« Honnêtement, une série sur le patinage artistique, on ne pensait pas que ça créerait un tel engouement. » Olivier Fallaix est le responsable du développement en France de CrunchyRoll, une importante plate-forme de streaming consacrée à la japanimation. C’est elle qui distribue hors Asie le grand succès surprise de ces derniers mois : Yuri on Ice, un animé de 12 épisodes seulement, diffusé entre octobre et décembre dernier et conçu par Mappa, un petit et tout jeune studio. « A l’international, c’est notre deuxième plus grand succès de l’année parmi les séries inédites, après Re-Zero », s’étonne-t-il encore, sur son stand orange de la Japan Expo, cette énorme convention qui se déroule du 6 au 9 juillet à Villepinte (Seine-Saint-Denis).

Au-dessus de lui, un immense panneau affiche les personnages principaux de cette histoire, que des adolescentes ravies photographient en passant. « La série de sport, ce n’est pas vraiment un genre universel, à très grand succès. Mais la force de Yuri on Ice, c’est que ce n’est pas seulement une série de sport. »

TVアニメ「ユーリ!!! on ICE」PV

L’animé raconte l’histoire de Yuri Katsuki, un jeune patineur artistique japonais qui décide de se relancer dans la compétition après une série de douloureuses défaites. Son idole, le champion russe Victor Nikiforov, devient à sa grande surprise son entraîneur. Ensemble, ils vont enchaîner les compétitions dans le monde entier, face à d’autres patineurs aux personnalités très fortes, tandis que leur relation se resserre, épisode après épisode.

« Les fans ne s’y trompent pas »

A 36 ans, Ninou Cyrico, comme elle se fait appeler, est une inconditionnelle de Yuri on Ice, qu’elle a déjà regardé « cinq ou six fois ». Auteure et correctrice dans la vie, elle a même publié une fanfiction de près de 200 pages sur la série : un récit se déroulant quelques années après la fin de l’intrigue. « Les personnages de Yuri on Ice sont magnifiques, l’histoire est très intelligemment écrite, avec un souci du détail fabuleux », assure-t-elle, en soulignant le soin apporté à développer les personnages secondaires. « Même les plus anodins ont quelque chose qui fait que ce n’est pas que du décor. Les fans ne s’y trompent pas : avec les fanfics et les doujins [des mangas créés par des fans], ils ont aussi leurs groupies qui écrivent des histoires sur eux. »

Yuri!!! on ICE Anime - OFFICIAL HD English Trailer

Dès le mois d’octobre en effet, le Web des « fandoms », les communautés de fans, a vu Yuri on Ice prendre soudain une place considérable. Sur Tumblr, ses personnages principaux se sont in extremis invités dans la liste des couples les plus plébiscités de 2016. Sur le site de fanfictions Archive of Our Own, pas moins de 19 000 récits ont été publiés depuis octobre par des fans.

Et la grande majorité de ces créations s’intéresse à la relation entre Yuri et Victor. Dans l’animé, cette histoire d’amour est « sous-entendue, jamais explicite, traitée de façon très pudique », estime Ninou Cyrico. « C’est intelligent, car ça ne bouffe pas l’histoire, qui n’est pas la romance, mais bien le come-back de Yuri », et une ode au dépassement de soi. Et puis, souligne-t-elle, « une romance gay entre un Russe et un Japonais, en ce moment, et surtout côté russe, c’est très culotté ».

« Il n’y a pas d’homophobie dans cette série »

Yuri et Victor, les deux personnages principaux de « Yuri on Ice ».

Pour Garance Le Gall, elle aussi fan de Yuri on Ice et auteure d’un mémoire sur la représentation des LGBT dans la BD, la série « se pose comme une pierre blanche sur le calendrier de l’histoire de l’animé ».

« En Occident, on ne réalise pas que c’est très important ce qu’ils ont fait : une série animée mainstream de sport, qui ne soit ni du yaoi, ni du shonen ai [des genres consacrés à des histoires d’amour gay], avec un couple homo. C’est un peu comme ce que George Miller a fait avec “Mad Max : Fury road” : il a vendu ça comme un gros film de testostérone, et le public s’est retrouvé à voir un film féministe. »

Garance Le Gall, 27 ans, porte un costume inspiré de Victor, un des personnages principaux de « Yuri on Ice ». | Morgane Tual / Le Monde

Dans Yuri on ice, non seulement le couple formé par les deux hommes n’est pas le principal sujet, mais en plus il est considéré comme tout à fait banal par les autres personnages de l’animé. « Il n’y a pas d’homophobie dans cette série, et c’est important de voir ce genre d’histoire », pense la jeune femme, qui en ce jour de Japan Expo est venue habillée d’un des costumes de scène de Victor.

