Emmanuel Macron à l’Elysée le 13 juillet 2017. | Gonzalo Fuentes/REUTERS

Quelle que soit sa couleur politique, le locataire de l’Elysée est rarement la personne la mieux placée pour étaler publiquement ses vues sur l’Afrique. Surtout quand lesdites vues semblent épouser les opinions proférées par M. Tout-le-Monde qui ne dispose pas, lui, on le sait, de l’esprit le plus pénétrant. Et souvent un mot, un seul, peut provoquer une levée de boucliers et une chaîne de réactions aussi enflammées qu’indignées.

Et le recours aux médias sociaux peut, à tout moment, mettre de l’huile sur le feu. Aujourd’hui, un individu disposant d’un ordinateur ou d’un portable connecté peut déformer un énoncé, le sortir de son contexte et le remettre en circulation sans le moindre contrôle. Cet individu peut être votre voisin de palier ou l’actuel occupant de la Maison Blanche connu pour son usage infantile et compulsif de Twitter.

Un repoussoir, un spectre menaçant

Cette fois, c’est un adjectif – « civilisationnel » – qui est à l’origine de la controverse relayée notamment dans la presse de langue anglaise. Il a été prononcé par le nouveau président Emmanuel Macron, samedi 8 juillet, en marge du sommet du G20 de Hambourg.

Replaçons-le dans son contexte. A la question d’un journaliste ivoirien qui demandait davantage d’aide pour le continent, le président lui a fait cette réponse : « Le défi de l’Afrique, il est totalement différent. Il est beaucoup plus profond, il est civilisationnel aujourd’hui. Quels sont les problèmes en Afrique ? Les Etats faillis, les transitions démocratiques complexes, la transition démographique qui est, je l’ai rappelé ce matin, l’un des défis essentiels de l’Afrique. Quand des pays ont encore aujourd’hui 7 à 8 enfants par femme, vous pouvez décider d’y dépenser des milliards d’euros, vous ne stabiliserez rien. »

Si le constat concernant les Etats faillis et les transitions démocratiques complexes passe comme une lettre à la poste, il faudrait être aveugle pour ne pas l’accepter, force est d’admettre que le reste du propos passe mal sur le fond comme sur la forme.

Le thème de la surpopulation n’est pas une nouveauté. Il traîne dans la quincaillerie depuis les années 1950. On l’agite toujours comme un repoussoir, un spectre menaçant. Dans le champ politique français et plus généralement européen travaillé par les discours racistes et xénophobes, ce thème renvoie à un autre qui est sur toutes les lèvres : les migrations.

La prédation coloniale

Evoquer la surpopulation, c’est convoquer les mouvements migratoires présentés également sur le mode apocalyptique. La réalité est tout autre. D’abord, si les Africains se déplacent, ils restent pour l’écrasante majorité dans leur périmètre régional. Toutes les données statistiques le confirment. De plus, depuis mon plus jeune âge, j’ai éprouvé cette réalité, je la connais intimement comme beaucoup d’Africains. La République de Djibouti, qui m’a vu naître, a accueilli et accueille sur son minuscule territoire un grand nombre de ressortissants transfrontaliers – éthiopiens, somaliens et yéménites. Imaginez le tableau. C’est comme si à l’échelle de la France, 20 à 25 millions d’étrangers vivaient dans l’Hexagone. On ne verrait pas ça en Europe !

Pour clore le chapitre démographique, rappelons enfin que le continent africain, saigné hier par les traites négrières et handicapé par la colonisation, est très vaste et encore largement sous-peuplé. Et point n’est besoin de le comparer à l’Asie pour s’en rendre compte.

En lâchant le gros mot de « civilisationnel », le président français a ravivé la vieille blessure ouverte par Nicolas Sarkozy en 2007. Pis, il a réintroduit, involontairement ou non, une ligne de démarcation entre l’humanité du Nord qui affronte des enjeux historiques et politiques et l’humanité du Sud lestée par des défis civilisationnels de nature insondable. Pour la première, le destin est à portée de main. Pour la seconde, les choses se présentent autrement. Son destin est capricieux. Ses défis « différents », « profonds ». Quid de l’histoire ? Quid des effets conjugués des traites négrières et de l’essor du capitalisme industriel toujours aussi friand des ressources et des corps que le continent produit en si grandes quantités ?

La différence que le président Macron met en scène si brillamment est, en partie, une invention, ou si vous préférez une fiction, que les conquistadors d’hier ne renieraient pas. Drapée sous un manteau prétendument noble – ah, la mission civilisatrice ! – elle a justifié la prédation coloniale. Pour être opérante, cette fiction de l’autre – ici l’Afrique comme masse monolithique – doit être racialisée, sexualisée à outrance, d’où l’allusion au ventre fertile des femmes africaines. De ce faux pas, tirons une leçon. Les défis de la planète sont d’abord et avant tout relationnels pour paraphraser Edouard Glissant !

Abdourahman A. Waberi est né en 1965 dans l’actuelle République de Djibouti. Il vit entre Paris et les Etats-Unis, où il a enseigné les littératures francophones aux Claremont Colleges (Californie). Il est aujourd’hui professeur à George-Washington University. Auteur, entre autres, d’Aux Etats-Unis d’Afrique (éd. J.-C. Lattès, 2006) et de La Divine Chanson (éd. Zulma, 2015). En 2000, Abdourahman Waberi avait écrit un ouvrage à mi-chemin entre fiction et méditation sur le génocide rwandais, Moisson de crânes (ed. Le Serpent à plumes), qui vient d’être traduit en anglais, Harvest of Skulls (Indiana University Press, 2017).