Le périphérique parisien lors d’un épisode de pollution en 2015. | Charles Platiau / REUTERS

« C’est immense. » Louis Cofflard ne cache pas sa satisfaction. « C’est la première fois qu’une ONG parvient à faire condamner l’Etat à respecter une directive européenne qu’il viole depuis des années », déclare au Monde l’avocat de l’association Les Amis de la Terre qui est aussi le président de sa section parisienne.

Dans un arrêt rendu mercredi 12 juillet, le Conseil d’Etat lui a donné raison en « enjoi[gnant] en outre au premier ministre et au ministre chargé de l’environnement de prendre toutes les mesures nécessaires pour que soient élaborés et mis en œuvre […] des plans relatifs à la qualité de l’air permettant de ramener […] les concentrations de dioxyde d’azote [NO2] et de particules fines PM10 en dessous des valeurs limites dans le délai le plus court possible ».

Depuis 2009, la France est dans le collimateur de Bruxelles pour non-respect de la directive européenne de 2008 sur la qualité de l’air. Elle fait aujourd’hui l’objet d’un avis motivé (PM10) et d’une mise en demeure (N02) de la Cour de justice de l’Union européenne pour dépassements réguliers des valeurs limites de ces deux polluants.

Plan à transmettre à la Commission avant le 31 mars 2018

Pour les particules fines, le seuil d’exposition (40 µg/m³ en moyenne annuelle) n’est pas respecté dans dix zones dont les agglomérations parisienne, lyonnaise, marseillaise ou la Martinique. Et dix-neuf zones dont l’Ile-de-France sont concernées par les excès d’émission de dioxyde d’azote dont la limite est fixée à 30 µg/m³ en moyenne annuelle par ladite directive. Des dépassements que la rapporteuse publique, Suzanne Von Coester, avait qualifiés de « flagrant, important, persistant et ancien » dans ses conclusions.

Corollaire au non-respect de la directive, la France est également poursuivie par Bruxelles pour insuffisance de ses plans d’actions, les fameux plans de protection de l’atmosphère (PPA).

En 2015, Les Amis de la Terre avaient déposé une requête devant le Conseil d’Etat pour que cette directive soit appliquée sur l’ensemble du territoire. La dernière d’une longue série débutée en 2006 contre le premier PPA d’Ile de France. Cet ultime recours aura été le bon.

Le Conseil d’Etat demande au gouvernement de prendre des mesures rapidement et de les transmettre à la Commission européenne dans un « délai de neuf mois » qui « expire le 31 mars 2018 ». Pour l’ONG, cette décision va « obliger l’Etat à adopter des plans beaucoup plus ambitieux ». En cours de révision, le PPA d’Ile-de-France a déjà fait l’objet d’un avis défavorable de la région Ile-de-France, vendredi 7 juillet, estimant que les moyens mis à disposition par l’Etat étaient insuffisants.

Le plan se fixe pour objectif de « diviser par trois » le nombre de Franciliens exposés à des dépassements de PM10 et de NO2 d’ici à 2020. Selon les dernières données d’Airparif, l’organisme chargé de contrôler la qualité de l’air, en 2015, 300 000 Franciliens étaient exposés à des excès de PM10 et 1,6 million à des dépassements de NO2, contre respectivement 5,6 millions et 3,8 millions en 2007, lors du premier plan. « Des améliorations insuffisantes » pour Louis Cofflard, qui espère que l’arrêt du Conseil d’Etat forcera les pouvoirs publics à « prendre des vraies mesures en agissant essentiellement sur le trafic routier mais aussi sur l’industrie et le secteur agricole ».

Jusqu’ici, les préfets, qui sont chargés d’élaborer et d’appliquer les PPA, ont souvent un temps de retard dans la bataille contre la pollution. Lors du dernier pic à l’ozone en région parisienne, le préfet a ainsi encore attendu trois jours, malgré les demandes répétées de la Mairie de Paris et les alertes d’Airparif, pour ordonner la circulation différenciée qui interdit aux véhicules les plus polluants de pouvoir rouler.

« Le changement climatique ne peut pas attendre cinq à dix ans »

Contactée par Le Monde, la préfecture renvoie la balle au ministère de la transition écologique et solidaire au motif que le « contentieux » est de portée « nationale ». Le cabinet de Nicolas Hulot n’a pas répondu à nos sollicitations. Mais la feuille de route du ministre, que Le Monde avait dévoilée, prévoit en matière de lutte contre la pollution de l’air de « mettre fin aux zones de non droit de santé publique violant les normes européennes en se fixant comme objectif de non-dépassement des seuils d’ici cinq à dix ans ».

« Il va falloir aller plus vite que cinq à dix ans, assure l’avocat des Amis de la Terre. La pollution de l’air ne peut pas attendre cinq à dix ans, le changement climatique ne peut pas attendre cinq à dix ans. » Et la Commission européenne ne devrait pas non plus attendre « cinq à dix ans » pour que la France se conforme à la directive sur la qualité de l’air. En septembre, elle diffusera son rapport de synthèse sur les émissions de polluants en 2016 dans les pays membres de l’Union européenne. La France dépassera encore les normes. Pas de quoi relâcher la pression de Bruxelles qui jusqu’ici n’a condamné qu’un pays, la Bulgarie.