Roger Federer avec son trophée, en 2007. | POOL New / REUTERS

La scène se répète tous les jours ou presque depuis dix jours au All England Lawn Tennis and Croquet Club, théâtre du tournoi de Wimbledon. Et il est à parier qu’elle se reproduira ce vendredi, où Roger Federer – en lice pour une huitième victoire en ces lieux, ce qui constituerait un record absolu en simple messieurs – dispute sa demi-finale contre le Tchèque Tomas Berdych.

Sur la passerelle qui relie les vestiaires au jardin réservé aux joueurs, à deux pas du Centre Court, chaque apparition furtive de « Sa Majesté », comme la presse le surnomme depuis son premier sacre, donne lieu à une scène d’hystérie collective. Des gloussements enamourés, une soudaine cohue de spectateurs d’ordinaire si peu dissipés, même dans les allées, où chacun tient rigoureusement sa gauche. Du haut de l’ouvrage, Roger Federer contemple la foule de part et d’autre, la salue longuement d’une main – telle la reine devant ses sujets. Il faut le voir pour le croire.

A Wimbledon plus qu’ailleurs, le Suisse est ici chez lui. Non content de s’y être imposé sept fois, record codétenu avec Pete Sampras, il ne fait qu’un avec le décor. Dans le musée du club, qui retrace l’histoire du tennis sur gazon depuis le jeu de paume, l’ancêtre du tennis, « le meilleur joueur de tous les temps » tient une place à part, aux côtés du Britannique Fred Perry (3 victoires), Billie Jean King (6) ou encore Martina Navratilova (9), Björn Borg (5) et Sampras. « Federer a la faveur des passionnés de tennis en raison de sa constance, son habileté et son style. Son élégant revers à une main et ses tenues inspirées de la tradition rappellent aux spectateurs une époque révolue », est-il écrit à son sujet.

« Assorti au tournoi »

Par le passé, il lui est arrivé de faire son entrée sur le court avec une veste militaire blanche aux liserés or, un cardigan crème ou un costume trois-pièces – immaculé, cela va sans dire. « Wimbledon est le théâtre parfait pour y exprimer son talent et sa personnalité, résume Christopher Clarey, du New York Times, qui a couvert son premier Wimbledon en 1990. Federer est l’un des rares champions à être attaché à l’histoire du tennis, lui-même affiche un style de jeu très traditionnel avec son service-volée. »

« Il est si bien assorti au tournoi. S’il fallait choisir le joueur qui incarne le mieux Wimbledon, ce serait probablement Roger Federer », renchérit son confrère britannique du Times, Stuart Fraser, pour qui « l’ampleur de la dévotion et de l’idolâtrie à son égard n’a pas d’équivalent chez un autre joueur. C’est un cas unique dans l’histoire du tennis ».

Le phénomène se répand anormalement jusqu’aux journalistes. On ne compte plus les conférences de presse où lui sont adressées des « questions » du style : « Malgré votre âge, vous vous déplacez magnifiquement. » Quand ce n’est pas tout simplement : « C’est toujours une joie de vous voir jouer. » Quand Federer est sur le court, l’objectivité n’est plus la règle en tribune de presse, où les journalistes sont logiquement tenus de ne pas applaudir. Lors de son quart de finale contre le Canadien Milos Raonic, on demanda ainsi à notre voisin, journaliste pour la chaîne chinoise Tencent Sports, la raison de ses encouragements sonores. Eberlué par la question, il répondit : « Eh bien parce que je veux que ce soit lui qui gagne. »

« Nous avons une position privilégiée, mais notre job ne consiste en aucun cas à lui faire des compliments. Quand il voit ça, je crois que Federer s’en amuse car au fond, il sait que les journalistes ne devraient pas sortir de leur rôle », estime Stuart Fraser, qui se rappelle avoir vu « pire qu’ici », à l’occasion des Jeux olympiques de Londres, en 2012. « C’était l’une des conférences de presse les plus bondées, mais aussi les plus affligeantes à laquelle j’ai assisté. Il n’y avait pas de questions, uniquement des commentaires laudatifs. » Lui et son confrère du New York Times sont témoins de telles scènes tout au long de l’année, de Pékin à Miami en passant par Melbourne.

« Federer se voit comme un ambassadeur du tennis. Il se dit qu’en agissant décemment, cela va servir son sport, souligne Christopher Clarey, l’un des journalistes qui le connaît le mieux. Or, dans une ère où les scandales sportifs sont légion, lui a su rester irréprochable, après vingt ans de carrière. Et il sait que son jeu donne des frissons aux spectateurs, il voit bien leurs réactions durant ses matchs… »

Récital

Dans l’atmosphère si feutrée du Centre Court de Wimbledon, où l’on entend parfois que le seul bruit des balles, les 15 000 spectateurs se délectent de son répertoire, depuis le début du tournoi. Chaque match est un récital d’amorties millimétrées. De revers limpides. De volées ouatées. Une clameur s’élève après chaque frappe : un grand « ahhhhhh » quand il s’agit d’un coup gagnant ; un grand « ohhhhhh » en cas de (rare) faute directe.

Roger Federer est aussi l’un des rares joueurs à recevoir des standing ovations. Le Suisse s’en émeut. « Ça me touche beaucoup de voir autant de soutien dans le stade. Il n’y a rien de normal à cela, ce sont des choses que je n’aurais jamais pu imaginer quand j’étais tout petit. Mais c’est peut-être lié aux défaites de Murray, Djokovic et Nadal, peut-être que les gens veulent me voir encore plus gagner, je ne sais pas », répondit-il au Monde après sa qualification pour les demi-finales, mercredi soir, quand on lui demandait si faire l’objet de tant d’attention n’était pas un peu excessif.

« Je suis plutôt timide. Quand je vois les gens en bas de la passerelle, je ne pense pas qu’ils m’attendent moi en particulier, poursuivit Federer. Je me dis qu’ils sont peut-être là juste pour voir les gens passer. Mais quand tu arrives et que tu réalises qu’en fait, si, ils sont là pour toi, c’est un petit peu étrange et particulier. » A voir ce petit numéro bien rodé et son aisance à saluer la foule, on n’est toutefois pas obligé de le croire sur sa prétendue « timidité ».