• L’artiste Ben installé à Nice depuis l’enfance : « Je ne trouve plus mes mots »

« La promenade des Anglais représentait ma promenade favorite, des souvenirs inoubliables, des discussions passionnantes sous la pergola, la nuit, avec François Fontan, Le Clézio…

Maintenant, ce n’est plus la même chose, il y a eu ce massacre. Alors impossible de se promener sans y penser. Et quand j’y pense, je suis de ceux qui se posent des questions.

Pourquoi ? Avec qui est-on en guerre ? Pourquoi toute cette haine ? Comment arrêter la haine ? Comment, submergé par la peine de morts innocents, des amis et amis d’amis, penser un monde sans haine ? Comment éviter d’autres massacres ?

Je n’ai pas envie de me taire, mais je ne trouve plus mes mots. Je m’arrête ».

  • Paul Barani, architecte installé à Nice depuis vingt ans, Equerre d’argent 2008 pour la gare du tramway Las Planas : « Mon regard sur la Prom’ restera postif »

« A la suite de l’attentat de Nice, je me suis surpris à dire « ma ville », alors qu’avant je ne le disais pas. Le 14-Juillet a engendré une identification très forte. La communauté niçoise, par nature hétéroclite, faisait corps. Ce sentiment d’unité est resté, à tous les niveaux : nationalité, religion…

En tant qu’architecte, l’une des premières pensées a été de réaliser que les terroristes avaient une analyse instinctive des villes qu’ils attaquaient. Ils comprennent où se trouvent les lieux symboliques. Ce diagnostic sur la ville leur a permis d’attaquer un espace qui fonctionnait bien. Dans un sens, cet attentat a renforcé la position symbolique de la promenade des Anglais, évidemment pas dans le sens que l’on aurait pu souhaiter.

J’ai mis du temps à retourner sur la promenade des Anglais. La première fois, c’était en voiture, car la Prom’ est avant tout un lieu de passage. J’ai, de par mon métier d’architecte, tenté de mettre à distance ce drame, notamment en repositionnant les attentats dans une durée plus longue, celle de l’histoire des villes. Ces espaces publics forts sont l’accumulation de plusieurs histoires.

La Prom’, c’est le lieu de la villégiature, du rapport à la mer, du festif, du sportif… Mais son histoire est aussi constituée d’événements douloureux. Un espace public puissant est forcément fait de moments de joie et de drames. L’attentat est venu se superposer à toutes ces symboliques, même si, les jours et les mois suivant le 14-Juillet, le drame a occulté tout le reste.

Un an après, je me rends compte que, désormais, ces histoires coexistent, pour créer une mosaïque sans hiérarchie. Quand je me balade sur la promenade, je pense immanquablement aux attentats, mais cela se mêle à bien d’autres sensations. Je pense par exemple aux artistes, comme Ben ou Noël Dolla, qui ont signé des performances ici. Surtout, je me laisse traverser par cette immense beauté, ces kilomètres de promenade qui donnent sur la mer s’étendant sur l’horizon, sur l’infini et le vide.

Ce regard que je porte sur la promenade restera résolument positif. La question n’est pas d’oublier, mais de dire que la vie est plus forte que tout le reste, que le temps qui passe repositionne l’événement traumatisant ».

  • Hervé Barelli, historien de la ville et conseiller auprès du maire Christian Estrosi : « le soulagement se mêle à un sentiment de lâcheté »

« Où êtes-vous ? Comment vous allez ? »  A l’instar de nombreux Niçois en vacances, c’est par le SMS d’un proche que j’ai appris ce qu’il se passait dans ma ville, le 14 juillet. La veille, j’avais pris la route en famille pour Sienne, en Italie. Un an après, je réalise que ces messages sont devenus une routine, un réflexe qui permet d’écarter le malheur, d’atténuer ce que pourrait être la douleur.

Je n’y étais pas. Aucun de mes proches ou de mes connaissances n’y était. Le soulagement se mêle alors à un sentiment de lâcheté, accentué par le fait que, quand bien même j’aurais été à Nice, je n’aurais pas davantage été sur la promenade des Anglais. Le feu d’artifice, je l’aurais regardé du haut de ma terrasse, avec des amis. Ce regard dépassionné, cette douleur d’ordre moral, ont fait naître chez moi un sentiment de culpabilité tenace. Je suis resté en lisière de l’événement.

La nuit du 14 au 15 juillet, je l’ai passée dans une chambre d’hôtel, prostré devant la télévision à écouter des journalistes italiens traduire et diffuser les images des chaînes françaises. Et puis cela m’a semblé évident : il fallait écourter les vacances, rentrer au plus vite à Nice.

