyable et gore, L’Attaque des titans se concentre notamment sur l’histoire d’un garçon qui veut découvrir le monde au-delà des murs.

Il ne faudrait pas y voir une œuvre violente grand-guignolesque. C’est en tout cas ce que défend Salomé Leblanc, étudiante en économie de 20 ans :

« Cet animé est très différent des autres. Il est beaucoup plus réfléchi, approfondi. Il a du sens. On y trouve des réflexions sur la politique, la géopolitique et la philosophie. Il aborde la question des valeurs et de la morale. »

« Fullmetal Alchemist », grand classique en devenir

« FullMetal Alchemist » commence par une histoire sordide. | Aniplex

Toutes trois parées d’un tee-shirt orange vif, Gaëlle Ruel, Aurélie Lafosse-Marin et Emeline répondent en chœur quand il s’agit de désigner un animé incontournable : Fullmetal Alchemist. Traductrices pour le site américain de streaming CrunchyRoll, qui distribue des animés dans plusieurs pays, ces vingtenaires complètent les phrases les unes des autres, unanimes sur la qualité de ce dessin animé. « Personne ne lui a jamais fait de reproche ! Il y a un bon équilibre entre l’humour et la partie dramatique. C’est un shônen très abordable pour ceux qui débutent. Il aborde plein de thèmes importants. »

Aurélie Kinder est chef de projet à Paris. | MORGANE TUAL / « Le Monde »

FullMetal Alchemist débute sur des bases sordides : deux enfants, abandonnés par leur père, se retrouvent orphelins après la mort de leur mère. Ils décident alors de la ramener à la vie… et échouent, ce qui leur vaudra de graves ennuis. « C’est un mélange de thèmes très sérieux, matures, mais toujours avec une touche d’humour qui va faire baisser la pression », analyse Aurélie Kinder, chef de projet à Paris de 28 ans, coiffée d’une perruque vert fluo.

« Tokyo Ghoul », l’instinct contre la morale

« Tokyo Ghoul » met en scène un jeune homme qui se transforme en hybride homme-goule. | Studio Pierrot

« J’aime bien les trus gores. » Juliette, lycéenne francilienne de 16 ans, choisit, comme beaucoup d’autres de sa génération, Tokyo Ghoul parmi les animés à voir absolument. « Il y a de l’action, une bonne histoire… » « Et des graphismes super », complète sa camarade Inès.

La série fait partie des gros succès de ces dernières années. Sortie en 2014, elle raconte le drame vécu par Ken Kaneki, un étudiant effacé qui, après avoir été attaqué, se fait greffer les organes de son agresseuse… une goule, monstre sadique à l’allure humaine. Il se transforme alors en une créature inédite : mi-homme, mi-goule, et se retrouve soudain confronté à ses nouveaux instincts destructueurs, qui s’opposent à sa morale restée intacte.

Bonus : « Osomatsu-san », pour François Hollande

« Osomatsu-kun » est moins connu que les autres titres de cette liste, mais il vaut le détour, promettent plusieurs personnes à la Japan Expo. | Studio Pierrot

Soyons clairs : ce n’est peut-être pas l’animé le plus populaire de tous à la Japan Expo, mais son titre est revenu plusieurs fois dans la bouche des personnes rencontrées, avec des trémolos dans la voix tels qu’on n’eut pas le cœur de le retirer de cette liste. Il faut dire aussi qu’Osomatsu-san est un énorme carton au Japon. Ou plus exactement son ancêtre, Osomatsu-kun, diffusé dans les années 1960 et ultracélèbre dans l’archipel.

Héloïse Jouniaux porte un costume issu d’un personnage qu’elle a elle-même créé. | MORGANE TUAL / « Le Monde »

La série raconte le quotidien de sextuplés aux caractères aussi affirmés que différents. Enfants dans Osomatsu-kun, ils ont grandi dans Osomatsu-san. « Leur histoire illustre les difficultés des millenials, ils ont du mal à trouver un emploi par exemple », explique Garance Le Gall, qui à 27 ans vient de terminer ses études aux Beaux-Arts. La série traite aussi de la frontière complexe, pour cette génération, entre l’enfance, l’adolescence et la vie d’adulte.

« C’est un animé extrêmement drôle », pense pour sa part Héloïse Jouniaux, 18 ans, venue vendre ses dessins et ses badges à la convention. « Mais il y a aussi des épisodes dramatiques, qui font mal au cœur. » Elle vante surtout les « situations improbables » de cet animé au graphisme hors du commun. « Il y a même un épisode avec François Hollande ! » Vérification faite, un président français ressemblant vaguement à l’ancien occupant de l’Elysée apparaît bien dans l’épisode 6, s’exclamant « je t’aime » à tout-va. En français dans le texte, bien entendu.