Hilaire Van der Schueren, lors de la 2e étape de l’Etoile de Bessèges, à Nîmes, le 2 février. GARNIER éTIENNE / PRESSE SPORT | GARNIER ETIENNE / PRESSE SPORTS

Le grand cirque du Tour de France abrite son lot de faciès hors du commun, mais aucun ne semble appartenir à un autre siècle comme celui de Hilaire Van der Schueren. On peut en contempler l’attendrissante bonhomie et les replis fascinants chaque matin, après le briefing avec les coureurs, lorsque le gaillard de 69 ans s’extrait du bus de l’équipe Wanty-Groupe Gobert et s’assoit sur le capot de sa voiture, bras croisés sur une imposante bedaine, en attendant le départ de l’étape et les questions des journalistes. Contempler, c’est le mot : Van der Schueren est un monument historique, classé au patrimoine mondial du cyclisme. Le Belge effectue son vingtième Tour de France en tant que directeur sportif, trente-sept ans après le premier – longévité rarissime – vécu à 22 ans comme adjoint aux côtés du mythique Guillaume Driessens, et de coureurs plus âgés que lui.

Chambre fermée

En 1980, « Hilario » avait encore des cheveux, et déjà un ventre rond ; l’époque tolérait qu’une équipe soit sponsorisée par une marque de cigarettes ; le GPS n’avait pas chassé les cartes Michelin des voitures suiveuses ; le cyclisme n’était pas aussi confortable qu’aujourd’hui. « Maintenant, chaque équipe a trois autobus avec le Wi-Fi, une douche, un frigo, une machine à laver. Mais tout ça n’existait pas, raconte Van Der Schueren. On avait juste un petit camion avec des vélos, des roues, et une place pour le soigneur. Les coureurs rentraient à l’hôtel dans les voitures, ils faisaient leur lessive eux-mêmes, et on suspendait le linge dehors parce qu’il n’y avait pas de sèche-linge. »

Le vélo a changé plus vite qu’Hilaire Van der Schueren, qui incarne de façon presque caricaturale un cyclisme romantique, basé sur la chaleur humaine et les sensations du coureur, aux antipodes du cyclisme futuriste façon Sky, celui de la technologie, de la guerre des watts et des gains marginaux. « C’est l’un des derniers dinosaures, qui fait fonctionner son équipe à l’ancienne », selon Marc Madiot, manageur de l’équipe FDJ.Une sorte de Guy Roux de la pédale, avec qui il vaut mieux être à l’heure, qui interdit les portables au repas et veille au grain sur certains détails.

« Dans l’oreillette, c’est soit du flamand, soit du français, soit de l’anglais, mais le plus souvent, c’est un mix des trois, ce qui fait que très hon­nêtement », on ne comprend pas grand-chose, rigole Guillaume Martin

« La veille de la journée de repos, raconte Yoann Offredo, l’un des deux Français de l’équipe, il nous a envoyé le programme du lendemain par texto, et le message se terminait par : “Pas de femme dans les chambres.” Hilaire Van der Schueren, c’est Le Vélo, de Ghislain Lambert [film sorti en 2001], où le manageur de l’équipe ferme les chambres à double tour le soir. C’est le vrai vélo. » Mot d’ordre entendu : on a vu du Wanty partout depuis dix jours. L’équipe ne fera certes pas aussi bien que la Superconflex lors du Tour 1988, le meilleur de « VDS », qui y avait obtenu six victoires d’étape.

Mais le Petit Poucet de la Grande Boucle 2017, budget dix fois inférieur à celui de l’équipe Sky de Chris Froome, a placé un coureur dans les échappées quasiment chaque jour, obtenu une visibilité maximale, et se trouve dans la première moitié du classement en termes de gains pécuniaires. Le curieux attelage entre le plus âgé des directeurs sportifs – qui a dirigé des légendes telles que Jan Raas ou Joop Zoetemelk mais, chose rare, n’a jamais été cycliste professionnel – et ses neuf coureurs néophytes sur le Tour fonctionne bien, malgré quelques soucis de communication, puisque Hilaire parle une langue qu’il est le seul à maîtriser : le Van der Schueren. « Dans l’oreillette, c’est soit du flamand, soit du français, soit de l’anglais, mais le plus souvent, c’est un mix des trois, ce qui fait que très hon­nêtement, on ne comprend pas grand-chose, rigole Guillaume Martin, autre coureur tricolore de la Wanty. Donc au bout d’un moment, on enlève l’oreillette, parce que c’est trop pénible. » Mais ce que retient surtout l’ancien sprinteur Jimmy Casper, sous ses ordres en 2007, « c’est son charisme. La première fois que tu vois ce mec-là, tu ne penses pas qu’il est directeur sportif. Et puis tu comprends vite que c’est un filou, qui a des connexions partout, qui sait tout, sur tout le monde, avant tout le monde, et qui va toujours trouverdes alliés. Personne ne peut la lui faire à l’envers ». « Il a la ruse du fermier », sourit Guillaume Martin. Et pour cause.

Réputation de chauffard

Hilaire Van der Schueren a grandi dans la ferme familiale, posée entre le pied du Bosberg et le mur de Grammont, deux collines du Tour des Flandres, la plus célèbre des classiques belges. Il vit aujourd’hui dans une maison à 200 mètres de là. Ses parents ne sont plus là, la ferme si. « Chaque année, l’équipe vient faire la reconnaissance pour Het Nieuwsblad, la première course de la saison en Belgique, explique Van der Schueren, qui appelle ses coureurs par leur nom de famille (“Offredo, viens voir !”). Ensuite, on se retrouve à la ferme pour manger tous ensemble. » L’endroit abrite surtout le bétail de Hilaire Van Der Schueren : vingt vaches. « On ne les trait pas, on fait ça juste pour avoir du bifteck. » Chaque année, il coupe le quart d’une vache et file les trois autres aux copains.

Pendant le Tour, le bonhomme se délecte des paysages. « A Troyes, je suis rentré à l’hôtel en voiture avec lui, et à un moment, on passe devant les grands champs de blé, il était en admiration, raconte Guillaume Martin. C’est une des raisons pour lesquelles il aime le Tour de France, voyager au milieu de ces terres agricoles. » Hilario, qui traîne une réputation de chauffard sur le Tour mais n’a connu qu’un accident en trente-sept ans de carrière (il avait embouti la voiture de Bjarne Riis en 2011), ne pourra bientôt plus conduire pendant la course : la limite d’âge est fixée à 70 ans. « Tant pis, je me mettrai sur le siège passager, et j’aurai un chauffeur. » On n’a pas fini de voir l’incroyable Hilaire Van Der Schueren sur le Tour de France.