Le 12 juillet, 200 sites Internet se sont mobilisés pour protester contre les menaces planant sur la neutralité des réseaux. | Clarisse Charbonnier / Le Monde

Netflix, Reddit, Twitch, Vimeo, Spotify… Mercredi 12 juillet, les Américains ont pu découvrir, en se connectant sur ces importantes plates-formes, des messages appelant à défendre la neutralité du Net.

Le gigantesque forum Reddit a pour l’occasion changé de logo : sa mascotte Snoo est ainsi apparue toute pixelisée, l’image ne s’affinant que progressivement, comme par la faute d’une connexion ralentie. Un message de son cofondateur, Alexis Ohanian, a également été mis en avant sur la page d’accueil de ce site qui revendique 250 millions d’utilisateurs.

Sur Vimeo, c’est une vidéo inratable qui a accueilli les visiteurs, expliquant les tenants de la neutralité du Net et ce qui la menace aujourd’hui. La fondation Mozilla, initiatrice d’une pétition pour défendre ce grand principe remis en cause par l’administration Trump, a diffusé une vidéo de 9 heures durant laquelle sont lus les messages de 40 000 de ses signataires.

Pendant la journée du 12 juillet, Reddit a marqué son soutien à la neutralité du net en floutant son logo. | Reddit

Sur les versions américaines d’Amazon, Netflix, Twitch ou Spotify, ce sont de discrètes bannières qui ont marqué leur soutien à la neutralité du Net.

Google a marqué plus timidement encore son adhésion au mouvement. A 18 heures à Paris (9 heures sur la côte ouest américaine), le géant du Web n’expliquait son soutien à la cause que sur son blog. Même chose pour Twitter, qui a cependant agrémenté le hashtag #NetNeutrality d’une petite icône symbolisant un temps de chargement. D’autres acteurs incontournables du Net, tel Facebook, n’avaient à la même heure pas encore affiché leur soutien. Mark Zuckerberg, le PDG du célèbre réseau social, a cependant exprimé sa solidarité avec le mouvement sur sa page personnelle.

Près de 200 sites ont pourtant annoncé participer à cette journée, représentant des entités aussi diverses que l’ONG Greenpeace, la puissante association américaine de défense des libertés publiques ACLU (American Civil Liberties Union), le site de streaming musical Spotify, l’association Creative Commons, la plate-forme de pétitions Change.org ou encore les géants de la pornographie YouPorn et RedTube. Dans la liste consultable sur le site de battleforthenet.com, qui organise la journée d’action, quelques absences notables ont toutefois été remarquées, comme celles d’Apple, Microsoft ou encore Wikipédia. En 2012, l’encyclopédie en ligne comptait pourtant parmi les principaux porte-voix de la protestation contre les propositions de loi PIPA et SOPA, allant même jusqu’à bloquer temporairement ses contenus.

La Fondation Mozilla a lu plusieurs dizaines de milliers de messages de signataires pro-neutralité du net lors d’une vidéo fleuve. | Mozilla

Un principe de non-discrimination

La neutralité du Net est un principe de non-discrimination qui régit Internet depuis sa création. Il assure un accès technique égal à tous, qu’on soit un particulier ou une entreprise, et quel que soit le service auquel on se connecte. Il s’agit de traiter toutes les données de la même manière : ainsi, un fournisseur d’accès ne peut pas faire payer davantage ses consommateurs pour un meilleur débit sur YouTube ou Netflix, par exemple.

Pour ses défenseurs, la neutralité du Net est ce qui permet à de petits services de devenir grands : « Internet est un terrain de jeu ouvert à tous, sur lequel les nouveaux entrants et les joueurs les plus établis peuvent atteindre de la même façon des utilisateurs », souligne Google sur une de ses pages consacrées à la question.

« Si les fournisseurs d’accès à Internet peuvent bloquer certains services et imposer des contrats qui favorisent le contenu de certaines entreprises sur d’autres, cela menacerait l’innovation qui fait qu’Internet est si génial. »

Le site Battle for The Net estime de son côté que la neutralité du Net « protège notre liberté d’expression sur Internet » en empêchant les grands opérateurs de « ralentir et bloquer des sites, ou faire payer les applis et les sites pour atteindre leur audience ».

Les opposants à la neutralité du Net, dont font notamment partie les grands opérateurs américains comme Verizon, Comcast et AT&T, soulignent quant à eux les coûts considérables que représente pour eux la modernisation du réseau, indispensable au vu de l’augmentation du trafic – notamment avec l’explosion de services vidéo comme YouTube et Netflix, mais aussi la vidéo en direct. Faire payer les utilisateurs pour des services de plus grande qualité pourrait leur permettre d’investir et d’innover davantage, assurent-ils.

La bataille semblait pourtant être gagnée

Et c’est pour ces derniers que penche l’administration Trump, qui a décidé de remettre en cause la neutralité du Net, à travers le régulateur américain des télécoms, la FCC (Federal Communications Commission). Pourtant, deux ans plus tôt, les défenseurs de ce principe pensaient avoir gagné la bataille. En 2015, à l’issue de longs débats, la FCC avait décidé que l’Internet américain était un « bien public » au même titre que le réseau téléphonique, et que les fournisseurs d’accès à Internet devaient être soumis aux mêmes règles, incluant la neutralité du réseau. Ceux-ci se sont alors retrouvés placés sous l’autorité de la FCC, qui a depuis pour responsabilité de veiller au respect de la neutralité du Net.

Mais depuis l’arrivée de Donald Trump à la Maison Blanche, les temps ont bien changé. Les défenseurs des libertés numériques ont senti le vent tourner quand Ajit Pai, opposant notoire à la neutralité du Net et ancien conseiller de l’opérateur Verizon, a été nommé par le nouveau président à la tête de l’institution, entouré d’autres personnalités opposées à ce principe. En avril, la FCC a ouvert les hostilités fin avril, en annonçant officiellement son intention de remettre en question la neutralité du Net, qualifiée d’« erreur » par Ajit Pai. Un mois plus tard, ce projet était validé par un vote au sein de la FCC – et interdit toute modification future des règles liées à la neutralité du Net. Mais le projet doit encore faire l’objet de plusieurs mois de débats et de consultations publiques, avant d’être éventuellement amendé par la FCC et à nouveau soumis au vote, dont le résultat sera cette fois définitif.

Un nouveau « black-out » du Web ?

C’est de cet intervalle que profitent les défenseurs de la neutralité du Net pour se mobiliser, et surtout, sensibiliser le grand public. Si la question concerne tous les internautes, peu sont familiers avec ce principe dont les contours sont assez techniques. Cette journée d’action, prévue pour une visibilité maximum, vise à rallier les internautes à cette cause, afin qu’ils fassent pression sur leurs représentants.

Cette action s’inspire largement du « black-out » du 18 janvier 2012, une journée d’action menée par de grands sites Internet pour protester contre la loi antipiratage SOPA, qui menaçait de restreindre considérablement les libertés sur Internet. Le logo de Google barré d’un bandeau noir et la page d’accueil obscurcie de Wikipédia avaient marqué les internautes. Face à la mobilisation, qui s’était aussi exprimée d’autres façons, et avait rallié une partie de l’opinion publique sur un sujet là aussi très technique, SOPA avait finalement été abandonné.