Documentaire dimanche 9 juillet sur Arte à 18 h 05

Dans une rue de Téhéran une femme, voilée, appareil photographique autour du cou, scrute les passants – surtout des hommes. Lorsqu’elle trouve quelqu’un qui l’intéresse, elle lui pose cette question, avec une simplicité déconcertante : « Veux-tu venir avec moi et que je fasse une photo de toi ? » Certains acceptent, d’autres déclinent.

Cette photographe s’appelle ­Tahmineh Monzavi. Elle fait partie de ces quatre artistes femmes ­ (Solmaz Daryani, Shadi Ghadirian et Newsha Tavakolian) – auxquelles il faut ajouter un homme, ­Abbas Kowsari – que Nathalie Masduraud et Valérie Urréa ont choisi de suivre pour un documentaire sur la photographie iranienne.

Si cette dernière jouit aujour­d’hui d’une notoriété internationale – le festival de la photographie d’Arles lui consacre cet été une vaste exposition collective (Iran, année 38) –, on connaît mal les conditions de fabrication de ces images et le quotidien de ces artistes.

Sous tension permanente

C’est bien l’enjeu de ce film : présenter la variété d’une création – du reportage à la photographie plasticienne – à travers le portrait de ceux qui la font vivre dans un état de tension permanent. Car faire des images en Iran relève d’une gageure. « Difficile d’être photographe ici, explique, dans le film, Anahita Ghabaian, fondatrice de la Silk Road Gallery à Téhéran. Il ne faut pas franchir un certain nombre de lignes rouges. Les sujets ne doivent pas être abordés d’une façon brutale ou frontale. Certaines thématiques sont taboues, comme la représentation du corps. Les femmes, par exemple, ne peuvent être représentées sans voile. Les artistes évoluent souvent sur un terrain miné. »

Comment déjouer la censure ? Comment jouer avec des codes de représentation pour mieux les subvertir ? En guise de réponses, les images de ces artistes sont des actes de résistance – réfléchies et puissantes dans leurs formes.

Figées comme des objets

Pour montrer les femmes autrement que dans des poses consensuelles, dans sa série « Qajar », Shadi Ghadirian a habillé ses modèles de vêtements du passé. Au premier regard, ces clichés en noir et blanc semblent venir de très loin. Mais l’artiste a introduit dans ses photos des objets modernes (transistors, lunettes noires, aspirateurs) qui sèment le trouble. Ces photographies de femmes semblent coincées entre deux mondes, deux époques : figées et muettes, comme des objets.

Newsha Tavakolian photographie des jeunes gens, parle de cette jeunesse iranienne qui représente 80% de la population ! C'est elle qui mène le pays vers la modernité ! | Newsha Tavakolian /Magnum photos

« Cette société patriarcale nous oblige à redoubler d’effort, je n’ai jamais cessé de lutter pour atteindre mon but », se confie Tahmineh Monzavi. Pour interroger la question de la féminité, cette artiste, comme Shadi Ghadirian, à défaut de pouvoir montrer directement les corps, est aussi passée par le vêtement, des robes de mariées ­conçues exclusivement par des hommes. Dans ces images étranges, à l’atelier de confection, ces derniers flirtent avec des mannequins. « Dans notre société, rien ne s’arrête aux apparences, commente-t-elle. Tout nous échappe. » De quoi expliquer le recours de ces artistes aux symboles et aux métaphores qui obligent le spectateur à faire un effort de discernement. Seule exception à cette représentation empêchée des corps : celle des hommes. En Iran, on peut les montrer, quasiment nus. Dans ce film, les photographies crues et littérales de culturistes, par Abbas Kowsari, produisent un effet de rupture assez sidérant.

Focus Iran, l’audace au premier plan, de Nathalie Masduraud et Valérie Urréa (Fr., 2017, 52 min).