De plus en plus d’adolescents consomment du purple drank, autrement appelé codé-sprite, lean, syzzurp, un cocktail euphorisant et qui « fait planer ». De la codéine, utilisée en sirop (Euphon, Néo-Codion..) ou en comprimé comme le Codoliprane, diluée dans du soda, et détournée pour se droguer. De la grenadine ou des bonbons sont parfois ajoutés.

« Le nombre de cas graves est en augmentation depuis septembre 2015. Depuis janvier, cinq cas d’intoxication ont été répertoriés dont deux décès d’adolescents », indique l’Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM). Ce mélange est parfois associé à un antihistaminique, pour contrer les effets secondaires de la codéine (nausées, démangeaisons). Des produits en accès libre à la pharmacie, même pour les mineurs, puisque aucun texte n’interdit la vente de médicaments aux moins de 18 ans.

« Repérées pour la première fois en 2013, des demandes suspectes de délivrance de codéinés, des cas d’abus voire de dépendance chez des adolescents et jeunes adultes ont continué de faire l’objet de signalements avec une multiplication de cas à partir de 2015 », souligne une note de l’Observatoire français des drogues et des toxicomanies (OFDT), mardi 11 juillet. « La question est suffisamment importante pour qu’on décide de rendre publique cette synthèse qui témoigne de la visibilité croissante de ces pratiques », explique-t-on à l’OFDT.

« Extension du phénomène depuis 2013 »

Cette note recense les informations des huit sites locaux du dispositif « Tendances récentes et nouvelles drogues » (Trend), qui vise à rendre compte des phénomènes émergents. « On a pu constater sur le terrain l’extension du phénomène depuis 2013 », explique le médecin de santé publique Agnès Cadet-Taïrou, qui pilote ce dispositif.

Des boîtes de ces médicaments ont par exemple été trouvées dans les poubelles de camping sur la côte Aquitaine en 2015. Et des détournements de la consommation ont été signalés depuis à Paris, Lyon, Marseille et Rennes. Dans les fils de discussion les plus populaires sur Internet, des recettes et échanges de « bons plans » circulent.

Bien connu aux Etats-Unis depuis les années 1990, le purple drank, popularisé par les rappeurs américains qui vantaient sa vertu dans leurs chansons, y constitue un problème de santé publique. Il est devenu à la mode en France grâce aux réseaux sociaux.

Fait marquant, cette vogue touche essentiellement « un public jeune et inséré, lycéens, étudiants, jeunes actifs », explique Agnès Cadet-Taïrou. Loin des rave-parties mais plutôt dans des soirées « entre potes ». Ces mélanges sont souvent associés à de l’alcool, selon l’OFDT, et peuvent aussi devenir une alternative pour ceux qui n’en consomment pas, y compris pour des raisons culturelles. Filles et garçons en sont adeptes.

Pour Jean-Pierre Couteron, président de la Fédération addiction, « ce phénomène est d’autant plus déconcertant que ce sont des jeunes plutôt insérés, pas forcément en rupture, ce qui devrait nous interroger ».

Certains pharmaciens refusent de vendre aux adolescents

Décontractant, déstressant, désinhibant, les effets de la codéine sont bien connus. « Une impression de légèreté, comme de voler, mais des fois des nausées et la tête qui tourne », décrit une étudiante en dentaire à Bordeaux, citée dans la note de l’OFDT.

Les alertes viennent en continu du terrain, des pharmaciens d’abord, qui pour certains refusent de vendre ces médicaments à des adolescents, parfois des mineurs de 14 ou 15 ans. « L’un vient chercher un sirop contre la toux, l’autre arrive peu de temps après pour demander un antihistaminique, prétextant une allergie », relate un pharmacien marseillais cité dans la note.

« Nous avons averti toutes les pharmacies sur le risque de mésusage grâce au dispositif d’alerte du dossier pharmaceutique », explique Gilles Bonnefond, président de l’Union des syndicats de pharmaciens d’officine. Les signalements émanent aussi des consultations jeunes consommateurs (CJC), ces lieux où les adolescents confrontés à des problèmes d’addiction peuvent être pris en charge.

« J’ai deux ou trois cas par mois depuis un ou deux ans dans la CJC, raconte Jean-Pierre Couteron, également consultant dans celle de Boulogne-Billancourt (Hauts-de-Seine). Ce n’est pas une déferlante, mais ce n’est pas anecdotique. »

Pétition pour demander l’interdiction de cette « nouvelle drogue »

Alors que les premiers signalements ont été rapportés au réseau d’addictovigilance de l’ANSM en 2013, l’Agence avait adressé en mars 2016 une mise en garde. Difficile pour autant de savoir combien de jeunes consomment du purple drank. Des études sont en cours à l’OFDT. « Il existe suffisamment de risques pour que l’on informe les familles », insiste Jean-Pierre Couteron.

Une concomitance de signaux qui a conduit le ministère de la santé à se saisir du dossier. Il devrait annoncer prochainement la restriction de l’accès à ces médicaments codéinés, en les vendant uniquement sur ordonnance. Une des deux solutions proposées par la commission des stupéfiants et psychotropes de l’ANSM, le 29 juin, l’autre étant l’interdiction de vente aux mineurs, ce qui nécessite un texte de loi.

Moins courants, les médicaments contenant du dextrométhorphane, de la noscapine et de l’éthylmorphine (trois autres dérivés opiacés) pourraient aussi ne plus être vendus sans ordonnance, car eux aussi sont détournés.

La prise de conscience s’est accélérée avec le lancement dune pétition lancée par la mère de Pauline, 16 ans, décédée le 2 mai à la suite d’une overdose de médicaments à base de codéine. Dans cette pétition qui a recueilli plus de 50 000 signatures, elle demande l’interdiction de cette « nouvelle drogue des ados ».

Effets secondaires et risque de surdose

Comme pour toutes les drogues, les jeunes n’ont pas forcément conscience des dangers, et encore moins dans ce cas puisqu’il s’agit de médicaments. « C’est safe, on sait ce qu’on prend », témoigne ainsi un adolescent. Ils sont aussi attirés par leur faible coût et le fait d’éviter les dealers. Ils sont loin d’imaginer les effets secondaires et encore moins le risque de surdose.

Pourtant, une altération du sommeil, des problèmes de transit, des démangeaisons sont souvent rapportés. Plus grave, des passages aux urgences allant jusqu’à l’overdose. De même, l’association codéine et paracétamol peut, à dose élevée, être toxique et endommager le foie.

L’autre risque est d’entraîner une dépendance à ces molécules, connue de plus longue date chez les adultes. Le mésusage des médicaments opioïdes à visée antalgique est en effet un phénomène mondial.

Si une restriction est décidée, « cela devrait freiner le phénomène du purple drank et sûrement limiter les nouveaux expérimentateurs », estime le professeur Nicolas Authier, chef du service de pharmacologie médicale du CHU de Clermont-Ferrand (Puy-de-Dôme), qui préside la commission des stupéfiants et psychotropes de l’ANSM.

La question est toutefois de savoir quelles seront les conséquences pour les patients qui utilisent ces médicaments contre la douleur. « Cela restreindra au paracétamol et à l’ibuprofène les antalgiques disponibles pour la prise en charge en automédication d’une douleur aiguë », résume ce spécialiste. Il pointe aussi « le risque d’automédication dite familiale, à partir des médicaments disponibles dans les armoires à pharmacie ».