Une chambre vide aperçue au cours de l’exposition Rehab 2. Pas d’état des lieux de sortie pour les résidents de la Maison des Arts et Métiers. | Mathilde Dumazet pour Le Monde

Par l’entrebâillement d’une porte, on voit un agent de service faire le tour d’une chambre d’étudiant. Les résidents de la Maison des Arts et Métiers de la cité universitaire dans le XIVe arrondissement de Paris n’ont plus que quelques heures pour quitter l’établissement avant que celui-ci ne soit rénové de fond en comble. Le collectif Bitume est autorisé à occuper les lieux encore quelques jours avec la deuxième édition de Rehab, une exposition éphémère de street art.

Les murs délavés des chambres d’étudiants paraissent bien pâles à côté de l’explosion de couleurs qui s’étale sur les parois, les sols et les plafonds des couloirs, transformés depuis le 25 mai en terrain de jeu pour une centaine d’artistes. Au quatrième étage, on emboîte par exemple le pas à deux personnages : Dante et Hannibal Lecter, dont les visages couvrentles murs de deux couloirs qui se rejoignent en une pièce. Au visiteur de choisir sa porte d’entrée.

Une partie du parcours Dante/Hannibal Lecter réalisé par Cannibal Letters et Cost TPK. | Fabe Collage

A l’image de la Tour Paris 13, de la Réserve Malakoff ou encore d’un bâtiment de la poste à Montparnasse (Lab14), également « prêtés » à des artistes le temps de leur rénovation, la Maison des Arts et Métiers retrouvera sa fonction première en septembre, après de gros travaux. Caractère éphémère, communication limitée, bouche-à-oreille : une combinaison gagnante pour les quatre expositions qui ont chacune accueilli des milliers de visiteurs, « entre 35 000 et 40 000 pour Rehab 2 depuis l’ouverture le 16 juin », décompte Hugo Di Carlo, membre du collectif Bitume. De ce groupe, il est le seul à ne pas être en terrain connu : les trois autres fondateurs du groupe ont étudié aux Arts et Métiers, et certains ont même habité cette résidence universitaire.

Un couloir de la résidence étudiante réalisé par Charlélie Couture et Joachim Romain. | Fabe Collage

Le succès des expositions comme Rehab s’explique aussi par la capacité des collectifs à détourner l’usage traditionnel des bâtiments pour proposer aux visiteurs une immersion totale et ... accessible. Prix libre (Rehab), deux euros (Lab14), gratuité (Tour 13) : pour que le street art attire entre quatre murs, il doit rester abordable. Le prix à payer est plutôt du côté de la file d’attente : jusqu’à neuf heures pour la Tour 13 en raison de sa jauge limitée, à Rehab, jusqu’à une heure les week-ends.

A l’intérieur, le public est disparate. « Pour la première édition de Rehab dans le bâtiment d’en face, le directeur de la maison avait un peu peur de la population que l’événement amènerait, mais quand il a vu qu’il y avait beaucoup de famille, il a été rassuré », raconte Hugo en slalomant entre quelques enfants et un groupe de mannequins amateurs qui se prennent en photo devant les œuvres et se changent dans les cages d’escaliers.

Une institutionnalisation... éphémère

Une telle initiative permet aux artistes de créer sans craindre l’amende pour détérioration de biens publics. Pour autant, les artistes risquent de perdre le côté « sauvage » du street de l’art pour basculer dans un genre nouveau. Mais l’institutionnalisation du genre n’est pas née dans les galeries ni dans les bâtiments en rénovation. C’est dans la rue qu’elle a commencé, grâce à des maires comme Jérôme Coumet (XIIIe arrondissement), qui ont passé commande aux artistes pour décorer les murs.

Les opérations dans les bâtiments comme la Maison des Arts et Métiers conservent au moins au street art son identité éphémère. Et elles offrent une liberté rare aux artistes qui ont carte blanche – dans ce cas, ils ont même eu le droit de « détériorer » le lieu en arrachant les faux plafonds.

Le haut de la structure imaginée par l’artiste Wayne touche les faux-plafonds. | Mathilde Dumazet pour Le Monde

Ce qui n’est pas allé sans quelques inconvénients pour les résidents – l’équipe de Bitume a dû enclencher les systèmes de désenfumage à cause des vapeurs de peintures. Pour les graffeurs, en revanche, logés et équipés en peinture, le confort était maximal. « J’ai eu une semaine pour peindre, ça permet de s’imprégner de l’ambiance du lieu », raconte Agrume, déjà présent pour la première édition de Rehab. La seule consigne donnée aux artistes : se concerter pour assurer des transitions entre les pièces et les univers de chacun.

Fresque réalisée par Agrume. | Mathilde Dumazet pour Le Monde

A terme, le projet du collectif Bitume, emmené par trois jeunes ingénieurs, est de créer un lieu pérenne pour « mieux mettre en valeur le travail des artistes », explique Hugo Di Carlo, et travailler avec eux sur des supports d’expressions « plus structurés ». Pendant toute la durée de l’exposition, Bitume a organisé des compétitions entre graffeurs. La finale aura lieu le 15 juillet, la veille de la fermeture : quatre équipes s’affronteront en public sur les six faces d’une structure créée pour l’occasion.

Rehab 2, jusqu’au 16 juillet à la Maison des Arts et Métiers, Cité Universitaire