Une sélection d’ouvrages à emporter dans vos valises, cet été : quinze romans, neuf essais. Bonne lecture.

LITTÉRATURE

François Angelier

« Fin de ronde », de Stephen King, traduit de l’anglais (Etats-Unis) par Océane Bies et Nadine Gassie, Albin Michel, 432 pages, 22,50 €.

Cinquante romans et 200 nouvelles publiées n’y font rien, Stephen King est toujours l’indétrônable maître du thriller fantastique et l’inusable virtuose du roman d’angoisse.

En témoigne cette Fin de ronde effectuée – en clôture d’une trilogie entamée avec Mr Mercedes (Albin Michel, 2015) – par Bill Hodges, flic à la retraite, madré baroudeur de la loi. lI affronte Brady Hartsfield, informaticien génial et pervers grandiose. Une lutte à mort entre un vieux cow-boy humaniste, malade et inflexible, et un diable 2.0 qui est aussi un choc sociétal, la confrontation de deux conceptions du monde et de l’homme.

LE MONDE

Jean Birnbaum

« Une activité respectable », de Julia Kerninon, Le Rouergue, 64 pages, 9,80 €.

Pour mettre les livres au-dessus de tout, il faut être un enfant perché. En témoigne ce bref et beau texte signé par une romancière de 30 ans, qui fait le récit d’un apprentissage, celui de l’écriture. Retraçant sa joyeuse ascension vers la cime des ­livres, et rendant grâce à sa famille, à ses amis, ses amants, elle nous emmène vers le seul point qui compte : cet espace où l’amour du texte se trouve porté si haut que chacun rêve de naître à soi dans ces hauteurs.

LE MONDE

Florence Bouchy

« Les Garçons de l’été », de Rebecca Lighieri, POL, 448 pages, 19 €.

Rien de tel qu’un requin un peu agressif pour gâcher les vacances. Faire voler en éclat, par la même occasion, les apparences si lisses d’une famille parfaite. Et réussir un roman à suspense et parfaitement littéraire, où alternent les voix et les points de vue de chacun des personnages. Publiant, chez le même éditeur (POL), sous le nom d’Emmanuelle Bayamack-Tam, Rebecca Lighieri signe, avec Les Garçons de l’été, un roman à la construction millimétrée et à l’écriture explosive.

LE MONDE

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Eric Chevillard

« Regards », de William H. Gass, traduit de l’anglais (Etats-Unis) par Marc Chénetier, Cherche-Midi, « Lot 49 », 320 pages, 22 €.

Avec William H. Gass, le fin mot revient aux choses. Cet immense écrivain américain, né en 1924, a l’oreille assez fine pour recueillir leurs confidences et une telle faculté d’empathie qu’il peut intercéder pour elles et articuler dans notre langage leur plainte sourde et leurs confidences. Dans Regards, recueil de récits, la parole est donc donnée au siège pliant d’un salon de coiffure ou au piano du film Casablanca. Pas de langue de bois, pourtant. La puissance de Faulkner et l’humour de Nabokov.

LE MONDE

Pierre Deshusses

« Autoportrait à l’hippopotame », d’Arno Geiger, traduit de l’allemand (Autriche) par Olivier Le Lay, Gallimard, « Du monde entier », 314 pages, 22 €.

Devoir passer ses vacances en ville, même dans les splendeurs de Vienne au bord du Danube, est une épreuve, surtout quand on est accablé par le spleen après une rupture amoureuse. Mais la vie sait réserver des surprises à ceux qui désespèrent. Julian, étudiant vétérinaire de 22 ans, se voit confier la garde d’un hippopotame nain qui va le conduire vers Aiko, belle bipède ayant un vrai talent pour la vie. Un roman d’une délicieuse mélancolie.

LE MONDE

Xavier Houssin

« Des âmes simples », de Pierre Adrian, Les Equateurs, 200 pages, 18 €.

En vallée d’Aspe, dans les Pyrénées, frère Pierre marie, baptise et met en terre. Pierre Adrian a partagé le quotidien de ce curé des douze communes de la vallée, et moine prémontré, seul de sa communauté, dans son prieuré de Sarrance. Etés brûlants et hivers rudes. Des âmes simples est la chronique ordinaire des jours de ce prêtre de 75 ans qui se démène depuis un demi-siècle pour apporter la « bonne parole » et la consolation. Un livre magnifique qui parle de la foi et des montagnes. Et qui bouscule l’indifférence. Lumineux.

LE MONDE

Bertrand Leclair

« N’être personne », de Gaëlle Obiégly, Verticales, 314 pages, 22 €.

