Manu Chao sur la scène du festival El Clandestino, samedi 15 juillet à Guéret | @Anaïs Kervella

Si l’on devait établir la notoriété d’une manifestation culturelle à l’aune des kilomètres de bouchon qu’il faut parcourir pour y accéder, alors le festival El Clandestino de Guéret est promis à un beau rayonnement. Les festivaliers-automobilistes ont dû mettre en moyenne trois heures, samedi 15 juillet, pour parcourir les 6 km séparant le centre-ville de l’aérodrome de l’agglomération, cadre du plus grand rassemblement musical jamais organisé en Creuse. De mémoire d'élus locaux, jamais, non plus, le département n’avait connu pareil embouteillage de son histoire.

Les 12 000 spectateurs venus assister aux concerts de Ludwig von 88, Morcheeba et Manu Chao ont à peine rouspété pour autant. L’événement, il est vrai, était attendu de pied ferme dans le nord Limousin en raison du risque d’annulation qui avait plané sur sa tenue, dix jours plus tôt. Une association d’agriculteurs avait alors menacé de bloquer l’accès au site afin de protester contre l’invitation faite par Manu Chao à une association locale prônant le bien-être animal – L-PEA (Lumière sur les pratiques d’élevage et d’abattage) – de s’exprimer sur scène. Sa présidente décida finalement de rester chez elle samedi soir. Les agriculteurs oublièrent aussitôt leur projet de blocus. La Creuse aurait son festival.

@Anaïs Kervella

Et quel festival ! El Clandestino est sans doute le premier exemple de manifestation de ce type dont la vocation, et le nom, font explicitement référence à un artiste en activité. Sorti en 1998, El Clandestino est le premier album solo de l’ancien leader de la Mano Negra ; vendu à 3 millions d’exemplaires, il s’agit aussi d’un des albums les plus importants de l’histoire des musiques métissées. C’est uniquement dans le but de faire venir son auteur en Creuse que ce festival a été créé.

Les premières discussions remontent à environ deux ans et à la rencontre entre Eric Correia, le président (PS) de la communauté d’agglomération du Grand Guéret, et Kamel Ben Makhoulf, un tourneur professionnel connaissant bien Manu Chao pour avoir monté un festival itinérant dans les années 1990, la Caravane des cités, auquel prirent part plusieurs groupes alternatifs de l’époque, dont la Mano Negra.

Sur le tarmac de l’aérodrome de Guéret. | @Anaïs Kervella

Le projet ne s’est toutefois concrétisé qu’il y a quatre mois après la décision du chanteur altermondialiste d’inscrire Guéret dans sa tournée 2017. « Manu Chao est quelqu’un qui choisit les endroits où il se produit, souligne Eric Correia. La Creuse, terre de résistants et de justes pendant la deuxième guerre mondiale, a toujours combattu les extrémismes. C’est aussi la patrie de Martin Nadaud (maçon devenu homme politique au XIXe siècle qui lutta pour la défense des classes ouvrières et la protection sociale). Tous ces éléments ont pesé dans son choix de venir jouer ici. »

Il fallut alors faire vite. Créer une association support, mobiliser des bénévoles, aménager les 30 hectares de l’aérodrome, créé dans le cadre de l’Aviation Populaire, un programme visant à répandre l’aviation au plus grand nombre mis en place en 1936 par les dirigeants du Front populaire – tout un symbole. Il fallut, enfin, communiquer sur l’identité d’un festival se définissant comme « un havre de paix, de fête et de résistance ». Deux scènes, baptisées No Border et la Clandestine, ont été installées. Des artistes « engagés et humanistes », tels que Chinese Man et Keny Arkana, sont venus compléter la programmation.

Restait à fixer un ticket d’entrée correspondant au credo des organisateurs : « Avec 26 euros la journée, et 42 euros pour les deux, nous sommes le festival de musiques actuelles le moins cher de France, appuie Kamel Ben Makhoulf. Vu que nous sommes financés en fonds propres et sans subvention, ceci n’aurait pas été possible si Manu Chao n’avait pas diminuer son cachet. »

12 000 personnes ont assisté à la première soirée du festival El Candestino, samedi 15 juillet à Guéret. | @Anaïs Kervella

Le chanteur âgé de 56 ans n’a pas fait pour autant de prestation au rabais samedi soir, jouant comme à son habitude plus de deux heures devant un public acquis à sa cause et contaminé par son énergie contagieuse. S’il s’est bien gardé d’évoquer le sujet de la souffrance animale pendant son concert, Le « clandestin » n’a pas manqué de dénoncer les dérives de l’agriculture productivistes à travers la reprise d’un morceau argentin appelé Fuera Monsato, en référence à l’entreprise américaine spécialisée dans les cultures OGM et les produits phytosanitaires.

El Clandestino, à Guéret. Ce dimanche : Chinese Man, Keny Arkana, Biga Ranx, Panda Dub…