Warren Barguil, porteur  du maillot  à pois, lors de la 12e étape du Tour  de France,  le 13 juillet.  Peter Dejong/AP | Peter Dejong / AP

C’est en traversant la France en voiture, un 24 décembre au soir, que Warren Barguil s’est dit qu’il devait changer de vie. « A l’heure où ma copine sortait du travail, il n’y avait plus de vols pour la Bretagne depuis Nice. On a pris la voiture pour rejoindre nos familles. On a dû croiser quatre camions, pas plus. Là, je me suis dit : J’ai besoin de rentrer.” »

En 2015, Warren Barguil a goûté à la vie de champion et ça ne lui a pas plu. Au bout d’un an, il a quitté Saint-Laurent-du-Var, dans les Alpes-Maritimes, pour retrouver le Morbihan et les rives du Blavet. Les 26 ans de Barguil s’accrochent à ce cours d’eau, de la maternité d’Hennebont aux tribunes du stade du Moustoir, à Lorient. Aujourd’hui, c’est Kervignac et le quartier du pont du Bonhomme, dont les piles de granit tiennent encore debout, comme les petites statues de Bretons posés dessus.

M&M’s et jeu vidéo

Barguil s’y est installé avec sa compagne, qui travaille dans la banque, et a découvert ses nouveaux voisins en allant sonner chez eux avec des copains au Nouvel An. Dans le quartier, on suit les résultats du gamin Barguil et son sourire large comme le golfe du Morbihan. La fête des voisins a même été repoussée à après le Tour, afin qu’il puisse être là. Lorsqu’il a rejoint le soleil, ses parents lui ont dit « Tu vas vite revenir. » Dans son appartement de cycliste, près de Nice, il gobait des M&M’s en jouant à FIFA : « Je stockais des graisses. » Petit coup de déprime. « J’avais besoin de voir ma famille. Je n’ai pas envie d’être écœuré du vélo. Les sacrifices, je les fais par plaisir : marcher le soir dans la nature lors d’un stage en montagne, c’est super. Rester les jambes en l’air dans une chambre d’hôtel de la sierra Nevada [lieu prisé par les cyclistes pour les stages en altitudes], ce n’est plus possible. »

De gauche à droite : Warren Barguil dans la roue de Christopher Froome et Fabio Aru, lors de la 12e étape du Tour de France, le 13 juillet. | CHRISTIAN HARTMANN / REUTERS

A écouter le vibrionnant grimpeur de Sunweb, le bonheur ressemblerait à ça : « Le dimanche, je rentre de l’entraînement, ma compagne est allée chercher le poulet au marché et on mange tous chez moi avec ma famille. » Même si Barguil ne renverse pas la saucière dans l’assiette, la scène semble loin des vies de privation que s’imposent les candidats au maillot jaune. La famille n’a jamais manqué de rien, même si les parents ­vivaient de peu. Les ­réveils sonnaient tôt. Six heures, pour la mère déchargeant des fruits et légumes dans une grande surface. Trois heures, pour le père au volant d’un camion. Quand il aura enfin touché sa retraite, dans trois ans au moins – il attend de connaître le nouveau dispositif de pénibilité –, cet ancien coureur amateur pourra enfin suivre tout le Tour en camping-car.

A Kervignac, aux réunions de copains, il y a quelques « bonnets rouges » (qui se sont battus, en 2013, contre la mise en place de l’écotaxe) ; mais Warren Barguil n’aime pas les sujets qui divisent et évacue vers la douceur de vivre en Bretagne et les splendeurs de la côte sauvage. Notre-Dame-des-Landes ? « C’est un sujet pas facile à trancher. D’un côté, pour mon confort personnel, ce serait plutôt oui. De l’autre, est-ce que ça sert à quelque chose ? » Le voilà plus loquace sur un sujet qui fait l’unanimité : la fragilité des cyclistes à l’entraînement. En janvier 2016, il faisait partie des six coureurs de Giant renversés par une voiture roulant à contresens en Espagne. En France, il dit se sentir davantage respecté sur sa moto que sur son vélo. Il promet d’en toucher un mot à Emmanuel Macron, s’il ­gagne le jour de la visite présidentielle sur le Tour.

« Comme un idiot »

Il faut y croire. Cette année, une fracture d’un bassin, fin mai, a décalé sa préparation, le forçant à aborder le Tour dans un costume de franc-tireur, désormais doublé d’une cape blanche à pois rouges. Solidement installé en tête du classement du meilleur grimpeur, Barguil renouerait avec le fil d’une carrière démarrée en grand style et mise en pointillé par les blessures. Double vainqueur d’étape dans le Tour d’Espagne à 21 ans, il n’a plus gagné depuis et la fin de la disette passera par ­l’attaque. On peut regretter qu’il perde un an d’expérience à lutter pour le classement général d’un grand tour, maintenant que Thibault Pinot et Romain Bardet ont prouvé que le drapeau français qui s’affiche à côté de leur nom n’était pas une malédiction. Il promet d’y revenir l’an prochain, avec l’objectif de finir, un jour, dans les cinq premiers du Tour. Pour l’heure, il gambade dans la montagne comme une chèvre échappée du troupeau. Est-ce la formation française qui veut cela ? Tant des meilleurs Trico­lores du moment disent leur las­situde de la vie en peloton, même si certains s’en accommodent mieux que d’autres.

Dans la première étape du Jura, direction Les Rousses, Warren Barguil avait « couru comme un idiot ». « J’étais euphorique comme un gosse à qui on donne une ­console et qui veut finir le jeu le plus ­rapidement possible. » La défaite était évidemment au bout. Le lendemain, dans l’étape mémorable entre Nantua et Chambéry, Barguil était moins fort, courait plus juste et n’était battu qu’à la photo-finish par le Colombien Rigoberto Uran. Cela fera tout de même des souvenirs à raconter à la fête des voisins.