J’ai vite dépassé cet état de sidération. D’abord parce que cela ne m’a pas vraiment surpris, je savais que Nice était une cible idéale, je connais la notoriété de cette ville dans le monde entier. Ensuite, il a fallu se mettre au travail, prendre des mesures rapidement, comme celle d’annuler toutes les manifestations prévues sur la Prom’ durant l’année. Après le silence qui a envahi la ville les jours suivants, puis les travaux qui ont séparé de façon infranchissable le trottoir de la route, la vie a repris le dessus sur la Prom’. Personne ne peut imaginer ce qu’il s’est passé là il y a un an. Il y a eu une forte résilience. Les Niçois se sont dit : « Quitte à prendre un risque, je préfère le faire sur la promenade, l’un des plus beaux endroits du monde, que dans le métro ».

  • Hyphen Hyphen, groupe pop-rock orginaire de Nice : « le sentiment d’être démunis. Tous ensemble »

« “Nissa la Bella per tougiou” (“Nice la belle pour toujours”) car la vie vainc toujours.

Les larmes ne sèchent pas plus vite au soleil et le meilleur allié des vives blessures est le temps.C’est un an « après » que Nice nous prouve encore sa grande force.

Nous avons tous ressenti ce sentiment d’être démunis. Tous ensemble. Nice est une ville de lumière et c’est encore ensemble, grâce à ce lien indestructible, que nous éclairerons ceux qui ont perdu l’espoir. C’est contre l’essaim nébuleux de l’obscurantisme que nous lutterons, chacun apportant une lumière aux autres.

Croyez-moi ces luttes ne sont pas vaines ! Tant que nous verrons et partagerons la beauté, depuis le pan bagnat dans les criques de la Coco Beach en passant par les souvenirs du lycée Masséna, par le rire des poissonnières place Rossetti, par les cocktails de soleil place Garibaldi jusqu’à la fraîcheur d’une ruelle du Vieux Nice… Dans ces bonheurs, Nice vaincra toujours.

C’est grâce à cet amour entre Niçoises et Niçois, mais aussi grâce à tous les messages de solidarité que nous avons reçus (je me souviens que deux jours après le drame, durant le festival des Vieilles Charrues, plus de 20 000 personnes se sont jointes à nous pour scander le fameux « qui ne saute pas n’est pas Niçois ») que l’espoir naît.

C’est dans cette union que nous n’aurons plus peur…

Car nous le savons, à une certaine heure, Nice n’a d’horizon que celui que l’on lui imagine ».

  • Jean-Paul Rivère, président de l’OGC Nice : « cela nous a peut-être donné un supplément d’âme »

« Ce 14 juillet 2016, nous avons tous subi un choc profond. Et un an plus tard, évoquer l’attentat brasse (fait ressortir) encore de profondes émotions. Comme de nombreux Niçois, j’ai mis beaucoup de temps pour revenir sur la Promenade des Anglais. C’est un lieu tellement paisible, beau, qu’il était difficile d’imaginer qu’il puisse être le théâtre d’un tel drame. La localisation, la date, ce jour de fête nationale et populaire augmentent encore l’impact et l’horreur de ce qui s’est produit.

On connaît tous quelqu’un qui a été touché, qui était là. Ma belle-fille était sur place. Je n’oublierai jamais son appel, dans un état de panique totale, pour nous prévenir de ce qu’il se passait.
Cet événement nous a accompagnés toute l’année. J’ai l’habitude de relativiser les choses du football, de rappeler qu’il y a d’autres raisons de s’inquiéter dans la vie… Mais il y a eu cette saison, dans le vestiaire de l’OGC Nice, une force, une concentration que je n’avais jamais ressenties. Nous sommes un club familial, qui réagit avec son cœur. Cela nous a peut-être encore donné un supplément d’âme.

A notre niveau, nous avons essayé d’offrir un peu de plaisir aux gens, un sourire, en tentant de jouer un beau football, de réaliser une belle saison. Pour aider à nettoyer nos têtes de ce souvenir qu’on voudrait tous oublier.
Le matin du premier match à domicile de la saison, contre Rennes, le 14 août 2016, un mois jour pour jour après l’attentat, j’ai ressenti une surcharge d’émotion et le besoin de l’évacuer. Je n’étais pas encore retourné sur la Promenade. Je suis parti seul, avec mon paddle, pour la longer par la mer. J’ai pagayé comme jamais je ne l’avais fait. Il fallait que je trouve un moyen de me débarrasser de ce que je ressentais, de toute la colère que j’avais en moi ».

Propos recueillis par Cécile Bouanchaud et Gilles Rof