De gauche à droite : Casey Wasserman, patron de la candidature américaine, Thomas Bach, président du CIO, Eric Garcetti et Anne Hidalgo, maires de Los Angeles et de Paris, à Lausanne, le 11 juillet. Jean-Christophe Bott / AP | Jean-Christophe Bott / AP

De bon matin, sur les bords du lac Léman, une épaisse brume flotte sur l’eau et bouche l’horizon. Puis les heures passent et la brume finit par se dissiper. En cette fin d’après-midi, mardi 11 juillet, le brouillard olympique s’est levé dans la cité vaudoise, mais l’horizon n’est pas tout à fait dégagé pour autant. Il faudra patienter encore un peu. Comme attendu, les membres votants du Comité international olympique (CIO) présents dans l’auditorium du moderne Swiss Tech Convention Center ont validé, à l’unanimité, le principe de la double attribution des Jeux de 2024 et 2028.

Depuis des semaines déjà, on savait le suspense mince. L’Allemand Thomas Bach, président de l’institution, prônait cette décision quasiment inédite – en 1921, les Jeux de 1924 et 1928 avaient été attribués simultanément à… Paris et Amsterdam – afin de sortir par le haut d’une crise des candidatures, Los Angeles et Paris étant les deux seules villes en lice pour l’édition 2024.

« Stabilité pour les Jeux »

Est-ce suffisant pour éclaircir complètement la situation ? Pas totalement. Il suffisait, juste après le vote, d’observer Thomas Bach prenant les mains d’Anne Hidalgo et d’Eric Garcetti, les deux édiles, de les voir tous trois lever les bras sous les applaudissements des membres du CIO, pour saisir le caractère insolite de la situation. Façon arbitre de boxe, le président félicitait autant la maire de Paris que celui de Los Angeles.

Sourire ostentatoire, il tenait son image du jour. Deux vainqueurs désignés sans compter les points, et à eux de se remettre les médailles. Car s’ils ont validé le principe de la double attribution, les membres du CIO n’ont pas pour autant clarifié le sujet sensible de la répartition des échéances.

Qui remportera 2024 ? Qui héritera de 2028 ? Quelles seront les contreparties pour la ville qui devra attendre quatre ans de plus ? Le texte voté mardi confie à la commission exécutive du CIO – quinze membres, dont le président et les quatre vice-présidents – la mission de « conclure un accord tripartite » qui conviendra à Los Angeles, Paris et donc à l’institution. A charge aux deux villes de s’entendre, donc.

« Je pense qu’un accord sera trouvé, c’est dans l’intérêt de tout le monde », a estimé le prince Albert II de Monaco

L’horizon qui se dessine semble être celui de Jeux organisés à Paris en 2024 et à Los Angeles en 2028, mais il faut encore le saupoudrer de conditionnel. Cet accord pourrait être acté à Lima, le 13 septembre, lors de la prochaine session du CIO. Mais faute d’entente entre les différentes parties, on reviendrait à la procédure initiale, à savoir l’attribution des seuls Jeux 2024. Une issue très peu probable.

Thomas Bach souhaite ménager un brin de suspense jusqu’en septembre, mais il affiche sa confiance et ne semble pas vraiment envisager ce scénario catastrophe. « C’est un pas en avant vers une procédure plus active et moins coûteuse », s’est félicité le président du CIO, heureux de s’offrir « une opportunité en or pour s’assurer de la stabilité des Jeux pour onze ans ».

« Avant, avec les procédures de candidatures, c’était tout pour le gagnant », a pour sa part déclaré le maire de Los Angeles, rayonnant. « Là, pour la première fois, il y aura deux maires qui auront les deux prochains Jeux » après ceux de Tokyo 2020, s’est-il même avancé, comme si l’accord était déjà scellé. Officiellement pourtant, il n’en est rien. Après la phase de compétition, celle de négociation a déjà débuté.

De gauche à droite : Emmanuel Macron, président français, Tony Estanguet, co-président de la candidature française et Anne Hidalgo maire de Paris, à Lausanne, le 11, 2017 (Valentin Flauraud/Keystone via AP) | VALENTIN FLAURAUD / AP

Anne Hidalgo a salué « une décision qui permet trois gagnants », le troisième étant bien entendu le mouvement olympique. Les deux maires ont multiplié les propos bienveillants. « Anne Hidalgo et moi sommes vraiment amis, nous avons des affinités », a assuré Eric Garcetti.

Le matin, à côté d’Emmanuel Macron, venu jouer les VRP de luxe, les soutiens de la candidature française avaient rappelé leur volonté d’organiser l’événement en 2024 et pas au-delà, tout en se disant « prêts à travailler sur un accord gagnant-gagnant-gagnant ». La position française s’apparente à un jeu d’équilibrisme, où il faut parfois savoir ne pas répondre à certaines questions, surtout celles concernant une éventuelle organisation en 2028.

Pas de place au doute

Au niveau des concessions, Los Angeles s’est montré le plus accommodant : il y a plusieurs semaines, des représentants de la candidature américaine avaient laissé entendre que la porte était entrouverte pour 2028. S’ils n’ont pas voulu le dire trop clairement mardi matin, lors du grand oral des deux villes, dans une partie de poker où chacun des deux participants hésite à abattre ses cartes, leur position semble toujours empreinte de pragmatisme. Il s’agit « de servir le mouvement olympique bien au-delà de 2024 », a répété Casey Wasserman, le patron de la candidature américaine.

Les membres du CIO se sont montrés confiants sur l’issue des négociations. « Je pense qu’un accord sera trouvé, c’est dans l’intérêt de tout le monde », a estimé le prince Albert II de Monaco à propos de cette nouvelle procédure qu’il qualifie de « décision sage ». « Il faut maintenant s’asseoir autour de la table et discuter, résume le Britannique Craig Reedie. Les villes y réfléchissent déjà. »

La chronologie de l’organisation laisse pourtant peu de place au doute. « Je pense que c’est Los Angeles qui serait le plus en mesure d’organiser les Jeux en 2028 », estime le prince Albert. « Dans quinze jours, ce sera fait », pronostique un vieil habitué des arcanes olympiques. L’annonce d’un accord pourrait intervenir fin août, et la ville qui héritera de 2028 devrait obtenir des contreparties financières, même si M. Bach a pour l’instant éludé la question. « Il y a des coûts légitimes à prendre en compte si l’échéance est retardée », juge le Canadien Richard Pound.

Dans le cas d’un accord scellé en août, serait-il toujours nécessaire d’organiser la session de Lima, alors que le CIO prône désormais la sobriété ? Richard Pound n’en est pas sûr : « Si vous êtes maire, on peut comprendre que vous vouliez votre moment de soleil et de l’exposition médiatique pour fêter cela. Mais vous pouvez faire cela sans aller à Lima. »

A Lausanne, pourtant, cette position était peu partagée. La 131e session aura bien lieu au Pérou. Difficile de refuser un voyage loin des brumes du lac Léman.