Devant l’hôpital universitaire médical numéro 1 de Shenyang, le 10 juillet. | STAFF / REUTERS

La visite de deux médecins occidentaux au chevet du dissident chinois Liu Xiao­bo, atteint d’un cancer en phase terminale, n’a fait qu’ajouter à la controverse, Pékin tentant depuis d’instrumentaliser leur passage ­et refusant toujours de faire droit à la demande du Prix Nobel de la paix 2010 et de sa famille de quitter le territoire.

L’intellectuel purgeait dans le nord-est de la Chine une peine de onze années d’emprisonnement pour subversion pour avoir rédigé en 2008 un manifeste en faveur de la démocratisation de son pays. Il s’est vu diagnostiquer en mai un cancer incurable du foie et a été hospitalisé en juin. Son état s’est dégradé rapidement.

La Chine reste sourde aux appels de la famille, des Etats-Unis, de l’Union européenne ou encore de 154 lauréats du Nobel, à le laisser quitter le territoire pour recevoir des soins palliatifs en Occident. Le gouvernement et l’hôpital soutiennent que M. Liu est dans un état trop grave pour être transféré.

« Mensonge d’Etat »

Tout au plus les autorités s’étaient-elles résolues à laisser deux spécialistes étrangers lui rendre visite, samedi 8 juillet, à l’hôpital universitaire médical no 1 de Shenyang. Or, ces deux médecins, l’Américain Joseph Herman, du centre de traitement du cancer MD Anderson à l’université du Texas, et l’Allemand Markus Büchler, de l’université de Heidelberg, ont conclu que, malgré le risque inhérent au transfert de tout patient, « M. Liu peut être transporté en toute sécurité avec des mesures d’évacuation médicale appropriées ». Ils ont toutefois ajouté que « l’évacuation médicale devrait intervenir le plus rapidement possible », plaçant ainsi la Chine face à ses responsabilités. Ils précisaient que leurs deux institutions respectives étaient disposées à l’accueillir et n’excluaient pas la possibilité d’une intervention chirurgicale ou de séances de radiothérapie.

La communauté soutenant la famille Liu veut encore espérer qu’après ce désaveu, la République populaire se résoudra à laisser le dissident sortir du pays. « C’est très significatif. On sait désormais que l’argument de sa ­condition médicale n’était qu’un prétexte, un mensonge d’Etat », dit Nicholas Bequelin, directeur pour l’Asie orientale d’Amnesty International. « La contradiction flagrante entre les déclarations des médecins étrangers et celles de l’hôpital montre l’acharnement des autorités contre Liu Xiaobo », juge le sinologue Jean-Philippe Béja, proche de la famille Liu.

Pékin ne l’entend pas de cette oreille. Depuis dimanche sont apparues sur les sites de la presse officielle des vidéos de la visite des médecins, visiblement tournées par l’appareil sécuritaire chinois à leur insu, les montrant accréditant le message des autorités. Sur l’une, le docteur allemand explique, devant Liu Xia et le lit de son époux au visage émacié, au sujet de l’équipe chinoise : « Ils veulent que nous aidions, et je pense que c’est un geste très aimable. » Sur une autre, M. Büchler dit au personnel médical : « Je ne pense pas que nous pourrions faire mieux que vous en Allemagne. »

Ce piège a rendu furieux Berlin, qui a dénoncé une violation de la confidentialité des échanges entre médecin et patient « contre le souhait exprimé de la partie allemande, qui a été communiqué par écrit avant la visite ». « Il semble que les organes de sécurité pilotent ce processus, et non des experts médicaux. Cette attitude sape la confiance en la gestion par les autorités du cas de M. Liu », a fustigé lundi l’ambassade allemande à Pékin. Le bureau de la chancelière Angela Merkel a demandé le même jour un « signe d’humanité ».

La dernière fois que la Chine a laissé partir un prisonnier politique pour raison médicale, c’était en 2005, en amont d’une visite de la secrétaire d’Etat américaine d’alors, Condoleezza Rice. Il s’agissait de Rebiya Kadeer, devenue depuis la porte-voix à l’étranger de la cause des Ouïgours.

Au moins deux militants sont morts, sous M. Xi, après, selon leurs soutiens, s’être vu refuser des soins en détention : la militante Cao Shunli avait été relâchée en 2014 après des semaines de coma pour mourir quelques jours plus tard, tandis que le Tibétain Tenzin Delek Rinpoché, souffrant d’hypertension artérielle, décédait l’année suivante en prison.

Dilemme politique

« Liu Xiaobo a dit qu’il voulait mourir dans un pays occidental », explique le dissident exilé en Allemagne Liao Yiwu, qui a poussé Berlin à être particulièrement actif sur le dossier. Il est probable que le Prix Nobel souhaite, en se faisant accompagner par son épouse, Liu Xia, maintenue en résidence surveillée depuis son arrestation et dont l’isolement l’a conduit à la dépression, la faire sortir du pays. Le risque pour le régime communiste est qu’elle s’exprime sur le sort que leur a réservé Pékin.

Le dilemme de Pékin est politique, à l’approche du XIXe Congrès, qui marquera, à l’automne, les cinq ans à la tête du Parti communiste de Xi Jinping et consacrera son pouvoir en l’adoubant pour un nouveau mandat. Il faut autant éviter de paraître faible en cédant à la pression occidentale que de nourrir une crise diplomatique. « Le sort de M. Liu repose maintenant entièrement entre les mains de Xi Jinping, c’est le seul à pouvoir avaliser cette décision, juge M. Bequelin. C’est cette question froide qui lui est posée : est-ce qu’il vaut mieux que Liu Xiaobo meure en Chine ou à l’étranger ? »