Pourtant, un certain nombre de spectateurs restent convaincus qu’il ne s’agit pas d’une histoire d’amour, ce qui a le don d’agacer la jeune femme : « Les Occidentaux sont tellement dans une vision que la romance n’existe pas sans baisers, sans sexe et sans “je t’aime” à l’écran qu’ils sont fermés à toute autre façon d’exprimer l’amour. »

Les deux auteures de la série, venues spécialement du Japon pour la Japan Expo, prennent quant à elle un malin plaisir à laisser planer, de façon toute relative, cette ambiguïté. « Leur relation n’est pas quelque chose qu’on peut décrire avec des mots », assure au Monde Mitsuro Kubo, la scénariste de la série, tout en évoquant une « histoire d’amour », qui ne peut exister que grâce au patinage artistique.

« En écrivant, j’ai rencontré un patineur à qui j’ai demandé s’il était possible d’aller aussi loin par amour, et il a répondu que oui. Ça m’a débloquée. » Mais elle le dit clairement : « Le but principal de l’animé, c’est de faire connaître le plus possible le patinage, (…) ce n’est pas à nous de dire comment interpréter ce qui se passe entre ces deux personnages. »

« On a travaillé à la façon d’un peintre »

Car tout est né de là : une passion pour le patinage artistique, partagée avec Sayo Yamamoto, la réalisatrice. Jusqu’ici, aucun animé n’existait sur le sujet, souligne Olivier Fallaix. « C’est sans doute parce que c’est très compliqué à animer, suggère-t-il. Personne n’avait jamais osé. » Et le résultat est à la hauteur des attentes : l’animation des scènes de patinage a été unanimement saluée, tout comme le réalisme avec lequel ce milieu professionnel est dépeint.

[YURI ON ICE] Yuri Plisetsky - Welcome to the Madness PV

Pour concevoir Yuri on Ice, les deux femmes ont travaillé avec des professionnels, à commencer par l’ancien champion japonais Kenji Miyamoto, qui a conçu les chorégraphies. Chaque personnage avait sa musique, à partir de laquelle il devait travailler. « On lui expliquait l’histoire, la personnalité du patineur, on lui demandait s’il était possible d’insérer un saut ici ou là », explique Sayo Yamamoto.

« C’était important pour nous que la personnalité d’un personnage se ressente quand il danse, plutôt que dans sa vie quotidienne. » C’est aussi pour cela qu’afin d’animer ces séquences, l’équipe n’a pas choisi de travailler en décalquant des vidéos de patineurs professionnels. « On a plutôt travaillé à la façon d’un peintre : on regarde ce que fait la personne et on dessine ce qu’on voit », mais aussi ce que l’on ressent.

Yuri!!! on Ice: Viktor Nikiforov eros

Un bon accueil chez les patineurs professionnels

Fascinées par des patineurs tels que Florent Amodio, Guillaume Cizeron, Gabriella Papadakis ou encore Morgan Cipres, elles se sont inspirées de certains d’entre eux pour créer personnages et costumes. Elles se souviennent avec bonheur être allées voir patiner Vanessa James, mais quand on leur demande si elles lui ont parlé, elles se transforment en groupies : « Nooooooon ! » rougissent-elles, comme si cela paraissait impossible.

Pourtant, Yuri on Ice a été plutôt bien reçu dans le monde du patinage artistique. Le triple champion américain Johnny Weir, à qui la série a notamment emprunté sa célèbre couronne de fleurs, a salué Yuri on Ice dans plusieurs interviews. « Il y a tellement de choses dans cette série qui me rappellent ma carrière, mes amis, les personnes autour desquelles m’a vie s’est organisée… » La double championne du monde russe Evgenia Medvedeva, quant à elle, ne tarit pas d’éloges sur la série, et pose même costumée en Yuri.

Mitsuro Kubo et Sayo Yamamoto n’avaient pas prévu d’offrir une suite aux fans. Mais devant un tel succès, « on s’est motivées pour aller plus loin », raconte Sayo Yamamoto. Un long-métrage animé, dont on ne sait rien pour l’instant, a été annoncé.