Je note avec beaucoup de circonspection le bruit, souvent excessif, provoqué par les propos d’Emmanuel Macron au G20 à Hambourg sur le « défi civilisationnel » de l’Afrique, que le président français précise ainsi : « Quand des pays ont encore sept à huit enfants par femme, vous pouvez décider d’y dépenser des milliards d’euros, vous ne stabiliserez rien ». Certains ont vite établi un parallèle avec le discours de Dakar de Nicolas Sarkozy, dans lequel l’ex-président français regrettait que « l’homme africain » ne soit pas « assez entré dans l’Histoire ».

Replaçons le contexte. Emmanuel Macron répondait à une question exaspérante de Philippe Kouhon sur comment l’Occident peut « sauver » l’Afrique. Le journaliste ivoirien représente, certainement de façon involontaire, cette « conscience de la défaite » qui nous étreint depuis si longtemps, celle qui place une large frange d’entre nous, Africains, dans la posture du mendiant réclamant une pitance au généreux « chef blanc ».

La condescendance des privilégiés

Il en est de même pour ceux qui demandent ce qu’un nouveau président français fera pour l’Afrique. Et comme l’agenda de chaque locataire de l’Elysée est exclusivement français, ils sont déçus et s’en remettent au bon vouloir du suivant. Eternel recommencement : nous souffrons d’une maladie post-coloniale que nous n’arrivons pas à traiter à sa racine.

Pour en revenir à la polémique, je suis convaincu d’emblée qu’Emmanuel Macron n’est pas raciste. C’est exagéré, voire malhonnête, de soutenir le contraire. Mais il porte en lui toute la condescendance de la classe sociale des privilégiés qu’il représente : mâle, blanc, riche, membre de l’élite issue des grandes écoles, etc.

Les travaux du politologue Gaël Brustier permettent de le situer intellectuellement et idéologiquement avec précision. C’est un « intellectuel organique du nouveau capitalisme » perpétuant un système néolibéral qui, à terme, est plus pernicieux pour l’Afrique que sa logorrhée sur la civilisation touchante de vacuité.

« L’Afrique a de nombreux défis civilisationnels à relever. Comme l’Europe avec la résurgence de populismes racistes, comme l’Amérique qui impose au monde le cauchemar Donald Trump »

Les réactions aux propos du président français m’ont surpris. Elles illustrent une forme de réflexe pavlovien face aux déclarations des hommes politiques occidentaux. Prendre Macron au sérieux, franchement… C’est l’archétype de l’homme politique post-Obama, sans la gravité ni le fond. Une sorte de Justin Trudeau hexagonal, cool, décontracté, avec un discours rempli de mots creux alignés pour faire intelligent, mais digne d’une dissertation de première année de philo.

Le propos vague servi dans un phrasé aux relents évangéliques produit un fatras qui fait sourire. L’Afrique a de nombreux défis civilisationnels à relever. Comme l’Europe aujourd’hui, terre de résurgence de populismes racistes, comme l’Amérique, jadis symbole de rêve et qui impose au monde le cauchemar Donald Trump. Et alors ?

Bêtise humaine et ignorance

Frères Africains, consacrons notre énergie à ce qui en vaut la peine ! Si les élucubrations d’un enfant gâté de la République nous font autant sortir de nos gonds, c’est nous qui avons un problème profond avec nous-mêmes. Je ne fustige pas la colère, elle est nécessaire. Il nous faut évidemment savoir nous indigner face aux malheurs et aux injustices du monde. Mais utiliser notre énergie pour réagir aux propos d’un président français pendant que les Burundais, les Congolais, les Sud-Soudanais meurent à cause de l’inaction coupable, voire complice, de nos dirigeants africains est une perte de temps.

Lors de la première édition des Ateliers de la pensée à Dakar, l’historien sénégalais Mamadou Diouf rappelait son embarras que des intellectuels aient mobilisé leur énergie et leur temps pour répondre aux déclarations de Sarkozy sur l’Afrique. Il a raison. Le mépris reste parfois la meilleure réponse face à la bêtise humaine et à l’ignorance.

« Utiliser notre énergie pour réagir à ces propos pendant que les Burundais, les Congolais, les Sud-Soudanais meurent à cause l’inaction de nos dirigeants africains est une perte de temps »

S’indigner ne signifie pas se couvrir de ridicule à coups de tweets ou de posts Facebook exagérés. Les bouffons racistes, parmi nous, qui parlent en notre nom, ne nous rendent pas service et ne servent pas la cause de la transformation sociale et du progrès dans nos pays. La colère doit déboucher sur un véritable projet, lequel est d’ores et déjà voué à l’échec s’il n’est que réaction aux propos de tel ou tel. Fût-il un président français.

Hamidou Anne est membre du cercle de réflexion L’Afrique des idées.