La séquence diplomatique le ravit. Quelques jours après avoir réservé un accueil triomphal au premier ministre indien Narendra Modi, Benyamin Nétanyahou a salué avec une chaleur égale le président rwandais Paul Kagamé, lundi 10 juillet. Il pouvait ainsi illustrer l’une des lignes de force de sa politique étrangère, consolidée ces dernières années : la diversification des alliances. Si les Etats-Unis demeurent le parrain et l’allié stratégique, Israël veut aussi se rapprocher de pays et de continents qui lui furent autrefois hostiles en raison de leur soutien à la cause palestinienne.

Début juillet 2016, Benyamin Nétanyahou s’était rendu à Kigali dans le cadre d’une tournée sans précédent en Afrique de l’Est, essentiellement centrée sur la lutte contre le terrorisme. Il avait évoqué, dans son discours, les leçons que les deux pays avaient tirées des tragédies de l’Histoire : Israël de la Shoah, le Rwanda du génocide des Tutsi en 1994. Le premier ministre avait même osé une comparaison entre les nazis et les Palestiniens. « Les nazis aussi avaient commencé à déshumaniser les juifs bien avant de débuter le massacre de millions de personnes de notre peuple, avait-il déclaré. Alors, aujourd’hui, lorsqu’on voit les leaders à Gaza appeler à l’assassinat de chaque juif dans le monde, il est de notre devoir de parler. »

« Ceux qui sont prêts à parler en notre faveur »

A nouveau, lundi, M. Nétanyahou a convoqué l’Histoire pour incarner le rapprochement entre les deux pays. Il a aussi salué le rôle joué par son invité, Paul Kagamé, pour faciliter les efforts diplomatiques israéliens. « Vous avez été le pont indispensable sur lequel nous avons marché pour faire notre retour en Afrique, a déclaré le premier ministre, pas à pas, avec des conseils avisés, très très sages. » Le chef du gouvernement israélien a gardé à l’esprit le fait que Paul Kagamé a été le premier dirigeant africain à prendre la parole, fin mars, devant l’AIPAC, la plus grande organisation pro-israélienne aux Etats-Unis. Autre point important : le dirigeant n’évoque pas le conflit israélo-palestinien lorsqu’il vient à Jérusalem, point commun avec Narendra Modi.

Paul Kagamé, lui, est resté moins lyrique pendant sa visite, évoquant la coopération renforcée en matière technologique, agricole et sécuritaire. M. Nétanyahou a laissé deviner ce que ces aides israéliennes impliquaient en échange. « Vous avez déjà évoqué un principe simple dans lequel nous croyons, a-t-il déclaré, le fait que les relations bilatérales doivent se refléter dans les forums multilatéraux. »

Le président israélien Réouven Rivlin, de son côté, a été encore plus précis au moment de formuler ses attentes vis-à-vis du Rwanda, qui prendra la présidence de l’Union africaine en 2018. « Nous savons que le Rwanda va devenir membre du Conseil pour les droits de l’homme de l’ONU, a-t-il rappelé. Il s’agit d’un organisme qui est toujours contre Israël, alors nous saluons tous ceux qui sont prêts à parler en notre faveur. »

Renvoi de milliers d’« infiltrés »

Le sujet phare qui n’a pas été abordé publiquement entre les deux pays concerne les accords bilatéraux secrets sur le renvoi vers Kigali de migrants africains bloqués en Israël, auquel le pays refuse systématiquement le statut de réfugiés politiques. Ils sont près de 40 000 « infiltrés », selon l’expression courante en Israël, originaires d’Erythrée et du Soudan du Sud. Ils représentent une main-d’œuvre à bas prix mais quasiment sans droits. Leur flux a été tari après l’édification d’une clôture de sécurité à la frontière entre Israël et l’Egypte, fin 2011. Jusqu’à lors, le Sinaï était leur porte d’entrée.

L’Etat juif n’a pas de politique migratoire transparente et précise. Signataire – comme l’Ouganda et le Rwanda – de la convention de Genève de 1951 relative au statut des réfugiés, elle ne peut les expulser vers leur pays d’origine, dès lors que ce retour présenterait un risque pour leur intégrité physique. Israël a donc cherché des partenaires africains, des pays tiers, pour leur sous-traiter la gestion de ces migrants : ce fut l’Ouganda et le Rwanda. Fin août 2013, le ministre de l’intérieur de l’époque, Gideon Saar, a expliqué à une commission parlementaire que le procureur général, Yehuda Weinstein, venait de valider un accord signé avec un pays tiers pour le renvoi de milliers d’« infiltrés ».

Depuis, les autorités se refusent à communiquer le nombre de personnes concernées ou les conditions précises de cet acte. Mais les ONG engagées sur cette question ont recueilli de nombreux témoignages inquiétants. Ils racontent les menaces de détention prolongée au centre de Holot (sud d’Israël) et les incitations au retour avec la prise en charge d’un billet d’avion et 3 500 dollars donnés à l’aéroport, mais aussi l’abandon total de ces volontaires une fois arrivés à destination. Ils ne sont nullement pris en charge, mais condamnés à nouveau à la clandestinité. Selon l’ONG Hotline, un représentant local d’Israël accueille les demandeurs d’asile à l’aéroport, aussi bien à Entebbe qu’à Kigali, et confisque leurs documents de voyage. Au bout de deux jours d’hôtel, ils sont mis à la rue. Les autorités rwandaises les poussent alors à quitter le pays puisqu’ils sont en situation irrégulière.

Au moins 37 exécutions sommaires au Rwanda pour faits de petite délinquance

Les forces de sécurité rwandaises ont procédé à l’exécution sommaire d’au moins 37 personnes soupçonnées de petite délinquance et ont fait disparaître de force quatre autres personnes depuis avril 2016, a déclaré l’organisation non gouvernementale Human Rights Watch dans un rapport publié jeudi 13 juillet. La plupart des victimes étaient accusées d’avoir commis divers vols, de bananes, d’une vache ou d’une moto. D’autres étaient soupçonnées de faire du trafic de marijuana, d’avoir franchi illégalement la frontière depuis la République démocratique du Congo (RDC) ou d’utiliser des filets de pêche illégaux.

Le rapport, intitulé « Tous les voleurs doivent être tués” : exécutions extrajudiciaires dans l’ouest du Rwanda », décrit en détail en 42 pages comment l’armée, la police et des unités de sécurité auxiliaires, parfois avec l’aide des autorités civiles locales, ont appréhendé de petits délinquants présumés et les ont sommairement exécutés. Deux hommes ont été tués par des civils après que les autorités locales ont incité les habitants à tuer les voleurs. Dans tous les cas documentés par Human Rights Watch, les victimes ont été tuées sans qu’aucun effort de procédure régulière n’ait été accompli pour établir leur culpabilité et les traduire en justice, et aucune d’elles ne constituait une menace imminente pour la vie d’autrui qui aurait pu justifier le recours à la force létale.