Tout indique qu’Etché Noël N’Drin est un entrepreneur : son costume, l’assurance de son pas et ses phrases volontaristes : « Quand vous avez une idée en tête, il faut se battre, il faut aller au bout. » Au lycée, en Côte d’Ivoire, il refuse l’orientation proposée par ses professeurs qui le voyaient en filière littéraire, quitte à changer d’école. « Depuis tout petit, j’aime l’informatique. » Après une formation d’ingénieur à Abidjan, il travaille pour plusieurs compagnies françaises, dans la finance et l’agro-alimentaire.

Présentation de notre série : L’e-santé, le grand espoir de l’Afrique

Aujourd’hui, à 46 ans, il se souvient des derniers mots de son père, décédé en 2011 : « Tu vas aller en Europe, tu vas rencontrer des Blancs. » Cinq ans plus tard, c’est chose faite. En 2016, OPISMS, le carnet de vaccination électronique qu’il a conçu, est primé par l’Observatoire de l’e-santé dans les pays du Sud (Odess). Pour 1 000 francs CFA, soit environ 1,50 euro par an, l’application envoie des SMS sur les vaccins à réaliser chez l’enfant, mais aussi sur les épidémies en cours, comme Ebola. « 90 % des enfants en Côte d’Ivoire ne respectaient pas le schéma de vaccination », explique-t-il.

Une interface web permet également de retrouver l’ensemble des vaccinations réalisées. « Des personnes qui avaient perdu leur carnet de santé ont pu reconstituer leur schéma de vaccination. On a eu beaucoup de retours pour nous remercier. » Et les survaccinations sont en parties évitées.

« Technologie peu coûteuse »

Si le principe d’OPISMS peut sembler sommaire, l’enjeu est considérable. « 1,6 million de vies par an pourraient être sauvées d’après l’OMS si la couverture vaccinale était totale dans le monde », précise son concepteur. Au lancement national du service en 2013, « le taux de couverture vaccinale en Côte d’Ivoire se situait entre 85 % et 90 % ». Fort de ses 650 000 utilisateurs annoncés, OPISMS aurait permis d’approcher une couverture vaccinale supérieure à 99 % d’après M. N’Drin. En partenariat avec le ministère de la santé ivoirien, l’application est proposée dans 160 centres de santé à travers le pays. Ivocarte-Abishop, la société qui porte le projet, compte désormais neuf salariés permanents et affiche un chiffre d’affaires de 80 millions de francs CFA (122 000 euros).

Capture d’écran du carnet de vaccination tel qu’il apparaît sur OPISMS. | DR

En 2001, les membres de l’Union africaine s’engageaient à Abuja à dépenser 15 % de leur budget pour la santé. Mais, dans le budget prévisionnel 2017 de la Côte d’Ivoire, la santé ne représente que 5,9 %. Et le cas ivoirien est loin d’être une exception. « Les gouvernements africains n’arrivent pas à venir complètement en aide à la population », estime l’entrepreneur, qui y voit une preuve supplémentaire que le secteur privé doit apporter sa pierre à l’édifice. Premier service d’e-santé développé en Côte d’Ivoire, OPISMS est aussi devenu en deux ans l’un des plus utilisés et remarqués en Afrique.

Grâce au succès de son projet, M. N’Drin est devenu en 2017 membre du groupe d’experts de l’Odess. Il est convaincu que son application et les autres innovations d’e-santé en Afrique peuvent « sauver des vies grâce à une technologie peu coûteuse et qui ne demande pas une grande infrastructure ». Fin 2016, le taux de pénétration de la téléphonie mobile était estimé à 99,7 % de la population mondiale, selon l’Union internationale des télécommunications. Et cela alors que, selon l’OMS, encore 14 % des habitants de la planète ne bénéficient pas des vaccins considérés comme essentiels.

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Le Monde Afrique propose une minisérie qui présente quatre projets numériques primés par la Fondation Pierre-Fabre et développés en Ethiopie, au Sénégal et au Botwana.