Sans le revendiquer jamais, Gaëlle Obiégly forge de livre en livre une langue en résistance, à rebours de tant de romans qui n’offrent que le spectacle d’une résistance aux idéologies dominantes. Cette fois, sa narratrice se retrouve enfermée par mégarde dans les toilettes de son entreprise, un vendredi soir. « Ce n’est pas une situation romanesque », elle en convient, mais du moins le papier ne manque pas, et elle met à profit ce décrochage entre temps social et temps intime pour explorer ses raisons d’être, non sans humour, au long d’un patchwork traversé de fulgurances. Revigorant.

LE MONDE

Raphaëlle Leyris

« Attachement féroce », de Vivian Gornick, traduit de l’anglais (Etats-Unis) par Laetitia Devaux, Rivages, 224 pages, 20 €.

Cinquième Avenue, Lexington, 69e Rue… Inlassablement, deux femmes sillonnent New York. Au fil des années, elles repassent par les mêmes artères comme elles arpentent leur histoire. Ce sont Vivian Gornick et sa génitrice. Le récit de leurs déambulations dessine l’île que forme, à l’image de Manhattan, cette relation fille-mère. Attachement féroce est un grand livre gorgé de lucidité sarcastique, paru en 1987 : il était temps de le découvrir !

LE MONDE

Eric Loret

« Une femme au téléphone », de Carole Fives, Gallimard, « L’arbalète », 106 pages, 14 €.

Ta mère en tongs, elle suce des bonbons en enfer, et celle de ce monologue, pendue au téléphone, agonit sa fille de conversations culpabilisantes et dévalorisantes : « Répète-moi ça ? Enceinte ? J’entends mal ! C’est sans doute mon portable (…). Et tu vas le garder ? Mais qui va te le garder ? » Le stand-up involontaire et crépitant d’une ex-soixante-huitarde frustrée, plus boulet que toxique, bipolaire mais avec humour (celui de l’auteure, pas le sien). Un must pour se défouler des mères fatigantes.

LE MONDE

Gladys Marivat

« Il faut se méfier des hommes nus », d’Anne Akrich, Julliard, 324 pages, 19 €.

Le deuxième roman d’Anne Akrich fait voler en éclats deux mirages : Hollywood et le paradis polynésien. Sa grande réussite est le personnage de Cheyenne Cohen, spirituelle narratrice. Scénariste médiocre, elle est envoyée dans son île natale pour un biopic sur Marlon Brando. En 1960, lors du tournage des Révoltés du Bounty, il est tombé amoureux de Tahiti et d’une actrice avec qui il a eu une fille, Cheyenne. Obsédée par la violence de leur destin, la narratrice est rattrapée par ses traumatismes d’enfance. Ce livre qui sonde, l’air de rien, les possibilités de l’autofiction, de la biographie et du thriller, pétille d’intelligence.

LE MONDE

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Florence Noiville

« Entre eux », de Richard Ford, traduit de l’anglais (Etats-Unis) par Josée Kamoun, L’Olivier, 192 pages, 19,50 €.

Que savons-nous de l’existence de nos parents ? Que reste-t-il de leurs vies lorsqu’ils ont disparu ? A ces questions vertigineuses, la réponse de Richard Ford est chaque fois la même : rien, ou presque. Ce qui ne l’empêche pas de s’emparer de ces riens pour en faire quelque chose. En l’occurrence, deux textes en miroir qui se répondent. Le père d’abord. Puis la mère. Avec, « entre eux », la figure de ce fils unique que l’on voit grandir : Richard Ford. Un double récit des origines sobre et poignant.

LE MONDE

Monique Petillon

« La Baie de la Rencontre », d’Emmelene Landon, Gallimard, 224 pages, 18 €.

Peintre et voyageuse, la romancière Emmelene Landon convie à une splendide traversée vers les antipodes, à la recherche de fossiles et de forêts d’eucalyptus. George, le narrateur, vogue vers son Australie natale, deux siècles après l’expédition scientifique Baudin, partie du Havre en 1800 à bord de la corvette le Géographe : tel un « passager clandestin », George se glisse dans les pensées de son dessinateur officiel, Charles-Alexandre Lesueur. C’est un récit palpitant, historique et intimiste, d’une grande richesse sensorielle.

Frédéric Potet

« Slumberland », de Paul Beatty, Cambourakis, 278 pages, 22 €.

Fin des années 1980. Disc-jockey noir de Los Angeles, Ferguson Sowell a trouvé le « beat parfait ». En quête d’un musicien hors pair pour l’interpréter, il part à la recherche d’un jazzman mystérieux resté vivre en Allemagne de l’Est après une tournée. Direction Berlin, où il se fait embaucher au bar Le Slumberland, où son job, qui consiste à renouveler les playlists du juke-box, ne l’empêche pas de philosopher sur la perception des Afro-Américains dans un pays en plein chambardement avec la chute du Mur. Comment deux peuples peuvent-ils vivre ensemble ?, s’interroge Paul Beatty, en renvoyant à la situation de son propre pays, soumis à de fortes tensions raciales.

