1. 1947, le Festival naît d’un poète

« La Tragédie du roi Richard II », mise en scène par Jean Vilar d’après William Shakespeare, en 1947 | Agnès Varda/Ciné-Tamaris

Le poète René Char, qui organise avec le galeriste Christian Zervos une grande exposition dans le ­Palais des papes (Matisse, Léger, Kandinsky, Ernst, Picasso…), propose à Jean Vilar de présenter une pièce dans la Cour d’honneur. « C’est un endroit ­impossible », répond dans un premier temps le metteur en scène avant de céder devant la beauté du lieu. Il veut élargir le public et lui offrir un renouveau vital : la France sort de la seconde guerre mondiale, il faut la reconstruire, et le Palais des papes permet de « réconcilier l’art dramatique et l’architecture. » Ainsi se met en place la Semaine d’art en ­Avignon, le premier festival, du 4 au 11 septembre. Jean Vilar choisit une pièce de Shakespeare qui n’a jamais été présentée en France, Richard II, et l’adapte sous le titre La Tragédie du roi Richard II.« Soyez tranquilles, dit-il, nous ne voulons pas de projecteurs, nous n’illuminerons pas la grande façade. »Des chaises et un tréteau sont installés dans la Cour d’honneur, Jean Vilar joue le rôle principal.

2. 1967, l’ouverture au cinéma

Jean-Luc Godard, à l’occasion de la première de « La Chinoise », le 3 août 1967 | Jean-Louis Boissier

Le 3 août, les festivaliers grimpent aux arbres du Verger Urbain-V pour entendre Jean-Luc Godard, que Jean Vilar a invité à présenter son nouveau film, La Chinoise, dans la Cour d’honneur. Le soir, les spectateurs se retrouvent au Palais des papes pour un marathon unique dans les annales : deux créations mondiales. Vers 20 h 30 commence Messe pour le temps présent, de Maurice Béjart, sur une musique de Pierre Henry, qui envoûte le public. Puis suit, peu avant minuit, la projection de La Chinoise… Pour cette entrée du ­cinéma dans la Cour, un gigantesque écran recouvre l’aile des Grands Dignitaires. Jean-Luc Godard est ­assis dans les gradins, avec sa femme, Anne Wiazemsky, qui porte la même casquette que dans le film. L’écrivain Peter Handke est aussi dans la Cour, où il vient faire la critique du film pour une revue autrichienne. Le public est ­divisé, discute fort, Mai 1968 s’annonce.

3. 1988, Patrice Chéreau entre dans la Cour

Gérard Desarthe dans « Hamlet », mise en scène par Patrice Chéreau, en 1988. | BNF

Jusqu’alors, Patrice Chéreau avait toujours refusé le plein air. Mais Alain Crombecque, le directeur du Festival, qui a travaillé avec lui au Théâtre Nanterre-Amandiers (Hauts-de-Seine), sait le convaincre. Au départ, le metteur en scène star envisage de créer une pièce de Bernard-Marie Koltès, « son » auteur. Il choisit finalement de mettre en scène Hamlet dans la Cour, parce que « le chemin d’Avignon et de la Cour conduit à Shakespeare ». Comme Vilar pour ­Richard II, Chéreau ne joue pas avec la façade du ­Palais. Richard Peduzzi, son frère d’art, imagine une scénographie fantastique : le plateau semble nu, mais il se déploie comme un labyrinthe de pièces de bois mouvantes, à l’image du désarroi existentiel du prince du Danemark, incarné par Gérard Desarthe. Il y a aussi, dans cet Hamlet d’anthologie, un vrai cheval, et des lumières à damner l’âme. Patrice Chéreau gagne son pari d’Avignon, où il joue aussi dans une reprise de Dans la solitude des champs de coton, de Bernard-Marie Koltès. Un autre triomphe, loin de la Cour, dans la banlieue de la Cité des papes.

4. 2017, une « Antigone » venue du Japon

« Antigone », interprétée par Micari dans la mise en scène de Satoshi Miyagi. | Takuma Uchida

En 2014, le metteur en scène japonais Satoshi Miyagi, aujourd’hui âgé de 58 ans, est invité pour la première fois au Festival, où il présente un épisode du Mahabharata, dans la splendeur minérale de la Carrière de Boulbon. Le raffinement des costumes, dont certains sont en papier, l’alliance de la musique et du jeu, que Satoshi Miyagi traite d’une ­manière très particulière, en dissociant les corps et les voix, enchantent le public. En 2017, Oliver Py, le directeur du Festival, lui confie la Cour d’honneur et l’ouverture du Festival. Satoshi Miyagi choisit de faire entendre Antigone, de Sophocle. A sa façon – qui déplace notre regard d’Occidentaux sur la tragédie. Les rites grecs et les arts asiatiques s’allient dans cette mise en scène qui permet d’entendre la langue japonaise pour la première fois dans la Cour. La tragédie de Sophocle avait été jouée une seule fois, en 1960, dans une mise en scène de Jean Vilar et Maurice Jarre – à qui l’on doit les fameuses trompettes d’Avignon.