Interprétation en langue des signes pendant le concert de Danakil, vendredi 7 juillet au Foin de la rue. | @Nico M

Les Mains balladeuses. Avec deux L, comme dans ballade (chanson, poème). Créée par des interprètes en langue des signes, cette troupe de comédiens fait partie intégrante de la programmation d’Au foin de la rue, festival de musiques actuelles situé à Saint-Denis-de-Gastines (Mayenne, 1 500 habitants). Sa spécialité est le « chansigne », une réécriture de chansons existantes à destination des sourds et des malentendants. L’activité tient davantage de l’adaptation et du mime que de la traduction pure. Elle consiste à réintroduire visuellement de la musicalité à des morceaux dont les paroles sont explicitées en même temps. Vendredi 7 juillet, au premier soir de la 18e édition d’Au foin de la rue, des « chansigneurs » sont montés sur scène aux côtés de trois groupes – Soviet Suprem, Ginkgoa et Danakil – afin d’exécuter leurs chansons de gestes.

Pendant le concert de Danakil : le chanteur Balik et deux membres de la troupe des Mains balladeuses. | @Nico M

Encore naissante, cette discipline ne pouvait pas échapper à un festival se targuant d’éthique, et ayant fait de l’accueil des handicapés une priorité. L’association Accès pour tous lui a remis un prix en 2014 pour l’ensemble de ses actions. « La spécificité de notre démarche est que nous n’avons exclu aucun des cinq champs du handicap : l’auditif, le visuel, le moteur, le psychique et le mental », explique Régis Brault, le responsable « accessibilité » d’Au foin de la rue (27 concerts, 18 000 spectateurs, 1 000 bénévoles, zéro logo publicitaire).

Vue sur la deuxième scène d’Au foin de la rue depuis l’espace réservé aux personnes à mobilité réduite. | @Nico M

L’initiative la plus visible du dispositif concerne la localisation de l’espace réservé aux personnes à mobilité réduite. Souvent situé sur un côté de la scène dans un angle mort, il est ici collé à la régie son, au milieu de la foule – autrement dit au meilleur endroit. C’est sur cette même estrade surélevée que sont positionnés les membres d’une association de Laval, Quest’handi. Eux « racontent » les concerts en mode audiodescription : discographies des groupes, noms des musiciens, titres des chansons et descriptions des mouvements scéniques sont communiqués entre chaque morceau à des déficients visuels, équipés de casques.

Une appli mobile

En collaboration avec le festival, Quest’handi a développé une appli mobile consistant notamment à fournir en temps réel les paroles des chansons interprétées sur scène, cela à destination des malentendants. Pour les déficients intellectuels, enfin, un programme a été écrit en français « facile à lire et à comprendre », et des pictogrammes simplifiés ont été accrochés au-dessus des différents stands du site (buvette, toilettes…). « Le but est aussi d’infuser auprès des spectateurs non handicapés l’idée de partage avec ceux qui le sont, poursuit Régis Brault. A la fin des concerts chansignés, il n’est pas rare de voir se répandre dans la foule le signe utilisé par les sourds pour dire bravo [les mains en l’air qui tournent sur elles-mêmes]. »

Le concert de Soviet Suprem, vendredi 7 juillet au Foin de la rue, a accueilli sur scène deux « chansigneurs » (au milieu). | @Nico M

Un bout de chemin reste à faire cependant. Convaincre un groupe d’accueillir sur scène un interprète en langue des signes n’est jamais garanti, comme le souligne Lucie Olive-Sparta, des Mains balladeuses : « Certains artistes redoutent qu’on vienne perturber une scénographie réglée à l’avance ou ne comprennent pas la dimension artistique du chansigne qu’ils assimilent aux traductions pour sourds des débats de l’Assemblée nationale. »

D’autres, à l’inverse, jouent le jeu de manière inespérée. Ainsi le groupe de reggae Danakil, programmé cette année. Celui-ci a carrément transformé en clip, en la retouchant graphiquement, une vidéo réalisée par les Mains balladeuses à partir d’un de ses titres, Pars.

Danakil - Pars (Official Video) in sign language

« C’est un morceau qui est difficile à illustrer visuellement car il parle de la perte de quelqu’un, indique Balik, le chanteur du groupe. Il nous a semblé important de donner un prolongement à cette interprétation en langue des signes. Non seulement parce qu’elle est jolie à voir, mais parce qu’elle rejoint notre quête de rendre la musique universelle en la communiquant à ceux qui ne peuvent pas l’entendre. »

Au foin de la rue, jusqu’au 8 juillet à Saint-Denis-de-Gastines (Mayenne), www.aufoindelarue.com