LE MONDE

Macha Séry

« Bagdad, la grande évasion ! », de Saad Z. Hossain, traduit de l’anglais (Bangladesh) par Jean-François Le Ruyet, Agullo, 384 pages, 22 €.

S’il promet, par son titre, un voyage dépaysant, Bagdad, la grande évasion !, premier roman d’un auteur bangladais, conte d’abord l’histoire d’un trio fort dissemblable cherchant à quitter la capitale de l’Irak en 2004, après la capitulation de Saddam Hussein ; évasion sempiternellement reportée… Roman d’aventures ? Conte talmudique ? Version orientale de Frankenstein ou du Bon, la brute et le truand ? Réécriture sur les bords du Tigre d’Abattoir 5 (ce chef-d’œuvre de science-fiction qu’inspira à Kurt Vonnegut son expérience traumatique de la seconde guerre mondiale) ? Tout ça et rien de tout ça. Là est le prodige.

LE MONDE

Ariane Singer

« Ce que nous avons perdu dans le feu », de Mariana Enriquez, traduit de l’espagnol (Argentine) par Anne Plantagenet, Le Sous-Sol, 240 pages, 19 €.

Des enfants qui disparaissent, d’autres que la mort fascine… Mariana Enriquez ravive les cauchemars d’une Argentine hantée par le souvenir de la dictature militaire. Noirs, férocement drôles, au seuil du fantastique, ces douze contes cruels abondent aussi en adolescentes écorchées et insoumises face à la violence du monde. Un condensé cathartique, féministe et vivifiant de nos terreurs contemporaines.

LE MONDE

ESSAIS

Etienne Anheim

« La Mort lente de Torcello. Histoire d’une cité disparue », d’Elisabeth Crouzet-Pavan, Albin Michel, « Bibliothèque de l’évolution de l’humanité », 496 pages, 15,90 €.

L’écriture évocatrice de l’historienne Elisabeth Crouzet-Pavan sort Torcello des limbes du temps. Communauté rivale de Venise à l’aube du Moyen-Age, l’île a dépéri au cours des siècles, privée de lumière par sa puissante voisine, jusqu’à n’être plus qu’un hameau presque déserté à la fin du XVIe siècle.

Cette histoire politique, sociale mais aussi environnementale de la lagune est aussi une méditation sur les futurs qui ne sont pas advenus. Si vous allez à Venise cet été, n’hésitez pas à vous munir de ce livre qui fera un excellent compagnon estival. Et si vous n’y allez pas, ses pages empreintes d’une profonde poésie historique tiendront lieu de voyage.

Serge Audier

« Jules Guesde. L’anti-Jaurès ? », de Jean-Numa Ducange, Armand Colin, « Nouvelles biographies historiques », 242 pages, 22,90 €.

Dans le contexte actuel de crise de la gauche et de ruine du PS, l’historien peut apporter sa pierre à l’analyse de long terme des fractures du camp de l’émancipation.

Cette belle biographie de Jules Guesde (1845-1922) rappelle les divergences et les compromis fragiles qui ont présidé à la naissance, en 1905, du Parti socialiste, la SFIO. Contre la voie plus réformiste et républicaine de Jean Jaurès, Guesde a défendu une ligne marxiste, ouvriériste et radicalement hostile à l’Etat bourgeois. Ce qui ne l’a pas empêché de se montrer parfois pragmatique et de tout faire pour préserver l’unité du PS.

LE MONDE

Antoine de Baecque

« La Véritable Histoire de la “Belle Epoque” », de Dominique Kalifa, Fayard, « Histoire », 296 pages, 20 €.

A l’automne 1940, l’émission de radio d’André Alléhaut, « Ah la Belle Epoque ! », fait un triomphe. Ce flashback lance la nostalgie des chansons du caf’-conc’1900 ainsi que l’expression « Belle Epoque », qui devient une périodisation de l’histoire. La France de l’Occupation revient avec mélancolie sur un art de vivre qu’elle idéalise.

La fortune de cette invention est phénoménale, gagnant l’histoire savante comme l’opinion publique, et se diffuse dans tous les pays en français dans le texte. C’est la leçon de ce maître-livre : l’imaginaire est un kaléidoscope et le comprendre suppose d’en analyser tous les éclats. L’histoire comme art des entrechoquements.

LE MONDE

Lire aussi : Livres en bref

Julie Clarini

« Histoire d’un sacrifice. Robert, Alice et la guerre », de Nicolas Mariot, Seuil, « L’univers historique », 442 pages, 25 €.

Tout part de la correspondance d’un couple aimant, Robert et Alice Hertz, séparés par la guerre. Leurs lettres se croisent entre août 1914 et avril 1915.

A partir de ce matériau, l’historien Nicolas Mariot parvient à un tour de force : nous faire comprendre les rouages qui vont pousser Robert à monter au front. Car il est bien décidé à mourir pour la patrie. Il ne cesse de le dire. Mais aussi parfois de s’en dédire. C’est bien cette complexité poignante qui attrape le lecteur et ne le laisse plus en repos : le sentiment de pénétrer une âme, de saisir dans ses moindres finesses le temps intime où se « fabrique » l’élan total et absolu, le choix de la mort. Partout affleure le tragique.

LE MONDE

Roger-Pol Droit

« Dictionnaire Nietzsche », sous la direction de Dorian Astor, Robert Laffont, « Bouquins », 988 pages, 32 €.

Difficile de comprendre les temps présents sans Friedrich Nietzsche (1844-1900), difficile d’aborder Nietzsche sans guide. Voilà pourquoi ce volume est des plus utiles. En 400 entrées, rédigées par une trentaine d’auteurs issus d’une douzaine de nationalités, on y apprend plus que l’essentiel sur les livres du philosophe au marteau, sur ses amis, ses ennemis, ses lectures, ses lecteurs, et, bien sûr, ses concepts.

Inégal (inévitablement) et par endroits discutable (évidemment), ce dictionnaire a aussi le mérite de renouveler en partie l’image du philosophe et de ses apports, en faisant la part belle aux interprétations les plus récentes.

Jean-Louis Jeannelle

« Dictionnaire critique de l’utopie au temps des Lumières », sous la direction de Bronislaw Baczko, François Rosset et Michel Porret, Georg, 1 406 pages, 49 €.

En 1516, Thomas More décrivit la société idéale d’une île située… « nulle part ». De cette Utopie résultèrent d’innombrables autres rêveries autour d’un monde meilleur, enfin conforme à la Raison. Dirigé par trois grands spécialistes des Lumières, ce Dictionnaire passe en revue les concepts sur lesquels s’est exercée la pensée réformiste. Plus qu’un genre littéraire ou qu’une catégorie philosophique, l’utopie permettait de tout interroger – religion, politique, sexualité… – sous un angle prospectif. Ces laboratoires fictionnels des meilleures (ou des pires) constitutions possibles furent d’une richesse extraordinaire.

André Loez

« Le médecin qui voulut être roi. Sur les traces d’une utopie coloniale », de Guillaume Lachenal, Seuil, « L’univers historique », 354 pages, 24 €.

Jean-Joseph David fut un médecin colonial exemplaire, et hors du commun : non content de soigner les « indigènes » de Wallis et du Cameroun au premier XXsiècle, il entreprit de régenter leur vie entière, en tout-puissant administrateur, « empereur » ou « roi », disent encore certains témoins…

Dans une fascinante enquête, faite de détours, d’ironie et de rêveries entre passé et présent, Guillaume Lachenal exhume non seulement ce destin singulier, mais à travers lui tout l’impensé de l’entreprise colonisatrice, et ses traces à la fois dérisoires et durables.

LE MONDE

Elisabeth Roudinesco

« Faire l’amour avec Dieu », de Catherine Clément, Albin Michel, 208 pages, 16,50 €.

Passionnée de dieux, de déesses, de gourous et de mythes, Catherine Clément analyse dans cet ouvrage les pratiques érotiques de quelques grands mystiques, avec pour fil conducteur cette sentence du rabbi Israël Baal Shem Tov, fondateur du judaïsme hassidique : « La prière est un coït avec la présence divine. » Du judaïsme à l’islam, en passant par le christianisme et l’hindouisme, elle relate des récits d’extases qui montrent que faire l’amour avec Dieu, c’est s’anéantir en lui afin de jouir de l’horreur de soi-même. Un brillant essai d’ethnographie romanesque mené d’une plume alerte.

LE MONDE

Nicolas Weill

« Lettres à la marquise. Correspondance inédite avec Marie Arconati Visconti », d’Alfred Dreyfus, préface de Philippe Oriol, Grasset, 592 pages, 23 €.

L’exhumation complète de cette étonnante correspondance (1899-1923) permet d’éclairer d’un visage neuf le capitaine Dreyfus. Celui-ci, maltraité par la République, continue de se battre presque seul pour sa réhabilitation, abandonné qu’il est par nombre de ses anciens soutiens après son retour de l’île du Diable, en 1899. Il continue pourtant de se montrer un républicain, progressiste et critique de la colonisation auprès d’une de ses plus fidèles amies, marquise anticléricale au profil proustien, elle aussi à redécouvrir.

LE MONDE